15. Pixie

32 3 7
                                    

— Tu as deux minutes ?

Une voix que je ne connais que trop bien me parvient par-dessus la musique criant dans mes écouteurs. Une voix qui m'a susurré des « je t'aime », qui m'a hurlé des « laisse-moi », qui a chanté faux avec moi. Une voix souple, mais cassante parfois, une voix qui guérit, mais qui blesse aussi. La voix de Drew.

Je relève la tête, et croise son regard perçant. Il porte un pull noué sur ses épaules, elle-mêmes recouvertes d'une chemise à carreaux rose qui lui donne un teint de poupon. Ses cheveux en brosse restent bien en place alors qu'il se penche vers l'avant, dans l'expectative de ma réponse.

Les cheveux d'Ariel, eux, lui tombent toujours dans les yeux.

— Je t'en prie.

Il tire la chaise sans bruit et garde le silence pendant que je retire mes écouteurs. Il finit par se racler la gorge, et entamer :

— Tu vas bien ?

— Super.

Je me force à lui retourner la question, même si ma gorge me brûle.

— Ça va, merci. Tu es belle. Comme d'habitude.

Je triture mon crayon, gênée, et enchaîne :

— Qu'est-ce que tu veux me dire ?

Je n'ai pas de temps à perdre.

— Je suis bien avec Maeve, lâche-t-il. Mais j'étais mieux avec toi.

Je fronce les sourcils, tâchant de réprimer la bouffée d'espoir mesquine dans mon cœur.

— Je te demande pardon ?

— Est-ce que je te manque ?

Je le dévisage, décontenancée.

— Non. Non, tu ne me manques pas. Je ne veux pas de toi, Drew. Plus jamais. Je te veux hors de ma vie, qu'est-ce que tu n'as pas compris là-dedans ?

Mon ton monte sans contrôle, et de grands « chut » nous somment de partir. Je range alors mes affaires en vitesse et pars au pas de course, malheureusement suivie par Drew.

Il fait déjà presque nuit, même s'il n'est que dix-sept heures. Drew et moi sortons dans la cour de la fac ; j'espère que le froid m'aidera à garder mes esprits clairs, parce que là, mon cerveau est tout embrumé.

—Toi, tu me manques, plaide Drew. Ça fait des mois que tu me manques, en fait.

— Tu sors avec ma meilleure amie et je te manque ? Qu'est-ce qui ne vas pas chez toi, Drew, putain ?

Ses sourcils se haussent. Il ne s'attendait visiblement pas à cette réaction.

— Je suis sérieux.

— Non. Tais-toi, va-t-en.

Je prends sur moi pour ne pas lui hurler à la figure que je le déteste de me lancer son amour malsain et ses paroles empoisonnées à la face. Je me contrains à ne pas lui cracher que je le hais de pointer son sourire charmant et son nez un peu de travers devant moi et de s'attendre à ce que je le reçoive bras ouverts.

Je me retiens de le gifler, pour tout le mal qu'il m'a fait en se mettant avec ma meilleure amie, pour toutes les blessures qu'il m'a causées quand nous étions ensemble, et pour toute la souffrance qu'il va inévitablement engendrer chez Maeve. Surtout, je me contiens pour ne pas l'insulter de tous les noms face à l'affront qu'il vient de me faire. Jouer avec moi, OK, mais se foutre de la gueule de Maeve, c'est non.

— Je viens de te dire que tu me manquais et tu t'en fiches ?

Je manque de grogner et lui montrer les dents, tant ses paroles me hérissent.

— Tu n'as pas le droit de dire ça ! C'est méchant pour moi, cruel pour Maeve, et ni elle ni moi ne méritons ça.

— Je ne veux pas être cruel avec elle, contre-t-il, je veux juste être honnête. Nous deux, on était bien, Pixie. Si tu ne veux pas de moi, d'accord, mais cela fait des mois que j'attends que tu reviennes et tu ne fais rien. Tu te mets avec un type qui ne te correspond pas du tout, et même si Maeve est géniale, j'en ai marre de garder mes sentiments pour moi !

La fragilité qu'il dévoile et son apparente innocence fissurent peu à peu la barrière entourant mon cœur. Je résiste encore, avec peine.

