12. Ariel

43 4 8
                                    

Un petit cachet blanc, deux petits cachets blancs, trois petits cachets blancs... Un verre d'eau, un goût atroce dans la bouche, mais c'est le goût de la vie, alors on sourit.

Tête dans le coaltar, j'engloutis mes trois cachets d'un coup et retiens une grimace de dégoût. Au radar, je fonce me préparer un thé, et me frotte le visage pendant que l'eau bout. Nuit de merde.

La prise de ces médicaments peut vous conduire à plusieurs effets indésirables, telles que les insomnies, une irritabilité chronique, parfois des hallucinations.

Je m'installe à table et commence à manger. Je pourrais manger un repas pour quatre personnes, tant j'ai faim. Faim, et soif.

Votre appétit sera également décuplé, et une prise de poids est inévitable.

Mon repas terminé, je fonce à la douche. Je me rase en vitesse, ose à peine me regarder dans le miroir. Mon visage et mon corps changent, et je n'aime pas ça.

Votre visage deviendra donc certainement plus rond. Il est aussi probable que vous ayez des poussées d'acné, une peau plus fragile, mais aussi que vous ayez du mal à cicatriser si vous vous blessez.

Les quelques boutons qui parsèment mon menton et mon front me font serrer les dents. Adolescent, je n'ai eu aucun problème de peau ; voir ces irrégularités sur mon visage me contrarie. Mais ce traitement m'évite de souffrir à longueur de journée, alors je ne me plains pas.

Je frotte mon cou malgré moi : je sais ce qui y pourrit à l'intérieur, et qui me gâche la vie. Un lymphome, de ce que le médecin m'a dit. Un grave. Un mortel.

Je suis désolé, monsieur. Je ne peux rien faire pour vous.

Le médecin m'a examiné sous toutes les coutures, a soupiré de trop nombreuses fois, et m'a annoncé ma sentence. Pas besoin d'examen complémentaire, a-t-il ajouté. Mon sort est déjà scellé.

Je vais vous prescrire des corticoïdes, contre la douleur, mais je ne peux rien faire de plus. Revenez me voir si vous en avez besoin, mais je vous invite plutôt à prendre ce traitement et à vivre votre vie sans y penser. Avec ce genre de maladie, vos chances de survie sont nulles.

Son ton péremptoire résonne dans mes oreilles à longueur de temps. Son visage de crocodile me hante. Ce pauvre docteur n'y est pour rien, si je suis malade. Je ne peux toutefois m'empêcher de le voir comme mon bourreau.

Il vous reste moins d'un an, monsieur Hopfield. Profitez-en bien.

Ces phrases pourraient paraître cyniques. Elles sont juste cruelles. La vérité est cruelle. La vie est cruelle.

Je n'ai rien dit à mon père ; il a déjà trop souffert de la mort de Maman. Je refuse qu'il s'inquiète pour moi trop tôt.

Je n'ai pas cherché à en savoir plus sur ma condition non plus. Je crois le médecin. Il me reste un an : cette information me suffit.

J'avais déjà conscience de la mort ; plutôt facile, quand l'un de ses parents meurt tôt. Toutefois, rien ne m'avait préparé à cette angoisse omniprésente qui m'habite désormais. J'imagine mon corps pourrir sous terre, rongé par les vers. Je me figure souffrir avant de mourir, suffoquer, et décéder d'un coup. Je pense au visage ravagé de mon paternel devant mon cercueil.

Je devrais mourir dans l'été. Prévoir la date de sa mort est difficile, mais je le sens au fond de moi. J'aurais droit à un enterrement sous le soleil d'août, par une chaleur écrasante. Ma tombe, à côté de celle de ma mère, brillera de mille feux, et quelques gerbes de fleurs – des œillets, les préférées de Maman – y trôneront. J'espère porter des habits convenables. Il faut que je pense à indiquer dans mes dernières volontés que je refuse d'être vêtu de noir.

Aime-moi si je mensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant