Chapitre 14

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Les jours qui suivent, j'arrive avec une certaine adresse à éviter les deux cowboys. Je ne vois pas Tiago une seule fois, et je croise Ricky, ou le repère de loin, mais j'arrive à m'échapper avant qu'il ait le temps de faire quoi que ce soit. Pendant les repas, je m'évertue à m'asseoir loin de lui. Les regards d'excuse qu'il me lance sont la preuve qu'il a compris et il semble avoir suffisamment honte de lui pour avoir le bon goût de me laisser tranquille. Cette constatation me rassérène.

La semaine n'a pas été chouette pour autant. La vague de colère que je ressentais s'est peu à peu retirée et a laissé place à une plage de sable aride, moite, collante, et démoralisante. Et l'ombre de mon projet de master insipide plane, menaçante, au-dessus de moi. Je n'ai rien fait. Rien du tout. Pas la moindre piste, pas une seule idée. Je me décourage. Tout ça tombe au pire des moments. Je suis blessée par les deux coqs, mon égo en prend un coup avec des commentaires sur mon travail que je ne sais pas comment interpréter, et je me sens soudainement terriblement seule.

Des questionnements un poil mélodramatiques s'entremêlent dans ma tête, sur mon avenir, et jusqu'à mon utilité sur cette planète. Je constate à quel point je manque de discernement, d'ambition, de confiance en moi. Je suis arrivée ici en me disant que ce n'était qu'un moment à passer et que ma vie reprendrait son cours après, mais il est de plus en plus évident au fil des jours que ce n'est pas le cas. Mes certitudes se sont effondrées avec une terrifiante rapidité, comme si tout ce que je connaissais de moi jusqu'ici n'était qu'un château de cartes. Je me retrouve perdue, isolée, incapable de quoi que ce soit. Je m'en veux que l'histoire avec Tiago et Ricky me parasite autant ; ça me renvoie une image de moi qui me déplaît au plus haut point : une fille faible et dépendante. Je suis une loque.

Les Thompson se sont rendus en ville pour voir l'avant-dernier round du rodéo. Ils ont embarqué avec eux une Martha guillerette, et j'ai donc la maison pour moi toute seule. J'ai honte, mais je ne me sentais pas la force de les accompagner. J'ai prétexté un mal de tête et suis montée dans ma chambre. Par la fenêtre, je regarde la prairie qui commence à fleurir ; une petite brise anime les herbes qui ondulent paresseusement, et les derniers rayons du soleil narguent la lune qui s'est déjà levée. Les deux astres se toisent, la lune prend l'ascendant, et le jour laisse finalement galamment la place à la nuit.

Je prends mon téléphone, les yeux dans le vague et j'appelle Julie. Pas de réponse. J'ai envie de pleurer. Et quand j'ai envie de pleurer, la meilleure chose à faire c'est de me mettre la musique à fond dans les oreilles. Au fil des notes et des basses, je sens mes muscles se détendre un peu, tandis que je regarde mon reflet blafard dans les carreaux. Je me sens comme une héroïne romantique qui attend inlassablement une lettre de son amant riche et secret. Il ne manque que la pluie qui ruisselle sur les vitres, et la lumière tremblotante de la flamme d'une bougie. Quelle connerie ! Je retrouve un peu le sourire. Pour une fraction de seconde.

Meadow et son cavalier viennent de faire irruption au bout du champ. Lancé à toute allure, le cheval s'arrête au coin de la maison et Tiago disparaît. Je pose mes écouteurs, et panique en entendant la porte d'entrée claquer.

Il va bien se rendre compte qu'il n'y a personne et partir.

Un raffut dans la cuisine, il tire une chaise. Mon estomac se noue. Je ne veux pas qu'il sache que je suis là ; me retrouver seule avec lui dans la maison silencieuse serait hyper gênant. Et je suis toujours en colère contre lui. Les propos de Ricky me reviennent : il est malhonnête. Même si je n'apporte que peu de crédit à ce que dit ou fait Ricky, la question m'effleure : et s'il était venu pour voler quelque chose ? Je secoue la tête. Quel voleur entre par la porte d'entrée et s'assoit à table ? Je tends l'oreille ; je n'entends plus rien.

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