Chapitre 3

13 3 0
                                    

Il était difficile pour la Bande des Sept de se fondre dans la masse, au vue de leurs tenues et de leurs armes, aussi ils avaient élu domicile dans un grand manoir abandonné, loin d'Athènes et de tout le reste. Ils n'étaient ainsi pas importunés par la curiosité humaine, et pouvaient tranquillement se reposer, et profiter de la nouvelle vie qui leur avait été offerte. De fait, le manoir était suffisamment immense et imposant pour accueillir chacun des membres du groupe. Ils y tenaient tous sans effort, et sans se retrouver les uns sur les autres.

Ce soir là, Shôkotsu s'était isolée dans ce qui ressemblait à un salon. Du moins, elle supposait qu'il s'agissait de cette pièce, agencée par un vieux mobilier empestant l'ancienneté et la poussière, dont elle se contentait fort bien. Debout en face d'une table en bois vernis, éraflée à divers endroits, elle s'attelait activement à s'assurer du bon état de sa faucille. La seule qui lui restait... Elle avait égaré sa jumelle à Athènes, au cours de son altercation avec le Chevalier Sacré. A la pensée de cet homme si beau et élégant, elle ne pu retenir un léger soupire mélancolique.

A cet instant, un frôlement attira son attention, à l'entrée gauche de la pièce. Réactive, elle lança aussitôt sa dernière arme en direction du nouveau venu. La faux se planta avec violence dans la rainure qui marquait l'ancienne présence d'une porte, juste à côté de la tête de Renkotsu. Ce dernier n'avait pas bronché face à la menace, au contraire, il restait calme et stoïque. Ses fins yeux obliquèrent vers la petite lame, qu'il décrocha ensuite d'un mouvement sec en déclarant simplement :

- Joli tir.

La jeune fille esquissa un sourire, avant de faire face à ce qui lui restait sur la table : son arbalète. Elle n'arrivait toujours pas à la régler correctement, ses lancés en étaient absolument ridicules. Renkotsu s'avança vers elle, déposant tranquillement la faucille à côté de l'autre arme. Il observa un instant son ouvrage, et constata d'une voix lente :

- Tu parfaire ton armement.

- Oui, confirma-elle avec un soupire. Mais je n'y arrive pas.

Ses beaux yeux noirs se portèrent vers lui. Elle le considérait comme un véritable frère d'arme, autant que chacun des autres membres de leur groupe. Renkotsu, lui, était un érudit fort charismatique à son sens. Vêtu d'un élégant kimono d'un bleu qui lui rappelait le ciel, son corps était majoritairement protégé par une armure qui ressemblait selon elle à un de ces tonneaux à poudre, abordant une couleur orangée. Il avait une ceinture mauve qui enroulait toute sa taille, dont le nœud descendait jusqu'à ses genoux. Et, dans son dos, glissait un long foulard du même bleu qui dissimulait son absence de cheveux. Il était assurément le plus grand de tous ceux qu'elle jugeait de « normaux », mais aussi le plus intelligent de tous, et un expert en artillerie avec ça.

- Laisse-moi voir, déclara-t-il en prenant l'arbalète.

La jeune fille s'écarta légèrement pour lui laisser le champ libre, et contempla son ouvrage sans rien dire. Pour sûr, il avait un don avec les armes. C'était d'ailleurs lui qui avait entièrement fait le corps principalement métallique de Ginkotsu, dont il était particulièrement proche. A leur résurrection, il avait fallut procéder à de nombreuses vérifications afin qu'il ne se rouille pas, ou qu'ils ne se retrouvent pas avec une mauvaise surprise. De son habilité, Renkotsu usa d'une certaine force pour contenir l'arbalète, et en obtenir ainsi ce qu'il voulut, avant de viser avec précision, et tirer un carreau qui se figea dans la poutre en face de manière absolument parfaite.

- Je ne doutais pas de ta réussite, le remercia sincèrement Shôkotsu tandis qu'il lui remettait son arme.

- N'hésite pas, se contenta-t-il de répondre.

Il était vrai que Shôkotsu n'aimait pas demander de l'aide. Elle n'en sollicitait qu'auprès de leur leader, Bankotsu, mais il n'était pas là en ce moment. En revanche, elle appréciait toujours voir ses frères d'arme à l'œuvre, surtout Renkotsu. Il la fascinait d'une certaine manière qu'elle le regardait souvent avec de grands yeux émerveillés, conquise par son calme et son charme.

