Chapitre 8

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Quand je descends une demi-heure plus tard pour manger, je trouve Craig et Jessica assis à table avec Tiago. Il est pas encore parti celui-là ? Je lui lance mon habituel regard noir, auquel il ne réagit absolument pas. C'est vexant : il se sent tellement supérieur qu'il se fiche complètement de ce que je peux bien penser de lui. Je grince des dents.

— Ah, tout le monde est là ! À table alors, annonce Andie, qui remue le contenu d'une opulente casserole.

Je suis contente qu'elle passe la soirée à Thompson Blossom, ça détendra un peu l'atmosphère. Je m'assieds le plus loin possible de Tiago. Pas de chance pour moi, le paternel en décide autrement, et le place juste en face de moi, Andie à ma gauche. En bout de table, à ma droite, Martha, comme à son habitude, est silencieuse, mais son œil vif observe.

— Ricky ne mange pas avec nous ? je demande le plus naturellement possible.

— Non, il est sorti en ville.

Dommage.

Le nez dans mon assiette, je le vois du coin de l'œil jouer avec sa fourchette. J'ai rapatrié mes pieds sous ma chaise avec une pointe d'agacement quand ses grandes jambes ont envahi mon espace personnel. Craig et Booker sont lancés sur les prix des bêtes, Jessica et Andie parlent chevaux. J'ai bien essayé de m'intégrer à leur discussion, mais elles parlent trop vite et honnêtement, je n'y connais pas grand-chose. Alors je reste silencieuse. De mon côté de la table, l'ambiance est incroyablement... inexistante. Ça en devient pesant.

Je m'en veux d'être à ce point consciente de sa présence, j'aurais aimé pouvoir simplement l'ignorer, mais jusqu'à sa façon de manger sa salade m'exaspère, assis bien droit, il plie les feuilles, attentif à ce qui se passe autour de lui ; rien ne dépasse. Je suis mal à l'aise, et quand je suis mal à l'aise, je panique.

— Tu crois que tu vas réussir à dresser Crésus ? je demande un peu précipitamment.

Il lève des yeux surpris vers moi en mastiquant. Les muscles de sa machoire jouent sous sa peau alors qu'il me fixe droit dans les yeux, son visage insondable. Il prend son temps avant de me répondre. J'attends comme une parfaite idiote, en refusant de baisser le regard. J'aurais jamais dû l'ouvrir.

— Oui.

Soulagée d'avoir obtenu une réponse, je poursuis :

— Dans combien de temps ?

— Aucune idée.

Puis il enfourne une nouvelle fourchette de salade dans sa bouche et tourne la tête vers Craig, manifestement plus intéressé par ce que raconte le vieux que par mes tentatives désespérées de faire la conversation. C'est hyper-humiliant. Je fais des efforts, j'essaye, mais franchement, c'était la dernière fois. Andie amène un monstrueux plat de purée, qu'elle arrose d'une sauce fumante. Excellente diversion. Je me sers une énorme portion, l'agacement rendant mes gestes un peu excessifs, et enfourne une pleine cuillère dans ma bouche. C'est brûlant. Mais, méga chaud. De surprise, de douleur, je lâche mes couverts dans mon assiette ; la nourriture gicle. Il y en a partout. Je ventile ma bouche avec mes mains, en marmonnant, les larmes coulant de mes yeux dans un réflexe pathétique. Quand je me reconnecte avec le monde autour de moi, je trouve cinq paires d'yeux qui me regardent interloquées. Puis, dans le silence, résonne le grand rire de Craig. J'ai de la purée partout, je suis écarlate. Je suis ridicule. Et ma langue n'est plus qu'un tas de cendres.

Tous sont hilares, sauf Tiago, qui me regarde curieusement. Lui aussi a été touché par l'explosion alimentaire ; des tâches collantes jaunâtres maculent son t-shirt et ses cheveux. Il a attrapé un torchon derrière lui, qu'il me tend après s'être sommairement essuyé. Tandis que, morte de honte, je m'emploie à me débarbouiller, les conversations reprennent. Quand je lui rends le chiffon, il esquisse un sourire.

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