Chapitre 18 : Issaga insensible

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Il était l'heure de rentrer. Rose le savait bien. La fille prend départ. Je ne l'ai pas raccompagné. Je suis resté tranquille. Je l'ai juste fait une bise. Elle était bien satisfaite. C'était une évidence.
Je vais à présent me coucher. Prendre mon livre de droit civil et réviser.
Je n'ai plus le temps pour les amitiés.

S'il est rare de trouver des amis, n'est-il pas à peu près aussi rare qu'on en cherche réellement. Je vois l'intérêt ou le plaisir rompre des noeuds légers, formés pour un seul jour, et j'entends accuser l'amitié, qui, cependant, leur était étrangère !

On aime son ami sans intérêt vulgaire, on l'aime pour en être aimé ; il fait partie de notre famille : un ami est un frère que nous avons choisi. Je n'avais que Saliou comme ami. J'ai sacrifié ma vie pour ce salo.

Tous les échanges sont avantageux avec un être qu'on aime et dont on est aimé. S'il souffre, on partage ses peines ; mais la douleur qu'on ressent est adoucie par la certitude d'alléger la sienne, et par cette émotion qui naît dans notre âme aussitôt que nous remplissons un devoir. Lorsqu'à son tour on éprouve un revers, au lieu de se trouver seul avec le malheur, on reçoit des consolations si tendres, si touchantes qu'on cesse d'accuser le sort pour bénir l'amitié.

Un ami est d'une autre nature que le reste des hommes. Ceux-ci nous dissimulent nos défauts, ou nous en font apercevoir avec malignité ; un ami nous en parle sans nous blesser ; il nous reproche nos fautes, et, dans le monde, il sait les excuser.

On ne sent à quel point il peut être cher qu'après avoir été longtemps le compagnon fidèle de sa bonne et de sa mauvaise fortune. Que d'émotions on éprouve en se livrant au souvenir des périls communs, si l'on a traversé avec lui les orages d'une longue révolution ! Ce n'est jamais sans attendrissement qu'on se dit : Nous avions mêmes pensées et mêmes espérances ; tel événement nous pénétra de joie, tel autre nous fit gémir. Unissant nos efforts, un jour nous parvînmes à sauver un infortuné ; il nous pressa tous deux ensemble dans ses bras. Bientôt des dangers nous menacèrent : il fallut fuir, le sort, nous sépara ; mais nous étions toujours présents l'un à l'autre. Il craignait pour moi, je craignais pour lui. Je lisais encore dans son âme ; je disais : Telle frayeur l'agite, il forme tel projet, il conçoit telle espérance. Enfin, nos peines ont disparu ; et combien le repos a de charmes ! nous le goûtons ensemble.

C'est une absurdité que de s'enorgueillir de la réputation d'un homme à qui l'on est uni par les liens du sang ; mais on peut être fier des rares qualités de son ami. Les noeuds qu'il a formés ne sont point l'ouvrage du hasard ; et, puisqu'on a mérité son estime, on lui ressemble au moins par les qualités du coeur.

Je prends une haute opinion de l'homme à qui j'entends exagérer ou les talents ou les vertus de ses amis. Il possède les qualités dont il parle, puisqu'il a besoin de les supposer à ceux qu'il aime.

En révérant l'amitié, ne craignons point d'assigner le rang qu'elle doit occuper dans nos coeurs. Une femme est la véritable compagne de notre destinée, et l'amitié ne doit être que l'auxiliaire de l'amour.

On ne profane point le nom d'ami en le donnant à plusieurs hommes, s'ils inspirent une haute estime, un tendre intérêt, si l'on ressent toutes leurs peines, tous leurs plaisirs, et si l'on est capable de dévouement envers eux.

Oh ! pourquoi l'amour et l'amitié peuvent-ils cesser d'exister ? Pourquoi ne sont-ils pas éternels dans tous les coeurs ? Si l'on est trompé dans ses affections, le plus sûr moyen d'adoucir sa douleur est de former encore des résolutions généreuses pour conserver, pour exalter l'estime de soi-même. Si ton ami t'abandonne, si ta femme se rend indigne de ton amour, n'ajoute pas au poids de tes chagrins le fardeau de la haine ; qu'elle ne prenne jamais la place des sentiments qui faisaient ton bonheur : pardonne aux êtres dont tu fus aimé les peines qu'ils te causent, en te souvenant des jours qu'ils ont embellis pour toi.

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