Reprenant ses armes, la jeune fille se rendit dans les quartiers que Bankotsu lui avait attribués, au deuxième étage. Au moins, elle était tranquille et n'avait pas à supporter la compagnie parfois trop pesante de ces messieurs ; elle restait une femme avant tout. Elle déposa sa faucille et son arbalète sur sa table de chevet, avant de s'avancer vers la fenêtre, jonglant avec l'un de ses carreaux entre ses petits doigts. La nuit était déjà bien avancée, et une terrible nostalgie lui prit, lui arrachant un soupire mélancolique.

Puisqu'elle ressentait un certain besoin d'élargissement, Shôkotsu ouvrit la fenêtre, et s'éclipsa au grand air. Elle escalada la paroi du manoir jusqu'au balcon d'à côté, où elle s'installa tranquillement sur le rebord. Elle leva ensuite les yeux vers le ciel étoilé, prenant une profonde inspiration de ce vent nocturne fort agréable à ses sens. Là, elle se mit à songer à sa vie passée, se remémorant les atrocités dont elle se rendait affreusement coupable. Son séjour dans les prisons du Sanctuaire lui avait permit de se confier, d'admettre que sa caste de mercenaire ne lui plaisait guère. Elle rêvait à la musique, à la liberté, à la douceur, et n'avait pourtant connu que la mélodie des corps mourants, l'obligation de toujours paraître comme une meurtrière et de tuer avec violence tous ceux qui figuraient sur leurs contrats.

La jeune fille baissa les yeux vers le carreau qu'elle tenait toujours, et soupira longuement. Intérieurement, elle aspirait à une vie plus tranquille dans laquelle elle pourrait faire ce qu'elle voulait, au lieu de guerroyer contre un camp qu'elle admirait en sachant pertinemment qu'elle devrait le haïr. Mais elle ne pouvait renier ce qu'elle avait toujours connu.

Cependant, en l'instant présent, elle ignorait qu'elle n'était pas seule car, plus bas, au palier de la double porte du manoir, Suikotsu était assis sur l'une des marches, observant silencieusement l'horizon forestier dont il devinait la silhouette des arbres à travers la pénombre. C'était un homme assez grand, aux cheveux noirs ébouriffés, et dont les marques vertes qu'il avait au visage ressemblaient à de longues griffes menaçantes, pareilles aux armes qu'il adulait. Et puisqu'il en avait progressivement marre d'être dehors, il commença à se lever, avec l'intention de rentrer. Mais le frottement de son large kimono attira l'attention de Shôkotsu, qui, légèrement effrayée, s'agita tant qu'elle fit tomber son carreau. L'objet tournoya sur lui-même lors de sa longue descente, rebondissant contre certains pans du manoir, avant de passer juste devant Suikotsu pour terminer sa course à la pointe de son pied. Ce dernier, étonné, s'immobilisa de stupeur, s'interrogeant. Il redressa machinalement la tête, son expression inchangée. Shôkotsu, elle, s'était un peu penchée pour voir où avait atterrit son trait. Leurs regards se croisèrent, et la jeune fille eut un moment de stupeur, sans bouger, avant de reculer vivement, le cœur battant. Elle l'entendit ensuite émettre un bruit de méprit, avant que la porte ne claque brutalement. Alors elle soupira longuement.

Même si elle s'entendait à priori avec tout le monde dans le groupe, depuis le début elle avait eu des ennuis avec Suikotsu. Elle n'obtenait de lui que méprit et injure, quoiqu'elle fasse. Avec le temps, elle s'y était habituée, l'appréciant même malgré tout... Et bien que son côté acerbe et brutal, elle l'avait toujours considéré avec beaucoup d'affection.

- Shôkotsu, est-ce que tu peux venir ? geignit la voix de Jakotsu depuis sa chambre à côté. J'ai vraiment besoin de toi !

En entendant son vieil ami, la jeune fille soupira avec un sourire amusé. Tant pis pour son carreau, elle le récupérerait plus tard, à moins qu'il ne soit vraiment perdu. S'étirant d'abord, Shôkotsu escalada en sens inverse les pans du manoir, se demandant ce que cette vie fraîche nouvellement acquise leur réserverait à tous, et surtout à elle. 

 

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Les Chroniques de la Guerre Sainte (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant