CHAPITRE 31

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Des heures étaient passées, des heures que Carmen avait passées seule dans l’immense salon de Luisdel car, ses deux geôliers surnaturels l’a trouvaient finalement inintéressante, plus ennuyeuse que la pluie qui tombe sur les pierres, tellement insignifiante et surtout, ils avaient chacun prétexté d’autres plus importante à faire. L’un devait retourner à ce qu’il avait appelé « ses devoirs conjugaux » auxquels il avait été arraché de manière aussi soudaine qu’inattendue par Luis sans parler de la visite qu’il devait rendre au monde sous-marin qui avait déjà certainement senti la faiblesse de Luisdel et l’autre, fidèle à elle-même, avait simplement dit qu’elle trouvait plus animée une tombe abandonnée et vieille de 6000 ans que de rester en la présence de Carmen, la pleurnicharde. Elle disparut simplement en un battement de cils, laissant la jeune femme seule avec ses pensées morbides et sa tristesse larmoyante.
La pièce était silencieuse. À cette hauteur sur la ville, aucun bruit de la ville ne parvenait jusqu’à ses oreilles. La jeune femme avait souvent voulu se retrouver dans cet appartement pour admirer la ville de ce point de vue mais, jamais elle n’avait pensé qu’elle s’y retrouverait vraiment un jour et encore moins dans de telles circonstances. Quand elle sortait un peu de sa torpeur, Carmen regardait à gauche et à droite, découvrait la simplicité luxueuse mais un peu lugubre de la décoration du salon. Plus rien ne la surprenait de toutes les façons, elle savait à présent à quoi s’en tenir. Les heures s’étaient égrainées toute la journée et, les seules mouvements qu’elle avait fait c’était courir dans les toilettes et chercher de l’eau à boire afin de remplacer tout le liquide qui ressortait par ses yeux tristes et sa vessie. Elle refusa de retourner dans la seule chambre du penthouse où se trouvaient Luis et Luisdel et quand même, autour de 19h, une forte lumière semblait être apparue dans la chambre, une lumière dont les rayons étaient passés à travers les interstices sous la porte et dans les joints, elle avait choisi de rester là, elle n’avait pas osé s’aventurer dans cette pièce qui lui faisait peur. Cette créature aux côtés de laquelle s’était allongé son frère aîné ne lui disait rien qui vaille et puis, elle était plutôt d’avis qu’il fallait lui planter quelque chose de long et pénétrant dans la poitrine : un pieu ou un manche à balai, pensa-t-elle pendant de longues minutes meublées par de furieuses envies de meurtre.
Allongée sur le canapé, elle avait les yeux clos ; elle avait changé plusieurs fois de positions et avait mouillé de ses larmes le cuir de ce meuble. Le sommeil venait de la prendre lorsque, tout d’un coup, elle entendit :
— Je te remercie d’être restée.
A mi-chemin entre la réalité et le monde onirique, elle crut que la voix n’était pas réelle et ce n’est que lorsqu’il l’appela par son nom qu’elle fut projetée dans la réalité et ouvrit les yeux. L’homme qu’elle vit assis en face avait un regard à la fois viril et doux. Elle le reconnut pour l’avoir déjà vu dans des magazines, il esquissa un sourire amical afin de la rassurer et, sans qu’elle puisse contrôler ses lèvres, elle dit :
— Vous êtes réveillé…
— Je suis désolé pour ta maman et ta sœur…et ton autre frère, s’excusa sincèrement Luisdel, sache que jamais je n’ai voulu que les choses se passent ainsi. Je ne vous ai jamais aimé, vous les humains, je vous ai même méprisés et il m’est arrivé d’en tuer quelques-uns…quelques centaines de tes congénères mais jamais je n’ai pris plaisir à répandre du sang humain ni à violenter des plus faibles que moi.
— Va le dire à ta…comment a-t-elle dit…ta génitrice qui a arraché le bras de mon frère et puis, pense aussi à le dire à tes frères, Alex et Amabell, c’est ça ? Ils m’ont pris chacun un être cher !
— Comme je le disais, reprit le milliardaire sur un ton toujours aussi calme, je suis profondément désolé pour tout cela. J’ai pu ressentir toute votre douleur grâce à mon lien avec Luis et tu peux être sûr qu’il est dévasté, au plus profond de son âme, il se tient pour responsable de tous les malheurs qui arrivent à votre famille.
— Il n’y est pas étranger, en tout cas ! dit Carmen sur un ton moins hargneux qu’à l’accoutumé.
Luisdel la transperçait de son regard aux pupilles sombres, il ne cherchait pas à la menacer, il voulait qu’elle comprenne la position inconfortable de Luis, il voulait qu’elle se mette au-dessus de toute la haine et le ressentiment qui transpirait de tout son être.
— Tu devrais lui pardonner, Carmen, il est lui aussi une victime dans cette histoire tout comme moi…
— De ce que je vois, dans mon camp j’ai deux cadavres, un blessé grave et je suis moi-même prisonnière des assassins des membres de ma famille tandis que toi tu as l’air d’aller bien, aucun membre de ta famille n’a de soucis, ils sont tous bien vivants ! cracha la jeune femme.
— Tu n’es plus prisonnière depuis près d’une heure, dit Luisdel, tu peux t’en aller, si tu veux.
— Ta génitrice a pris le soin de s’assurer que je resterai ici tant que tu étais couché…elle a fait un truc avec ses mains et, je n’ai pas pu prendre l’ascenseur ni même aller sur le balcon, je n’ai simplement pas pu mettre un orteil hors de cet appartement !
— Je suis éveillé depuis quelques minutes, bien avant que je ne prenne place ici et j’ai levé le sort qui t’empêchait de prendre l’ascenseur, tu es libre.
Elle se leva brusquement, on aurait dit qu’elle s’était assise sur des aiguilles qui lui auraient transpercé les chairs. A pas de géants, Carmen se dirigeait la sortie sans demander son reste lorsque soudain, elle ralentit, s’arrêta puis, se retourna et demanda :
— Et…Luis, comment il va ?
Luisdel esquissa un sourire fugace et dit :
— Il va bien, juste très épuisé après l’aide qu’il m’a apporté. J’étais très affaibli et ça lui a demandé beaucoup d’énergie de puiser en lui pour me sauver la vie.
— Tu ne vas pas le tuer, si ? demanda encore Carmen.
— Pas volontairement, répondit Luisdel, un soupçon de tristesse dans la voix.
— Pourquoi dois-tu absolument fusionner avec ? Tu pourrais renoncer à ce trône de malheur ! Je suis fatiguée de perdre des proches…pleura-t-elle.
— Si cela ne dépendait que de moi, je le ferais mais, il y a des forces plus puissantes que moi…
— Lilith !
— Oui, confirma-t-il. Elle nous oblige, comme des marionnettes, à jouer chacun notre rôle sinon nous perdrons tout. Perdre vos proches est quelque chose de très difficile d’après ce que j’ai pu voir dans l’âme de ton frère, imagine perdre l’humanité entière, imagine un monde dévasté par les flammes et la cruauté de Lilith et le tout à cause de ta désobéissance. Notre vie est injuste, elle nous oblige à faire des sacrifices et ne t’en fais pas, je continue de chercher le moyen d’épargner la vie de Luis mais la date est de plus en plus proche et Lilith est sans pitié.
— Je ferai donc mieux de m’habituer à l’idée que je vais perdre un autre frère, conclut Carmen avant de se retourner, de marcher vers l’ascenseur qu’elle laissa se refermer devant elle.
A peine les portes de l’ascenseur s’étaient-elles fermées que le milliardaire entendit :
— Comme c’est touchant et énervant à la fois ! Je suis heureuse de te voir sur tes jambes, fils mais, je déteste cette familiarité que tu as avec ces êtres insignifiants ! Ils ne sont rien d’autre qu’un moyen d’arriver à nos fins, rien que des jouets qui nous distraient de l’ennui et ils doivent le demeurer !
— Désormais tu es libre de faire de toute l’humanité ce que bon te semble mais si jamais tu touches encore un seul membre de cette fratrie…ce que tu as fait en arrachant le bras de ce pauvre Aymeric je…pour peu que Dieu veuille de moi, je me ferais soldat de son armée pour te combattre jusqu’à ce que j’en perde la vie, dit calmement Luisdel en allant se servir un verre de whisky qu’il but d’un trait avant de s’en resservir un autre qui l’accompagna jusqu’à la terrasse où, la main dans une poche, il profita de l’air pur…
— Tu es beaucoup trop sentimental ! Finalement, ton père ne t’a pas assez mené la vie dure ! Un démon avec des sentiments pour des humains ! Comment peut-on s’abaisser à ça ? Que tu aies de l’attirance pour ton Compliment, je le conçois amplement et d’ailleurs, je le souhaite mais, tous ces autres humains auxquels tu accordes de l’importance sont pour moi une nuisance ! regretta Lilith qui l’avait suivi sur la terrasse, là où le vent frais faisait onduler ses cheveux et le soleil donnait une teinte particulière à leur peau cuivrée.
Quelques secondes de silence suivirent, des secondes qui permirent à Lilith d’évaluer le sérieux de la menace de son fils.
— Tu te retournerais vraiment contre moi, Luisdel ? demanda-t-elle le regard sur le milliardaire qui, lui, regardait vers l’horizon.
— Plutôt deux fois qu’une ! répondit-il dans une voie assurée et calme.
— Regarde-les en bas, on dirait des fourmis ! Je les écraserais tous en en claquement de doigts si je le voulais, toi aussi et tu dis que tu es près à te ranger de leur côté contre moi ? Au nom de tous les démons, je suis ta mère, Le Fils Du Malin !
