23. Pixie

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« Mon père veut que je déjeune avec lui et sa nouvelle femme. Je n'ai pas le choix, en fait »

Assise sur le sol de ma chambre, je m'occupe de mes succulentes en textotant avec Ariel. Je n'ai pas osé lui parler de la soirée chez lui, de son état, de son comportement. De ses paroles.

En général, mes amies me font pas bander, et encore moins quand on se dispute.

J'ignore si cela signifie que je ne suis rien pour lui, ou plus qu'une amie. Mon cerveau fait des nœuds depuis deux jours. Je lui ai enfin envoyé un message pour lui demander quand il voulait qu'on se voie pour notre dernier rendez-vous : nous l'avons fixé à demain, pour pouvoir ensuite profiter des vacances un peu seuls avant la soirée de Maeve, à laquelle il a d'ailleurs consenti d'assister.

De fil en aiguille, nous en sommes arrivés à discuter de nos plans pour Noël. Nous sommes aussi dépités l'un que l'autre de passer nos Noëls en famille. Moi, parce que mes parents sont quasi inexistants, lui, parce qu'il déteste sa belle-mère et son quasi-frère.

« Merde. Pas moyen que tu y échappes ? »

« Aucun. Ils font le 24 chez la famille de Margaret et mon père savait que je refuserais d'y aller, donc il m'oblige à venir au moins le 25. »

« Bon courage. »

Un peu d'eau, je vérifie les feuilles, et le tour est joué.

« Merci. Il va m'en falloir pour ne pas me planter le couteau de fromage dans l'œil. »

« À ce point ? »

Je me lève, pose mon téléphone sur mon bureau, et vérifie mon orchidée.

« Ça va être une torture. »

J'arrose un peu la terre, et ris quand je reçois son message suivant.

« SAUVE MOI »

« Si t'y tiens tant que ça, je peux t'accompagner. »

Je ne sais pas ce qui me prend, de proposer ça. Rencontrer la famille d'Ariel me paraît être un bien trop grand pas par rapport à ce que nous sommes.

« Tu plaisantes ou pas ? »

Je me mords la lèvre devant mon écran.

« Je ne sais pas. Tu voudrais que je vienne ? »

Il met quatre minutes à répondre, qui me semblent comme une éternité.

« Ça rendrait ce repas plus supportable, c'est indéniable. Mais je ne veux pas t'obliger à venir juste pour me soutenir alors que tu as d'autres choses à faire de ton côté. »

« L'unique but est de te soutenir, Ariel. Si ça t'aide, je viens, point. »

En attendant sa réponse, je nettoie mon bureau en vitesse. Je réalise que l'accompagner à ce repas ne me gêne pas le moins du monde. L'épauler me fait plaisir, tout simplement.

Une photo m'attire l'œil. Cachée sous le pot de l'orchidée, elle m'avait échappée. Drew et moi sourions. Mon cœur se serre.

« Alors si tu veux bien venir, c'est avec plaisir. »

Je reprends mon portable et tape un message sans même prêter attention aux touches, obnubilée par la photographie.

« Vendu. On se retrouve chez toi ? »

Mon téléphone sonne et je me doute qu'il a répondu un « oui », mais je ne vérifie pas.

Je prends la photo entre mes doigts, et la contemple davantage. Nous semblons heureux, amoureux. C'était en janvier, le premier. Le jour de mon anniversaire. Nous étions allés au restaurant, avant de se promener dans le parc main dans la main. Nous avons pris un selfie avec le parc enneigé pour fond, et mes yeux scintillent tant j'étais ravie par cette journée, et par le collier portant nos initiales qu'il m'avait offert en même temps.

Temps de qualité, cadeaux offerts.

Il m'avait chuchoté des mots doux tout l'après-midi, et même le soir, dans sa chambre, entre quelques caresses et paroles plus crues.

Mots d'affection, contact physique.

Le lendemain, il m'avait cuisiné un petit-déjeuner, parce que même si ce n'était plus ma journée, j'avais toujours le droit à son amour.

Actes de service.

Je souris. Cette journée était vraiment l'une des meilleures que nous ayons passée ensemble.

Mes lèvres s'affaissent bien vite. Ce Drew là n'existe plus. Et n'a jamais existé.

Je me relève et vais chercher dans mon placard une boîte, dans laquelle j'ai confinée mes souvenirs passés avec Drew. La boîte à chaussures aux coins usés est lourde dans mes main. Quand je retire son couvercle, les souvenirs me reviennent en tête et les larmes me montent aux yeux.

J'en ressors un album contenant d'autres photographies, avec lesquelles je glisse celle juste retrouvée. Nous sourions, nous embrassons. Je ne me souvenais pas d'avoir pris la moitié d'entre elles, et encore moins de les avoir disposées dans un livre. Je mets aussi la main sur le collier qu'il m'avait offert, ainsi que la bague de nos six mois, que j'ai portée même si je ne l'aimais pas. Une fleur séchée se trouve dans un coin, avec un papier sur lequel il avait inscrit son numéro la première fois qu'on s'est parlé. Cela remonte à si loin maintenant, que ses paroles sont floues dans mon esprit. Cependant, l'éclat de ses yeux reste gravé dans ma mémoire. Ses yeux bleus d'amoureux, et ses mots douloureux.

Je referme la boîte violemment et m'affale sur le sol, les yeux rivés au plafond.

À côté du visage imaginaire de Drew se dresse celui d'Ariel, souriant. Je soupire. Je voulais quelque chose de pas prise de tête, mais c'est compliqué à tenir dans la mesure où le voir en pleurs m'a serré l'estomac, qu'il fait des blagues à mourir de rire, que nous nous entendons si bien, et qu'il est si doux. Il est si différent de Drew qu'il me fait du bien.

C'est pour de faux. Je dois me rappeler que c'est pour de faux.

Je plaque un bras sur mon visage, essayant de chasser toutes mes pensées bien trop invasives. Je voudrais cesser de penser – ou en tout cas, de penser aux hommes.

Trois respirations, et je suis repartie prendre soin de mes plantes.

Demain, Ariel et moi sortirons ensemble pour la cinquième et dernière fois. Puis, nous aurons le dîner chez sa famille, et enfin, la soirée du Nouvel An. Après ça, il faudra que j'avoue à Maeve qu'on a rompu. Tant pis si cela fait trop rapide ; j'ai changé d'avis. Il faut que j'arrête d'être avec Ariel, au risque que mes sentiments ne prennent un court que ni lui ni moi ne souhaite.

Il se trouvera une petite-amie super, bien plus faite pour lui que moi, et le tour sera joué.

Je suis capable de faire ça.

Aime-moi si je mensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant