Chapitre 4

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Au cours des semaines passées, je n'ai pas encore eu l'occasion de travailler avec Craig, alors quand ce matin il m'a demandé d'attraper mon lasso et de le rejoindre rapidement dehors, je suis prise d'une légère appréhension. D'après Ricky, c'est un homme dur et froid, et quand on travaille, on n'est pas là pour rigoler. En gros, je ne le croise qu'aux repas, pendant lesquels il est plutôt sympa, mais il a une grande gueule et il est bourru. J'obtempère donc, l'estomac un peu noué.

— On a un veau qui a passé la clôture, il faut qu'on le retrouve et qu'on le ramène à sa mère avant qu'il ne lui arrive des bricoles.

Son ton est sans appel, c'est moi qui m'y colle. Il me regarde droit dans les yeux, mes tripes dansent le twerk. Il me transperce avec ses yeux-scanner sous ses épais sourcils broussailleux. Il est d'autant plus impressionnant qu'il me surplombe. Et si sa claudication le handicape au sol, sur sa monture, il est d'une agilité stupéfiante.

— C'est l'occasion de voir ce que tu as appris ces deux dernières semaines !

Ai-je vu le coin de sa barbe trembloter en un micro sourire ? J'enfourche courageusement mon Willow, et, chapeau sur la tête, me lance sur les talons du patriarche.

Une main sur le pommeau de ma selle, l'autre tenant fermement les rênes, je plisse les yeux. Pas de veau en vue. Craig fait de même, et lâche de temps en temps des grognements exaspérés, alors que notre expédition s'éternise. Je m'éloigne un peu de lui et arrête Willow, juste pour écouter un instant. Je respire le moins fort possible et tends l'oreille. Rien. Rien que les insectes qui bourdonnent, les montures qui renâclent et Craig qui soupire. Tout à coup, un craquement de branche provenant d'un petit groupe d'arbres. Je pars à fond en direction du bruit, bien décidée à montrer à Craig ce que j'ai appris.

— Il est là, je crie en repérant la bête.

J'arme mon lasso, les cuisses contractées sur ma selle, et le fais tourner dans les airs. Je sens le poids maintenant presque familier de la corde tirer sur le nœud ; il me faut le bon angle. Le veau s'éloigne maladroitement ; comme par instinct, Willow le suit. J'entends le nœud au-dessus de moi fendre l'air ; soudain, je le sens, c'est le bon moment. Je lance et vois la boucle aller se déposer en douceur autour du cou de l'animal terrorisé.

— Bien. Resserre le nœud et tiens bien la corde.

Je sursaute ; concentrée je n'ai pas entendu le rancher arriver à mon niveau.

— Maintenant, descends et va le mettre au sol.

J'attrape les pattes arrière de l'animal et le force à s'étendre dans l'herbe. Dans l'opération, il m'envoie un coup de sabot dans le tibia, mais je suis trop concentrée pour sentir la douleur. J'ai une mission : ramener ce petit à sa mère, et la cowgirl en moi compte bien réussir !

Une fois le veau ficelé, je lève enfin les yeux vers Craig qui n'est pas descendu de cheval. Il me toise d'un air amusé, et peut être même un peu impressionné. Et moi, je suis fière, et essoufflée, et bordel qu'est-ce que j'ai mal au tibia !

Cette journée est une pure merveille ! Après la récupération de veau plus que brillante de ce matin, j'ai gagné le droit d'aller en ville avec Jessica. Elle doit y déposer sa récolte de légumes printaniers et compte en profiter pour me faire faire le tour. En fait de ville, Baxton est plutôt un genre de gros village. Un drugstore, deux ou trois restaurants, quelques boutiques de fringues... rien de bien excitant pour une citadine comme moi. Je parie que tout le monde se connaît et qu'il ne s'y passe pas grand-chose.

Nous nous arrêtons au Mercedes' Grill et je donne un coup de main à Jessica pour décharger les cagettes des premières patates douces de la saison. La gérante nous accueille à bras ouverts, et je me rends compte à quel point les Thompson font attention à bien articuler quand ils s'adressent à moi. C'est simple, je ne comprends absolument rien à ce que les deux femmes se disent. Moi qui pensais avoir progressé... Du coup, j'en profite pour étudier les lieux ; les lambris de bois sombre aux murs, les grandes lampes, les tables dépareillées : tout dans cette pièce est confortable et accueillant. Il flotte une odeur de viande grillée qui me met l'eau à la bouche. D'ailleurs, mon estomac gronde, même si j'ai mangé il y a seulement deux ou trois heures. Ce pays est en train de me transformer en Gargantua.

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