— Tu es ma génitrice ! Tu n’as jamais joué le rôle de maman pour moi tu n’en as même jamais manifesté l’envie ! Je ne suis qu’une arme dont le seul rôle est de servir ta cause folle ! Pour Luis et ses frères, j’accepte de me prêter au jeu mais si tu en brutalises encore un, ma colère sera terrible !
— De tous mes rejetons, tu dois être le plus enquiquinant !
— Dommage, je suis aussi le plus puissant d’entre eux et tu as besoin de moi ! répondit Luisdel du tic au tac.
Elle le toisa, inspira puis, expira avant de dire :
— D’accord, je ne toucherai plus aucun. De toutes les façons, tu es de nouveau opérationnel donc, aucune raison d’en tuer surtout qu’à force de compter les morts, cette famille va finir par disparaître, comme si elle n’avait jamais existé, lança-t-elle dans un rire moqueur.
— On se demande quel fléau les décime, répliqua le milliardaire sur un ton sarcastique !
— Pour te prouver ma bonne volonté, je vais faire quelque chose pour toi…plutôt pour le frère de ton Complément.
Elle ferma les yeux quelques secondes, sourit puis, les rouvrit en disant :
— C’est fait ! Le militaire est de nouveau en forme.
— Toute cette douleur pour lui ressouder le bras était-elle nécessaire ? demanda Luisdel suspicieux.
— C’était mon petit bonus à moi et puis ça n’a duré que quelques secondes, répondit-elle en ricanant. Je crois que ton frère n’est pas loin.
A peine avait-elle terminé sa phrase qu’Amabell apparut sous leurs yeux, le visage rayonnant, heureux de revoir son champion sur ses deux jambes.
— Tu es guéri ! J’ai vraiment eu peur…dit-il en avançant vers l’hybride pour une accolade chaleureuse.
— Bertrand ? le questionna Luisdel sur un ton de dégoût.
— Oui, je sais mais il a un petit quelque chose qui m’attire, peut-être ce désespoir…mais comment, tu le sais ? questionna Amabell.
— Quelque chose dans le lien avec Luis. J’ai eu accès à toutes les informations qu’il a emmagasinées avant qu’il ne s’allonge près de moi.
— Tu as fait des folies de ton corps ! Au moins il y’en a un des deux qui sait s’amuser, lança Lilith, le regard moqueur accusant Luisdel.
— Tu es encore là, toi ? demanda le milliardaire une expression de tueur sur le visage.
—  Je m’en vais mais, je reviendrai pour la fusion pendant ce temps, Amabell, veille sur lui. On ne voudrait pas qu’il ingurgite un nouveau poison dont ces cervelles de moineau ont le secret, recommanda la démone avant de s’évaporer et de laisser les deux frères sur la terrasse.
Amabell s’empara du verre de whisky que tenait Luisdel dans sa main puis, le vida avant de dire :
— C’est bon de te revoir, Luisdel ! J’ai vraiment cru un instant que tu ne t’en remettrais pas surtout lorsque ton Complément est revenu bredouille de l’esprit de sa mère. Te rends-tu compte ? Elle a refusé de lui donner l’antidote.
— Et tu t’es empressé de t’assurer qu’elle ne se réveille jamais pour le donner à qui que ce soit ! Tu n’aurais pas dû lui donner la mort, dit l’hybride en foudroyant son frère aîné du regard.
— J’ai perdu mon sang-froid, je suis désolé.
— Luis ne me le pardonnera jamais, c’était sa mère. J’ai senti qu’il me déteste pour ça. Toi qui tiens à ce que je monte sur ce trône, par cette action, tu as sérieusement entamé la volonté qu’il avait de se donner à moi par amour. Il est plein de colère maintenant.
— Je…
— Il y avait certainement autre chose à faire, Amabell ! s’énerva Luisdel avant de retourner dans le salon.
— Comment il va ? demanda finalement le frère aîné qui suivit les pas de l’hybride.
— Il est épuisé. Il a presque tout donné pour que je reprenne des forces.
— Il doit avoir besoin d’une bonne journée de repos après…
— J’ai surtout besoin de te voir souffrir jusqu’à ton dernier souffle, dit Luis qui se déplaça à une vitesse phénoménale et surprit Amabell avec un coup de poing dans le ventre puis, un enchainement de coups de genou et d’uppercuts que le triton encaissa douloureusement avant de stopper le journaliste en retenant difficilement un de ses coups.
Luis flottait dans l’air, son visage avait gardé son humanité mais son regard totalement noir marquait l’évolution de sa condition d’humain à quelque chose de surnaturel. Les veines sur son visage et ses bras musclés étaient d’une épaisseur si énorme qu’on croirait qu’elles allaient éclater. Il n’avait pas dit un mot et n’arrêtait pas de charger le corps d’Amabell de coups que ce dernier encaissait ou bloquait quand il réussissait à avoir quelques secondes de repit. Luisdel se servit un verre de bourbon et dit :
— Je me suis peut-être trompé, finalement ! Il est plus en colère contre toi que contre moi…lança Luisdel narquois.

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant