Chapitre 8 :

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C'est quoi cette façon d'interpeller un étudiant.  Je n'ai pas été menotté.  Ils m'ont juste traîné de force.  j'étais obligé de suivre tranquillement sinon je paraîtrai suspect.  Dans la voiture j'avais chaud. Je commençais à me poser des questions bêtes.  Très bête même. Du genre : Quel est le synonyme du mot synonyme ? Que mime un mime lorsqu’il mime un mime ? Est-ce que les baisers meurent quand l’amour s’en va ? Est-ce que l’eau de vie est plus concrète que l’au-delà ? Si une perle naît d’un caillou dans une coquille, Est-ce qu’un printemps éclot d’un mois de mai dans une jonquille ? Est-ce qu’un secret résulte d’un tabou dans une cachoterie ? Les excuses proviennent-elles d’un contrecoup que l’on oublie ?
Je me demande bien si tout vas bien. Et ben j'espère que oui.

Arrivée au commissariat,  on me place dans une salle vide. Sur une chaise,  on me demande de patienter.  Le gars repart et ferme la porte.  C'était trop calme. Pas de bruit,  tout comme nuit et je pensais à huit. L'agent qui devait m'interroger vient d'arriver.  A peine,  pousse- t'il la porte,  je me perd. Il se rapproche de moi. Il me regarde d'un air sérieux,  il redresse ma tête et m'appelle par mon nom.

- Issaga,  c'est ça ?

- Oui, c'est bien moi, répondis-je en tremblant de peur...

- Vous connaissez Fatou Bintou ?

- Quelle Fatou..Bin....

Je n'ai à peine terminé ma phrase,  il tape sur la table.

- Je ne suis pas là pour jouer.

- D'accord.

- Je repose ma question.  Connais-tu Fatou Bintou...?

- Oui, je la connais,  c'est mon amie. 

- Vous êtes la dernière personne à l'avoir vu selon les témoins,  où est-elle?

- Je n'en sais pas grand chose.  On s'était vu pour parler de son copain.

- Quel copain ?

- Il s'appelle Saiou. Ils avaient un soucis concernant leur relation et elle voulait que je le règle.

- Quel genre de soucis ?

- Fatou sortait avec son prof de TD. Et elle voulait pas que je le dise à Saliou.

- Donc, vos profs sortent avec leurs étudiantes ?

- Oui à l'université Gaston Berger,  certains profs de TD sortent avec les étudiantes et leur promettent en retour de bonnes notes.

- Ah bon, le directeur le savait il ?

- Non, le directeur n'était point au courant de ces magouilles.  Parfois même aux examens oraux,  il y avait une interrogation ségrégative vis-à-vis de certains étudiants. Les autres passaient et émargeaient,  obtenaient toujours la moyenne. 

- Et pourquoi vous ne le dénoncez pas ?

- Je serai renvoyé.  Mais dites-moi,  on a retrouvé Fatou ?

- Non pas encore,  mais on cherche.  Merci Issaga, pour cette fructueuse échange.  Et désolé pour l'accueil.  Vous m'avez beaucoup appris.  Prenez ça,  ça vous servira de transport. Et voici ma carte,  appelez-moi s'il y a du nouveau. 

Il repart et laisse la porte ouverte.  Je me lève et me dirige vers la sortie.  Ils m'ont rendu mes bagages.  Je suis de nouveau libre. 

Je suis de retour au campus.  Est-ce vous avez  déjà eu le sentiment de rencontrer quelqu’un qui n’existait pas ?

Imaginez.....

......

Ce genre de personnage fictif que vous croisez dans un polar qui vous semble tellement réaliste et mille fois mieux dessiné que vous, parce que vous l'avez créé en 3D dans votre carte mémoire. Et bien oui, j'en ai moi. Je pensais avoir perdu tout ça.  Ce plaisir,  cette joie de vivre librement.  C’est comme une ombre de spleen coloriée à l’encre noire ou un croquis au fusain griffonné à main levée avec une peau de papier où chaque pli serait un code barre.
Et vous n'osez  pas lire entre les lignes, sinon vous allez  les froisser.

Et bien oui, j'avais un amour,  une fille à qui j'ai pensé aussi.

Imaginez..

Elle est comme un hologramme que tu croises dans la rue que tu regardes traverser, qui marche toujours devant toi quand tu accélères pour la rattraper, pour lui parler, lui sauter dessus, elle  avance de plus en plus vite, elle avance au rythme de tes pas. Tu  la cherches partout du regard, dans chaque foule, sur chaque trottoir, sur chaque quai de chaque gare
Parfois, tu l’entends rigoler, tu as l’impression qu’elle est là, au fond du couloir. Alors tu sors, tu allumes ton radar et “paf”, elle  a disparu, comme par hasard. Cette fille me faisait rêver.  Puis la nuit, elle  te réveille en mettant tes rêves en sourdine, elle s’agenouille au pied de ton lit pour chuchoter dans tes oreilles, te parler de ta propre vie qu’elle connaît comme une vieille copine
Toi tu restes figé à l’écouter, comme un lingot d’or platine.  Pendant ce temps, elle relate tes faits et gestes qu’elle a épiés.
Elle connaît tes goûts, tes peurs, les rages que t’as pas digérées.
Tes passions , tes rêves, les trucs que tu adores et quand tu ouvres les yeux pour la faire taire, elle se retourne et puis elle s’endort. C’est bon non, vous me suivez jusque là ? Elle est partout, tout le temps, par tous les temps.
Elle écoute aux portes et même à la serrure,
Chacun de ses mots me fait l’effet d’un coup de poing dans la figure sous mon armure de guerrier, je cache les traces de ses blessures

Elle m’envoie des avions en papier qui se faufilent par mes fenêtres et quand elles sont fermées, elle me les glisse entre deux lettres, sur chaque aile il empile des poèmes qui se superposent. Elle dit que ses yeux picorent ma nuque qu’elle a décrit dans sa prose

Quand je chante sous la douche elle fredonne les deuxièmes voix
Elle savonne mon corps en me frôlant de ses dix doigts. Les bulles multicolores s’envolent sous les gouttes d’eau. J’ai comme l’impression qu’elle me fait un lavage de cerveau. Pour les pauses déjeuner ellr me fait croire qu’elle vient manger,  je réserve toujours des tables à deux qui finissent par être annulées. Personne ne s’excuse, il n’y a que moi que ça choque, et quand je commence à m’énerver elle vient me dire que je débloque. Parfois, elle m’attend à la sortie du job avec des fleurs, mais quand je m’approche, elle  s’éloigne, comme si c’est moi qui lui faisais peur. Quand je rentre chez moi, c’est pas rare qu’elle soit déjà sur le canapé et t quand ma porte est fermée, elle  tourne en rond assis sur l’escalier. Elle n’est jamais vraiment là, mais moi je ne suis jamais vraiment seule quand elle n’est pas ici, c’est qu’elle préfère voir d’autres gueules
Qu’il se bat pour d’autres causes, qu’elle recherche un autre emploi, qu'elle crée d’autres psychoses avec son pouvoir sournois

Je n’ai jamais touché sa peau, je n’ai jamais frôlé sa paume. Je n’ai jamais vu son ombre, il est aussi pâle qu’un fantôme. Quand j’avale mes médocs elle s’assied dans le pas de la porte et elle me fixe d’un air loufoque comme si elle me voyait déjà mort.  On a refait le monde pendant des heures attablés à des comptoirs. Les gens me regardaient toujours attristés, comme si j’étais le veuve noir

- Isaga, Issaga,  tu as quoi ?

- Euh désolé,  j'étais ailleurs..

- Waw kay t'étais trop concentré. 

J'avais voyagé un instant.  Mais bon je suis de retour.  Alhamdoulillah. 
Je prends mon téléphone pour appeler l'agent.  J'ai décidé de tout lui dire.

- Bonsoir monsieur !

- oui Bonsoir Issaga,  heureusement que t'ai appelé.  Nous avons arrêté ton ami..Nous allons lui poser quelques questions.  Tu peux venir si tu veux. 

Et il raccroche. Saliou est arrêté,  mais pourquoi ? Je suis foutu. Je prend départ pour la chambre de la fille qui détenait le téléphone.  Une fois là bas, on m'informe qu'elle est partie à Dakar.  La chambre d'à côté.  Elles m'ont remis son numéro. 

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