Les Chroniques de la Guerre Sainte (Tome 1)

Chapitre 11

Le soir tombait. Les trois mercenaires avaient marché de longues journées durant, ne se reposant que très peu. Leur condition de revenant pouvait bien le leur permettre ; ils n'avaient besoin ni de boire ni de manger. Seul le sommeil se faisait parfois ressentir, les obligeant à s'arrêter pour fermer les yeux quelques heures. Renkotsu était un homme prudent ; il avait instauré des tours de garde nocturne afin de ne pas être surpris par les Chevaliers. Ses paroles et ses décisions émerveillaient davantage Shôkotsu, qui insistait toujours pour se rendre utile auprès de lui. Mais ce soir là, le petit groupe traversait une ruelle toute éclairée, pleine de vie et de bonne senteur. Il s'échappait de certaines enseignes de délicieuses odeurs culinaires, tandis que les trottoirs étaient jonchés d'établis regorgeant de babioles en tout genre. Ils s'étaient en réalité retrouvés au milieu d'un marché nocturne, animé par les commerçants et les passants. Eux sortaient clairement du lot, au vue de leurs tenues particulières, et pourtant, ici, ils semblaient être des humains normaux. Personne ne fit attention à eux. On les saluait, même. Shôkotsu en fut toute abasourdie d'abord. Puis, elle s'extasia devant chaque étalage, détaillant chacun des petits objets en vente pour le plus grand plaisir des commerçants qui l'accueillaient à bras ouverts. Son comportement enfantin fit soupirer Suikotsu, qui préféra rester en retrait, les bras croisés. Quant à Renkotsu, il ne disait rien, mais n'en pensait pas moins, suivant tous gestes de la jeune fille de son fin regard.

Ils en arrivèrent finalement au bout, au grand soulagement des deux hommes profondément agacés par ce qu'ils qualifiaient intérieurement de mascarade. Néanmoins, Shôkotsu tourna un instant sur elle-même, ses grands yeux noirs pétillants de curiosité et de gaieté, lorsqu'elle remarqua une enseigne un peu plus sombre et délabrée que les autres. Elle était à l'écart de tout, et personne n'y entrait. Elle se stoppa net, et eut un long moment d'immobilisation durant lequel elle ne pu détacher son regard de cette enseigne.

- Que t'arrive-t-il ? s'enquit Renkotsu, les bras croisés à son tour.

- Toi qui es érudit, tu sais donc lire... murmura-t-elle.

- Oui.

- Qu'est-ce donc que ceci ?

Elle avait demandé cela d'une toute petite voix, en désignant les écritures qui formaient le nom de l'endroit. Renkotsu suivit son doigt pointé, et eut à son tour un moment d'immobilisation, sans qu'il ne parle. Il lut machinalement dans son esprit ce qui était inscrit, et y saisit même un léger jeu de mot un peu vulgaire.

- Il n'est pas difficile de dire qu'il s'agit d'un lieu de restauration, répondit-il enfin en haussant les épaules.

- C'est vrai ? Est-ce qu'on peut y aller ?

- Tch... pesta Suikotsu. Quelle utilité ? Nous n'avons pas le temps.

Mais Renkotsu, bien qu'en accord intérieur avec son frère mercenaire, prit un moment pour réfléchir. Shôkotsu était une jeune fille pleine de vie, et même sa résurrection n'avait pas changé cela. Connaissant Bankotsu, il n'hésiterait pas à la condamner au sein de la barrière du manoir à leur retour ; certes le domaine était grand, mais il ne doutait pas que Shôkotsu en souffrirait au plus profond d'elle. Ne serait-il donc pas préférable qu'elle profite immédiatement de sa liberté tant qu'elle n'était pas totalement enchaînée ?

- Nous pourrions en profiter pour nous reposer, murmura-t-il en baissant les yeux vers elle.

- Quoi ? s'indigna Suikotsu avec méprit.

Mais puisque Renkotsu avait également une autorité naturelle qui se dégageait de lui, et qui faisait de lui une personne respectée et écoutée au sein de la Bande des Sept, Suikotsu obtempéra bien vite à sa décision, sans y opposer trop d'objection. Néanmoins, il ne cachait pas sa rage.