CHAPITRE 16

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MILAN F. LUISDEL

CHAPITRE 16

Un court silence venait de s’installer dans la pièce où se faufilaient librement de multiples courants d’air qui indisposaient Luis mais le journaliste ne le montrait pas, il faisait mine d’être aussi à l’aise que le milliardaire dont la piqûre du froid lui glissait sur la peau sans conséquences. Luis s’assit sur un canapé et rangea son peignoir entre ses jambes afin de cacher son intimité déjà agitée à cause de la présence de Luisdel puis, tira dessus pour couvrir le plus possible son cou exposé. Le milliardaire l’observait du coin de l’œil et souriait intérieurement ; il admirait le calme dont faisait preuve le journaliste en sa présence malgré tout ce que celui-ci savait déjà, Luisdel se surprit même à admirer, avec plus d’attention que d’habitude, le physique de son Complément dont la volonté de cacher sa vulnérabilité faisait tout à coup, à ses yeux, le Complément parfait.
Luis n’avait vraiment pas l’air de le craindre et ça le ravissait. Il tendit l’oreille pour écouter attentivement le rythme cardiaque du journaliste mais celui-ci était aussi calme que le montraient les traits de son visage, il ne semblait vraiment pas le craindre en fait, si changement il notait tout de même, cela ne semblait rien à voir avec de la peur au contraire ! Sous cette lumière blanche, Luisdel prenait plaisir à guetter Luis dont la peau des jambes velues luisait, la longueur de ses cils n’avait d’égal de beauté que cette barbe de trois jours qui lui recouvrait déjà le bas du visage. Le milliardaire avait l’impression de voir le journaliste pour la première fois.
— Je t’en prie, prends place, Luisdel. dit Luis, fatigué de ce silence et de ces regards à la dérobée.
Le milliardaire avança vers le fauteuil en face de Luis et, tel un vieux baobab qu’on abat, se laissa choir du haut de son mètre quatre-vingt-dix sans précautions.
— Si tu veux quelque chose à boire, je dois avoir quelques bières au frais ou une bouteille de vin rouge quelque part…proposa Luis.
— Non, ça va. Je ne suis pas venu pour ça…refusa Luisdel dans une voix presqu’enfantine qui surprit Luis en même temps qu’elle lui fendit le cœur.
— D’accord, répondit le journaliste alors qu’il observait lui aussi le milliardaire qui semblait pour la première fois gêné, plus humain qu’il eût pu l’imaginer.
— Tu le sais déjà, commença Luisdel, je suis issu d’une union ou plutôt, d’une amourette adultérine. Une relation qui jamais n’aurait dû être possible et qui pourtant  a donné naissance à une aberration que tout le monde déteste.
— Pas…pas tous, Luisdel…
— Tous me détestent ! le coupa le milliardaire violemment. Tous me détestent, tu as bien vu ce qu’a été capable de faire Karab, mon propre frère ! Prendre la forme d’un humain banal pour te séduire dans le but de me voler mon Complément juste pour que le bâtard n’ait aucune chance de monter sur le trône ! Crois-moi, ils sont nombreux sous l’eau à penser comme lui.
— Pourtant Am…Amabell, c’est ça ? Il te soutient d’après ce que j’ai compris, essaya de le rassurer Luis qui partageait sincèrement la peine du milliardaire.
— Oui mais il est bien le seul, tu peux me croire, dit Luisdel tristement, tous les autres me détestent de toutes leurs forces ! Je subis des coups de leur part depuis tout petit et tu sais ce qui a été le pire ? La période d’indifférence ! Je subissais leurs méchancetés et autres mesquineries depuis longtemps mais la chose la pire que j’aie subie en tant que jeune adolescent fut l’indifférence. Vivre deux années dans un immense palais où personne ne me parlait en dehors de mes servantes et d’Amabell qui…qui devait se cacher des autres pour m’adresser la parole, je peux te jurer que je ne le souhaite à personne ! Mon père a dû m’éloigner…je n’étais revenu qu’une fois adulte et vacciné pour qu’il m’éloigne encore en m’affectant de ce côté-ci du monde.
— On sait maintenant qu’il voulait que tu trouves ton Complément, pauvre de moi ! s’exclama Luis tout en ressentant la peine de son vis-à-vis.
Un nouveau silence s’installa entre eux quelques secondes puis, le journaliste reprit :
— Toute cette histoire est-elle vraie ?
Devant la tête que fit Luisdel après cette question, il s’expliqua :
« J’ai déjà été berné par un de tes frères et puis…vous êtes tous des créatures surnaturelles…toi tu as un but précis : essayer de m’amadouer afin que je sois disposé à m’offrir à toi donc, je trouve légitime de poser cette question, ma vie est tout de même en jeu ! »
— Je ne suis pas un monstre, Promis A Lui, pas dans le sens qu’on pourrait l’imaginer, en tout cas. Toi et moi nous sommes des victimes du sort, des victimes du destin…
— Ne compare pas nos deux vies, je te prie ! le coupa Luis soudain en colère. Je n’ai rien demandé, moi, mais je suis celui qui va perdre sa vie au cours d’une cérémonie mystique à laquelle je n’ai pas demandé de participer ! Tu es celui qui va bénéficier de ma mort alors, ne compare pas nos vies ! Si ta vie a été difficile jusqu’ici, la mienne n’a pas été facile non plus, je n’ai pas eu de parents, j’ai dû moi aussi me battre tout seul pour m’en sortir ; j’étais un petit gnome hideux pendant autant d’années et personne ne s’approchait de moi autrement que pour exploiter mon intelligence…une vie solitaire, difficile et tout ça pourquoi ? Pour mourir dans…dans moins de deux mois ! Luisdel, nos deux vies n’ont pas été faciles, je le conçois mais toi tu as l’espoir d’améliorer la tienne tandis que moi, moi je…je n’ai pas d’avenir…
Sans qu’il s’y attende et en un éclair, Luis se retrouva enveloppé dans les bras chaleureux du milliardaire qui le rejoint sur son canapé et qui semblait lui-même surpris d’avoir agi aussi spontanément. Néanmoins, il dit :
— Je suis vraiment désolé, Promis A Lui, si je…si je pouvais faire les choses autrement, crois-moi je les ferais…
— Tu pourrais renoncer au trône, pourquoi est-ce si important ? demanda Luis qui s’installa mieux entre les bras du milliardaire et découvrit sa température particulière.
— Je n’en veux plus mais il le faut…répondit Luisdel qui se délectait de l’odeur des cheveux du journaliste.
— Mais pourquoi ? J’ai bien compris que je pourrais difficilement te résister ou t’échapper vu tout ce que tu m’as fait respirer et ingurgiter…
— Tu pourrais, tu sais ? Alex…Karab avait raison sur un autre point : tu pourrais perdre ta virginité avec une autre personne et, tu ne me serais plus alors d’aucune utilité.
— C’est vrai, réalisa Luis, mais tu me tuerais alors...
— Non…rétorqua Luisdel.
— Tu n’es qu’un beau parleur, M. le milliardaire, ajouta Luis en souriant sur la poitrine de son invité.
— Tu aurais d’ailleurs pu la perdre ce soir dans cette ruelle, ajouta l’hybride, pourquoi n’en as-tu pas profité ?
— Tu étais là ? demanda Luis qui décolla sa tête de la poitrine de l’hybride et lui adressa un regard surpris.
— Oui, répondit posément Luisdel, je vous regardais de haut. Pourquoi n’en as-tu pas profité ?
— Il avait une bite, répondit Luis en riant.
— Depuis quand des bites sont un frein à ta libido ? demanda Luisdel qui gardait son sérieux alors qu’il regrettait déjà l’éloignement de leur deux corps.
— Je pensais que c’était une femme, je ne m’attendais pas à une bite à cet endroit-là ni à ce moment-là…
— Dois-je comprendre que tu aimes aussi les femmes ? demanda encore Luisdel.
Une coupure de courant les surprit et, le journaliste se leva, s’éloigna du canapé en prenant la direction de la fenêtre à travers laquelle on pouvait observer la pleine lune éclairer une partie de la pièce alors que toutes les maisons autour s’éclairaient petit à petit à la bougie ou aux lampes-tempête. Il se racla la gorge puis, il dit :
— Aimer, non mais, je sais que je suis capable d’en pénétrer une ou deux et de ressentir du plaisir. Je suis encore plus sûr de ne pouvoir aimer que les hommes…
— Et moi, que ressens-tu pour moi, Promis A Lui ? Tu te montres plus amical que ne l’ont jamais été mes frères et, d’après les battements de ton cœur, tu n’as pas peur de moi mais, ton rythme cardiaque augmente chaque fois que je me rapproche de toi, chuchota Luisdel à l’oreille de son Complément une seconde après s’être déplacé à la vitesse de l’éclaire pour se coller à lui devant la fenêtre.
— Tout ce que je pourrais ressentir pour toi serait faux, Luisdel, je te suis destinée et, tu as toi-même œuvré pour le contrôle de mes sentiments.
D’un pas puis deux, puis trois et quatre, Luisdel recula tandis que Luis se retournait, regrettant la chaleur et la froideur simultanées du corps du milliardaire collé contre le sien.
— Qu’est-ce que tu as ?
Sans crier gare, le milliardaire se rapprocha de nouveau du journaliste à une vitesse sans pareil et, les yeux dans les yeux, ils respiraient l’air rejeté par les narines de l’autre ; le silence de la nuit et la lumière de la lune apportèrent une atmosphère qui, en un instant, fit fondre le journaliste dont le visage se rapprocha involontairement de celui de l’homme noir qui déjà, le serrait amoureusement contre son corps.
— J’ai très envie de t’embrasser, Luis, me le permets-tu ?
Le regard désireux de Luis rencontra le regard complètement rouge de Luisdel et, une fois encore, il n’eût pas peur et dit :
— Je…j’arrive à voir à travers tes yeux…
— C’est parce que nous sommes compatibles à 100%, confirma Luisdel.
Sans plus chercher à réfléchir, le journaliste ferma délicatement ses yeux aux longs cils et entrouvrit les lèvres dans un mouvement d’abandon qui réveilla encore plus les sens du milliardaire qui ne se fit pas prier et déposa sur cette bouche offerte, l’épaisseur sensuelle de ses lèvres d’hybride. D’abord doux, le baiser reçut une dose de fougue des deux parties qui se léchaient les babines sans complexe et se labouraient la glotte passionnément, à en perdre le souffle et, soudain, une étincelle jaillit de la jointure de leurs bouches et, les deux hommes s’éloignèrent l’un de l’autre. Le spectacle était aussi merveilleux qu’il faisait peur ; leurs deux corps étaient parcourus par une lumière multicolore qui ne semblait être contenue que par les lignes de leurs silhouettes :
— Qu’est-ce…qu’est-ce que c’est ? demanda Luis.
— La preuve que je suis à toi…
— C’est si beau ! C’est donc comme ça que ça se passe ?
Le corps du milliardaire brillait de moins en moins jusqu’à reprendre une contenance et une apparence normales sous les yeux du journaliste tandis que son corps à lui gardait cette translucidité multicolore.
— Pourquoi est-ce que je brille toujours et pas toi ?
— C’est parce que tu es mon Complément et, la pleine lune aidant, ce baiser a dû déclencher quelque chose, répondit Luisdel tout aussi surprit que le journaliste.
— Tu m’as piégé ? Tu le savais et tu m’as embrassé ?
— Non…je viens de le compren…
— Finalement tu es plus sournois qu’un serpent ! cracha Luis en colère. Je pourrais mourir là sans avoir jamais vu mes frères…
— Luis, je…
— Fous-moi la paix ! Je pensais que la cérémonie aurait lieu dans un mois…
— Promis A Luis, regarde, ton corps reprend son apparence normale. gronda Luisdel tandis que Luis revoyait sa peau redevenir opaque.
— Qu’est-ce…qu’est-ce qu’il se passe ? interrogea le journaliste.
Le milliardaire sourit avant de dire :
— Finalement, je voudrais bien boire quelque chose. Tu n’as rien de plus fort que tes bières ou ta bouteille de vin ?
— Qu’est-ce que ça veut dire ? exigea Luis, colérique.
— « La colère » Luis, la colère est la porte de sortie que te donne naturellement la vie.
— Je ne comprends pas…
— Le phénomène qui vient de se produire, je l’avais lu dans un de nos livres : « Chaque fois que le Complément embrasse le candidat au trône un soir de pleine lune, il se produit une étincelle et une lumière multicolore emplit leurs corps marquant ainsi le début de la fusion (…) La rupture du baiser ou la colère du Complément contre le candidat y mettent un terme ; seul l’amour les unit. » Nos corps se sont illuminés parce qu’à ce moment tu avais envie de m’embrasser et dehors c’est la pleine lune. Lorsque nous avons mis fin au baiser, mon corps a cessé de briller et le tien l’a fait parce que tu t’es mis en colère contre moi…
— Je serais resté comme ça pour toujours tant que je ressentais de l’amo…de la bienveillance pour toi ?
— Je ne sais pas et rien ne l’indique dans le livre que j’ai lu mais, je pense que mon corps a juste plus vite repris son apparence normale que ton corps. C’est dôle quand j’y pense, tu as deux moyens d’empêcher la fusion : tu pourrais perdre ta virginité ou la garder et changer d’avis au dernier moment, au moment crucial ! ricana amèrement Luisdel.
— Voilà qui est une bonne nouvelle pour moi ! Maintenant, va-t’en ! Je voudrais rester seul.
— Luis, je t’assure que je ne le comprends que tout de suite, rien n’était planifié…
— Tu mens !
— Je suis venu ce soir avec les meilleures intentions, je le jure…
— Ah bon ? Et tu jures au nom de quel dieu ?
— Luis…
— Laisse-moi seul, Luisdel, j’ai failli disparaître ce soir. La date d’un mois n’est même plus fiable !

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant