1. Pixie

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— Tu es sûre que ça ne te dérange pas ?

Les yeux mirabelle de Maeve me détaillent avec un mélange d'expectative et de supplication.

— J'en suis sûre, ne t'en fais pas.

J'ajoute un petit sourire, et le tour est joué : la bouche de mon amie s'étire en un arc rosé qui témoigne de son soulagement.

— Je suis tellement soulagée, tu n'imagines pas à quel point ! s'exclame-t-elle avant de prendre une gorgée de son bubble tea. J'avais vraiment peur que tu le prennes mal, et que notre amitié soit ruinée juste à cause d'un garçon.

« Juste un garçon », c'est vite dit. Parce que ce garçon, c'est Drew.
Le beau gosse avec qui je suis sortie pendant près d'un an, et que j'ai quitté au printemps dernier parce que je jugeais que notre amour n'était plus assez fort. C'est le garçon que j'ai le plus aimé, pour lequel j'ai le plus pleuré, avec qui j'ai le plus ri. Et c'est désormais celui dont Maeve est amoureuse.

Même si c'est un peu en serrant des dents, je rassure mon amie :

— Mais non ! Je te promets que si ça me gênait, je te l'aurais dit. Et nous n'allons certainement pas laisser un homme s'immiscer entre nous !

Je pose ma main sur la sienne et termine :

— Tant que tu es heureuse, moi aussi.

— Tu es un ange, Pixie. Ça fait des semaines que je veux te l'avouer...

Des semaines ?

— ... et je regrette maintenant de ne pas l'avoir fait plus tôt. Je sais que je n'aurais pas dû te le cacher, sauf que je n'arrivais pas à en parler. Et ce matin, je me suis dit, « Aller, Maeve, c'est ta journée » !

Je hoche la tête, les yeux rivés sur mon café.

J'étais tellement contente que Maeve se pose enfin avec un garçon ; elle n'a cessé d'enchaîner les déceptions amoureuses récemment, alors quand elle m'a parlé d'un merveilleux homme ayant conquis son cœur, j'ai sauté de joie avec elle.

« J'ai des papillons, je t'assure ! Et il est tellement drôle !»

Sauf que c'est Drew. Drew.

— C'est normal, Maeve. Mais ne t'en fais pas, ça ne me dérange pas.

Si je devais être honnête, j'avouerais que si, savoir ma meilleure amie et mon ex en couple me gêne. Beaucoup.

D'une, parce que je ne les aurais jamais imaginé ensemble. Quand Drew et moi étions en couple, Maeve et lui se saluaient, mais sans plus.

Ensuite, parce que même si je suis la responsable de notre rupture, les voir ensemble va me faire bizarre.

Surtout, je sais d'avance que Drew n'est bon ni pour Maeve, ni pour moi. Il n'est bon pour personne. Cependant, hors de question que je m'oppose au bonheur de Maeve. Nous sommes amies depuis trois ans, et elle ne m'a pas lâché une seule fois la main depuis. C'est à mon tour de lui rendre la pareille.

— Merci énormément, Pixie.

Je ne peux m'empêcher d'ajouter :

— Il faut juste que tu fasses attention, d'accord ?

Mon ton inquiet ne lui échappe pas.

— Attention à quoi ? À Drew ?

Je hoche timidement la tête, ne sachant comment lui avouer que Drew risque de lui faire du mal, comme il m'en a fait. Mais rien ne sort.

— À rien. Profite, tu le mérites.

Elle passe outre, et me sourit à nouveau, les yeux pétillants.

— Je vais essayer de ne pas trop te parler de lui. Surtout, si j'abuse, arrête-moi, d'accord ? Je ne veux vraiment pas te blesser, je me doute que c'est déjà dur pour toi, alors n'hésite pas.

Je l'arrête aussitôt, ne voulant pas qu'elle panique ou culpabilise :

— Maeve, c'est bon.