— Maeve est la personne à laquelle je tiens le plus, et tu le sais. Je la défendrais corps et âme, bec et ongles, contre les personnes qui lui font du mal. Et ce que tu fais, Drew, jouer avec elle, venir me voir en douce pour me chuchoter que je te manque, c'est blessant pour Maeve même si elle n'est pas au courant. Alors je ne sais pas à quoi tu joues, mais je te conseille de faire un choix. Soit tu restes avec elle parce que tu l'aimes autant qu'elle t'adore, soit tu la quittes avant de faire des dommages irréparables.

— Si je la quitte, tu reviendras ?

L'inconstance de Drew me fait perdre mes moyens. Il est là, et il m'aime.

— Lâche-moi !

Je hurle si fort que les oiseaux perchés sur les fils électriques s'envolent.

Je hurle parce que je suis faible. Oui, j'ai envie qu'il me serre dans ses bras, me murmure qu'il m'aime, que je lui manque, encore et encore. Alors j'ai envie qu'il déguerpisse, pour que je puisse aller pleurer ma solitude en silence, mais avec dignité. Parce que je sais que ce n'est pas Drew que je veux, mais simplement quelqu'un qui tient à moi, qui me promettra de ne jamais me quitter.

— Non. Je t'ai laissée partir une fois, par deux.

— On n'est pas ensemble, putain !

— Tu n'as qu'un mot à dire et je la quitte.

Il s'approche de moi, et je suis trop faible pour reculer. Son bras m'encercle, son odeur est partout mais je lutte encore.

— Ça suffit, Drew. Arrête de lui faire du mal, et de me faire du mal par la même occasion. Et arrête de croire que je te suis acquise. Je ne suis plus amoureuse de toi.

— Tu mens, vocifère-t-il.

Ça y est, sa colère apparaît. Ces flammes furieuses, qui transparaissent dans ses prunelles et le pli de sa bouche, cet incendie qui m'a consumée pendant des mois sans que je n'y résiste.

Ses lèvres s'approchent des miennes, et je suis une pleutre, une couarde, une idiote, de ne pas reculer.

— Tu mens, Pixie, souffle-t-il, et j'adore ça.

Ses lèvres se plaquent sur les miennes. Brusquement, comme s'il voulait me punir. Par habitude, j'agrippe mes mains à son col de chemise et lui rends son baiser fiévreusement. Ça fait si longtemps. Nos langues se mêlent, nos nez se cognent, et son goût familier me fait perdre pied.

Puis, je me recule de trois pas d'un coup, sentant encore la morsure de sa bouche sur les miennes. Je me recouvre les lèvres de la main, horrifiée.

— Tu vois, sourit-il fièrement. Tu mentais. Tu m'aimes encore. Il faut juste que tu te l'avoue à toi même, et on pourra être heureux comme avant. Tu m'as quittée parce que tu t'ennuyais, mais je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup d'ennui entre nous, là. Tu as toujours aimé me faire souffrir, hein ?

Je fulmine, le cœur en miettes et l'esprit en vrac.

— Ne m'approche pas, Drew. Reste loin de moi, loin de Maeve, parce que tu ne saurais que nous blesser encore et encore.

— Arrête de te mentir, Pixie, et reviens. Je sais que tu le feras, parce que je suis le seul à savoir ce que tu aimes et ce que tu veux. Alors je t'attendrai. Encore.

Je me détourne, serrant mon sac contre moi, pour rentrer dans ma résidence au plus vite. Par chance, il ne voit pas la larme glissant sur ma joue et gelant presque aussitôt.

Je m'affale sur mon lit, détruite. Je voudrais appeler Maeve, lui confier tout ce que Drew m'a dit, lui dire qu'il n'est qu'un con qui se fout de nous. Mais je ne peux toujours pas.

Rageusement, j'essuie les larmes de mon visage, aussitôt chassées par de nouvelles, encore plus grosses. Drew est vraiment un connard. Je le déteste.

Je n'ai qu'une personne que je peux appeler. J'ignore s'il viendra, mais sans attendre, j'attrape mon téléphone.

Aime-moi si je mensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant