Chapitre 3

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Ma première semaine au ranch est éreintante. Entre mes muscles qui ont tout bonnement abandonné la partie, mes entraînements au lasso – c'est marrant hein, mais pas incroyablement utile, le jet-lag, et mes efforts constants pour comprendre ce qu'on me raconte, je me couche tous les soirs lessivée. Et toujours pas de nouvelles de Mr. Chiodo. Le point positif, c'est que je n'ai jamais aussi bien dormi de ma vie : une vraie masse. Mais je sens que mon anglais progresse – j'ai même sincèrement ri à une blague hier soir, si si ! –, et je suis de plus en plus à l'aise sur l'exploitation. Tous les matins au petit-déjeuner, on me confie des tâches simples, mais je les exécute avec efficacité, et je suis presque autonome. Sans aller jusqu'à dire que ça me plaît, je dois admettre que l'expérience est rafraîchissante.

Malgré tous ces changements, il me reste une petite boule dense et serrée dans le creux du ventre. L'inconnu du lendemain, qui fait tourner mes neurones accros au stress en arrière-plan, le sentiment que je n'ai jamais le temps de me préparer à la suite. La maniaque du contrôle dans ma tête ronge son frein, rue, fulmine de frustration. Sur l'exploitation, on ne peut quasiment rien planifier ; on dépend du temps et des imprévus, entre autres. Et ça, c'est l'horreur pour une fille comme moi dont la moindre minute est rentabilisée et optimisée depuis l'enfance. Alors pour me calmer et tenter de retrouver un semblant de contrôle, je dresse des listes. Ce que je pense devoir accomplir pour la ferme, ce que j'aimerais prendre le temps de faire pour moi, ce que j'aimerais savoir exprimer à la fin de la journée... Mais les cases qui font face aux lignes de mon écriture serrée restent trop souvent vierges de toute coche. M'organiser me rassure, mais ici, c'est tout simplement impossible. Je me rends bien compte qu'il faudrait que j'arrive à lâcher prise et à accepter les impondérables, mais c'est vachement plus difficile que le lasso. Surtout qu'aucun cowboy craquant ne peut m'apprendre ça.

Pour fêter mes progrès, ce soir je décide de m'accorder un bain moussant ; mon pauvre corps a besoin d'un peu de douceur. Je barbote avec délice dans l'eau fumante parfumée à la lavande ; un filet d'air vient me chatouiller la nuque et me fait frissonner. Les derniers rayons du soleil jouent sur les grosses bulles irisées que je m'amuse à faire exploser. Par la fenêtre entrouverte dans mon dos, j'entends les voix de Booker et Ricky qui boivent un verre sur la terrasse. Je tends l'oreille au milieu du crépitement de la mousse. Et non, la curiosité n'est pas un vilain défaut, c'est le signe d'un esprit sain et avide de connaissances.

— Je te jure, cet étalon, c'est un vrai démon. Impossible de l'approcher. Je ne sais pas quelle idée Andie a eu de le récupérer. On a même pas encore notre maison qu'elle se voit déjà en grande propriétaire. Je vais faire quoi d'un cheval fou, moi ?

— C'est une belle bête ?

— Pour sûr ! Il est splendide ! Mais à quoi ça peut bien servir avec un caractère pareil, hein ?

— Amène-le demain.

— Depuis quand t'es dresseur de chevaux toi ?

— La saison des rodéos va commencer bientôt, j'ai besoin d'un peu d'entraînement.

La réponse de Ricky est bizarrement excitante. Ce mec est un cowboy, un vrai de vrai. Loin de moi l'idée de mettre les gens dans des cases, mais il coche toutes les cases du cliché, sa peau léchée par le soleil, ses mains rendues rugueuses par le travail, son cul – on va pas se mentir, bien sûr que j'ai regardé – superbement dessiné dans ses jeans poussiéreux. Les images de torses sculptés dorés par les rayons du soleil qui me viennent en tête sont à deux doigts de m'emporter très loin, quand des bruits de sabots retentissent dans l'allée.

— Super, le Mexicain... crache Ricky tellement bas que je l'entends à peine.

Pour toute réponse, Booker salue le nouveau venu avec entrain.

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