Mon ton tranche l'air. Je me radoucis face à sa mine déconfite :

— Parle-moi de Drew autant que tu veux. Notre histoire est terminée depuis bien longtemps, et je suis plus que ravie qu'il soit avec une fille aussi géniale que toi. Je ne pourrais pas supporter que tu culpabilises pour ça, OK ? Et puis...

Je n'hésite qu'une fraction de seconde avant de sortir la plus grosse connerie de mon existence :

— J'ai retrouvé quelqu'un.

Ses paupières s'écarquillent d'un coup, et sa mâchoire manque de se décrocher alors qu'elle s'écrie :

— Quoi ?

Elle écope du froncement de sourcils désapprobateur du serveur, et de plusieurs « chut » sonores.

Elle n'y prête guère attention et me harcèle de questions :

— Comment ça ? C'est qui ? Depuis quand ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

Alors ça, c'est gonflé !

Je passe la main dans mes courtes boucles brunes, regrettant déjà mon mensonge.

— Ce n'est pas encore officiel, on ne fait que discuter.

— Quand même ! Ça fait des mois que tu n'as approché personne. Pas de façon sérieuse, en tout cas.

Depuis Drew, en fait.

Après notre rupture, je me suis focalisée sur mes études. J'ai connu quelques amourettes – c'est-à-dire, des plans d'un soir, voire deux – mais rien d'aussi puissant que Drew.

Je n'ai toujours pas l'intention de me poser, d'ailleurs. Vivre seule me convient très bien pour le moment. Les relations sérieuses ne m'effraient pas, non ; disons que je sais que le grand amour ne m'attend pas, alors à quoi bon le chercher ?

Je voudrais retirer mes paroles, remonter le temps. Faire oublier à Maeve mon mensonge éhonté.

Mais si m'inventer une idylle avec un homme invisible lui permet de ne pas culpabiliser, je nous créerais toute une histoire sans rechigner ; lui raconterais sa fausse vie, ses fausses études, nos faux rendez-vous ; et lui annoncerai notre fausse rupture dans quelques mois.

Même si Maeve m'aime, je doute qu'elle s'investisse à fond dans ma prétendue histoire d'amour, déjà occupée avec Drew.

— Je veux le rencontrer ! s'exclame-t-elle.

Merde.

— Ou la rencontrer ? Peu importe. Cette personne est à la fac ?

Sans attendre de réponse, elle enchaîne, survoltée.

— Je veux tout savoir ! Et dis-lui de venir à la soirée de Lizzie ce soir. Il faut que je le remercie de t'avoir fait sortir de ta grotte anti-amour ! Oh, je suis tellement contente pour toi, Pixie !

Je pense que l'entièreté du café est désormais au fait de ma fausse relation, vu le volume de sa voix. Génial.

— Tu sais, Maeve, comme je te l'ai dit, rien n'est encore officiel...

— « Encore » ! jubile-t-elle. Ça veut dire « bientôt », ou je ne m'y connais pas ! C'est génial, on va pouvoir se faire des sorties à quatre, t'imagines ? Enfin, si tu veux bien voir Drew. On verra ça plus tard. J'ai déjà hâte !

Elle trépigne sur sa chaise. Je tente, moi, d'afficher une mine enjouée – à grand peine. J'ignore dans quoi je me suis embarquée, mais je sens que ce n'est rien de bon.

J'essaye d'esquiver :

— Je ne suis pas certaine qu'il veuille venir, tu sais...

— Demande-lui de faire un effort, expédie-t-elle. On parle de ta meilleure amie, je te rappelle.

Je grimace, camoufle mon visage avec ma tasse fumante. Je marmonne un « je vais voir », écope d'un nouveau sourire de mon amie, et soupire mentalement.

— Je file ! m'informe Maeve. À ce soir, beauté !

Elle disparait dehors, et j'appuie ma tête contre la table.

Je dois trouver un petit-ami d'ici ce soir. Facile.

Aime-moi si je mensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant