Chapitre 19

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— Bon, je crois qu'on est vraiment coincés, confirme-t-il avec une grimace, en redescendant les quelques marches qui mènent à la trappe dans le plafond. Je pense que la maison s'est écroulée sur nous... Un tas de poutres a dû recouvrir la sortie.

— On va faire quoi ? je demande, anxieuse.

Certes, la soirée et la nuit se sont plutôt bien passées, et on s'est même amusés, mais je ne me vois pas poursuivre comme ça pendant une semaine. Ou deux. C'est comme le camping : quelques jours, pas plus. Et au camping, y'a des toilettes ! Pas dans notre cave. Tiago sonde la dalle au-dessus de nous, dans l'espoir de trouver une faiblesse, un endroit où il pourrait pousser et créer une ouverture, mais c'est peine perdue. La tension que nous avons fuie la veille nous revient en pleine face, et bien plus forte. Pas de téléphones, aucun moyen de sortir... on est mal barrés.

— On va attendre, dit-il avec un mouvement d'épaule agacé.

Je me suis éveillée avec un atroce mal de crâne, auquel s'ajoute à présent une furieuse envie de tout casser.

Les heures passent lentement. Très lentement. Notre intimité de la nuit s'est évaporée avec une rapidité ébouriffante, laissant dans son sillon un malaise palpable. Tiago est adossé au mur, assis par terre et il ne fait absolument rien. Il a remis son ignoble chemise orange dont quelques boutons sont défaits. Par la pensée, j'essaye de faire sauter les derniers, histoire de voir ce que mes mains ont touché pendant la nuit. Assise de l'autre côté de la cave, je l'observe, à l'abri de l'obscurité. Je détaille son visage ; ses lèvres délicatement arquées sont crispées dans une moue anxieuse et ses sourcils sombres contractés font apparaître un sillon profond sur son front. Il semble préoccupé et triture un fil qui dépasse de ses vêtements. Ses cheveux en bataille tombent devant ses yeux et ombrent son visage, le rendant encore plus ténébreux que d'habitude.

L'ennui et le manque de sommeil me plongent dans une torpeur oppressante, dans laquelle mes cauchemars et mes fantasmes se confondent. J'ai envie de frapper Tiago, j'ai envie d'embrasser Tiago. J'ai envie de déshabiller Tiago. J'ai envie de déshabiller Tiago ! Cette prise de conscience me ramène violemment à la réalité. Sobre, ma lucidité revient à la charge : Ma vieille Manon, tu n'apprends donc jamais tes leçons ? Je me suis promis de me tenir loin de ces deux cowboys, et j'ai des raisons qui me semblent parfaitement valables. Alors je remballe mes hormones et je salue respectueusement la frustration que je laisse s'installer au fond de mon ventre.

Je l'entends souffler et respirer par à-coups ; il a l'air de s'amuser au moins autant que moi. La réalité de notre situation me heurte alors de plein fouet, et le sentir angoissé, lui qui est d'habitude si sûr de lui, ne m'aide pas. Je suis enfermée dans une cave avec un mec que je n'aime pas mais qui a un corps parfait et des yeux hypnotisants, et j'ai plusieurs façons statistiquement plausibles de mourir dans cet endroit : de froid, d'asphyxie, de vieillesse, d'ennui, ou étranglée par un Tiago sur les nerfs. Ces perspectives me dépriment encore un peu plus, et j'ai peur. Des larmes montent à mes yeux ; je me sens soudainement très mal. Un nœud énorme bloque ma gorge et m'empêche de respirer. La crise d'angoisse me saisit ; je sens mes doigts fourmiller, ma mâchoire se crispe, mes mains se contractent, alors que les scénarios les plus terrifiants se forment dans ma tête. Je me force à inspirer lentement mais mes larmes silencieuses se transforment en sanglots que je ne peux pas retenir.

— Geneva ?

Sa voix est lourde d'appréhension. Je ne réponds pas, concentrée sur ma respiration. Je veux oublier qu'il est là, j'ai besoin d'être seule avec moi-même, de me centrer sur mon corps, sur l'air qui doit entrer dans mes poumons, puis en sortir. Sa main se pose sur mon épaule et j'ai un mouvement de recul. Il s'écarte, surpris et inquiet.

TornadesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant