CHAPITRE 28

59 7 0
                                    

Couché par terre, le corps endolori, Aymeric avait les yeux fermés. De loin, il écoutait son frère aîné s’indigner de la violence avec laquelle Luisdel l’avait projeté contre le mur ; il en profita pour mesurer les forces en présence et, il reconnut que la force de son adversaire était certainement de loin supérieure à la sienne, celle d’un humain normale face à un être qui possédait en lui deux natures extraordinaires. Il décida de changer de méthode et, dans une attitude résignée, le corps criant la douleur, il essaya de se relever sans succès avant de voir la grande main du triton se tendre dans sa direction.
— Laisse-moi t’aider. proposa Milan Luisdel qui s’était rapproché du militaire.
Aymeric hésita quelques secondes mais lui prit la main et se retrouva douloureusement sur ses deux jambes.
— Je suis désolé de t’avoir projeté contre le mur, c’était un réflexe de défense. Vieille habitude, s’excusa Luisdel.
— Si tu pouvais te mettre quelque chose autour des reins déjà ça m’arrangerait en fait, si vous pouviez vous habiller tous les deux ce serait un bon début ! lança le militaire.
Luisdel se dirigea dans la chambre tandis qu’Aymeric courut vers son frère en disant :
— C’est quoi cette chose entre ses jambes ? Ils sont tous comme ça ?
Luis, recroquevillé sur lui-même, lui adressa juste un regard, un regard plein de tristesse ce qui fendit le cœur du plus jeune qui, se retournant vers le minibar, dit :
— Je vais nous servir un petit quelque chose à boire, on va parler entre adultes et tu vas tout me raconter !
Le milliardaire sortit de la chambre après avoir repris son apparence humaine complète, il s’approcha de son Complément à pas de chat, comme s’il marchait sur des œufs qu’il évitait de casser, s’assit près de lui et lui tendit un pyjama que le journaliste enfila sans dire un mot.
— Je suis vraiment désolé, Promis à moi, vraiment…murmura le milliardaire une dernière fois.
— Qu’est-ce que tu venais faire ici ce soir ? Comment va maman ? demanda Luis à son frère tout en toisant Luisdel.
— Sa situation n’a pas évolué, pas encore. répondit Aymeric qui se retourna, portant dans ses mains trois verres de whisky.
Il posa les verres devant chaque propriétaire et demanda ce qu’il s’était passé. Luis ne desserra pas les lèvres après avoir bu une longue gorgée du liquide alcoolisé ; Luisdel l’imita mais, après s’être mouillé la gorge, il raconta son histoire au militaire qui, de plus en plus, à chaque mot, comprenait le contexte dans lequel il avait trouvé les deux hommes ce soir. Il savait à présent qu’elle menace pesait sur eux, sur toute l’humanité et même sur le monde surnaturel mais, le cœur endurci, il ne regretta pas son geste et dit :
— Il y a toujours une solution à chaque problème et, les problèmes, on les résout un à un, étape après étape…
— Tu n’as donc rien écouté de ce qu’il a dit ? s’énerva le journaliste contre son frère.
— Oh si, je l’ai très bien écouté…
— Nous ne sommes pas de taille à nous battre contre elle…
— Nous trouverons une solution. Si le diable et tout le reste existent, Dieu aussi existe et, il ne nous abandonnera pas…
— Comme c’est mignon tout plein ! s’exclama Luisdel dans un rire moqueur, une quinte de toux le prenant soudain à la gorge. Tu comptes sur ce brave Dieu pour nous défendre contre Lilith ? S’il avait l’intention d’agir, tu ne penses pas qu’il l’aurait fait depuis longtemps pour empêcher toutes les machinations de Lilith ? S’il est omniscient, je pense qu’il a choisi de regarder ailleurs comme d’habitude, il n’en a rien à foutre de nous !
— Ne dis pas ça…c’est notre seul espoir…dit Luis dans une petite voix.
— Tu as tort de penser comme ça, hybride, car il m’a permis de mettre mon plan en marche, répliqua Aymeric dont le sourire triomphant déformait le visage à la surprise générale.
Les deux autres le regardaient alors que la toux de Luisdel devenait de plus en plus violente jusqu’à ce qu’il vomisse du sang sous le regard inquiet de Luis qui s’écria :
—   Luisdel, qu’est-ce que tu as ?
— Le…le…le whisky, dit Luisdel avec douleur alors que son sang, d’un bleu foncé caractéristique de sa nature royale et démoniaque, lui sortait en abondance des yeux, des narines, des oreilles et de la bouche.
— Qu’est-ce que tu as fait, Aymeric ? s’écria Luis épouvanté. Instinctivement, il se tenait aux côtés du milliardaire qui sombrait un peu plus dans l’agonie chaque seconde qui passait tandis que déjà, il baignait dans une mare de sang royalement démoniaque.
— Quelques gouttes de cette potion que t’avait donnée maman pour leur barrer la route et préserver ta vie. Je l’avais récupérée dans ta chambre le dernier soir où je t’avais rendu visite en présence de ce Bertrand et Amabell. Je savais que ça me servirait un de ces quatre. Pas de Luisdel, pas de fusion ni même de plan de conquête du paradis !
— Et…bientôt plus d’humanité aussi ! A…Amabell…murmura Luisdel avant que son corps ne soit secoué par de violents spasmes qui effrayèrent le journaliste et se terminèrent par la raideur du corps de l’hybride dans un silence mortuaire.
— Luisdel, Luisdel, réveille-toi ! Non, Luisdel ! Aymeric, qu’est-ce que tu as fait ? Tu viens de tous nous condamner ! pleurait le journaliste dont la douleur profonde avait rougi les yeux.
— Il fallait qu’il meure ! se défendit Aymeric sans le moindre remord.
A peine avait-il fini sa phrase que la fenêtre du salon vola en éclat dans une violence inouïe. Le quartier tout entier plongea dans l’obscurité, le temps sembla s’être arrêté alors que soudain, une lumière éblouissante éclaira la pièce depuis l’extérieur ; cette lumière s’avançait de plus en plus et pénétra complètement dans la pièce, on distinguait à peine une silhouette de femme mais, son regard rouge écarlate tranchait avec tout l’ensemble puis, la lumière disparut et laissa place à Lilith qui flottait dans l’air avec la souplesse et la légèreté d’une nymphe. Elle posa délicatement un de ses pieds nus sur le carrelage du salon puis, le second et, d’un geste vif mais élégant, propulsa Luis loin du corps inerte du milliardaire qu’elle examina quelques secondes du regard avant de se tourner vers Aymeric qui voulut défendre son frère mais, de ses cheveux longs, elle le saisit par la gorge qu’elle serra fort, de plus en plus fort, ressentant la souffrance du jeune militaire alors que la vie s’amenuisait dans son enveloppe charnelle.
—  Deux êtres aussi insignifiants qui ont réussi à faire du mal à mon fils ! Comment avez-vous pu ? Mon propre fils !
— Je vous en supplie, Lilith, ne le tuez pas ! Tout est de ma faute, supplia Luis en pleurs.
— Ah, je vois que je suis plus connue que je le pensais ! Dit-elle en regardant avec fureur dans la direction du journaliste. Qu’avez-vous fait à mon fils ? Pourquoi est-il aux portes de la mort ?
— Il…il a avalé un poison…répondit Luis.
— Aucun poison humain ne peut venir à bout de mon fils, c’est un démon de la plus haute lignée, c’est un triton royale ! Il est plus puissant que vous ne le serez jamais ! comment a-t-il fait pour se laisser prendre par vos petites manigances ?
— Faut croire qu’il est très bête ! cracha Aymeric qui respirait à peine sous la pression de cette chevelure soyeuse et pourtant redoutable qu’était la crinière de Lilith.
— Aymeric ! s’écria Luis.
— C’est donc toi le fou qui a osé empoisonner mon héritier, mon arme de guerre ! s’énerva-t-elle en resserrant toujours plus l’étreinte de sa chevelure autour du cou du militaire.
— Je vous en supplie, Lilith, ne le tuez pas, je ferais tout ce que vous voulez, suppliait Luis à genoux, les larmes plein les yeux.
— Tu feras de toutes les façons tout ce que je veux, Complément ridicule ! N’es-tu pas censé protéger Luisdel ? N’y a-t-il pas un lien qui vous unit tous les deux ? Tu as laissé ce moustique leurrer mon fils dans un piège mortel. S’il meurt, vous mourrez tous ! Quel est ce poison ?
— Je…je ne sais rien de sa composition…
— Où l’avez-vous trouvé ?
— Notre…notre mère…
— Encore cette pauvre femme insipide et idiote ! où est-elle ? Parle, jeune homme dit-elle en menaçant de décapiter Aymeric.
— A…à l’hôpital, dans le coma ! cria Luis.
— Tu veux dire que la seule personne qui connaît l’antidote est elle aussi entre la vie et la mort ?
Lilith sembla soudain plus calme, la lumière revint dans le quartier et elle relâcha sa prise avant de s’avancer vers le corps inerte de Luisdel qu’elle toucha de la paume de sa main, les yeux fermés.
— Très astucieux ! Il est à la frontière entre la vie et la mort et pour ralentir les effets négatifs du poison sur sa vie, il s’est mis en état d’hibernation. Je savais bien qu’il était plus intelligent que tous les autres. Ceci dit, ça ne peut pas durer très longtemps car il a de par sa nature de démon, un sang chaud, il ne pourra pas tenir très longtemps dans cette état. Complément, tu as jusqu’à demain soir pour me ramener l’antidote. Je prends mes quartiers dans ses appartements dans cet immeuble en forme de phallus géant que vous appelez la Tour et…je prends ça…
Elle disparut sous leurs yeux et réapparut derrière Aymeric et, d’un geste rapide et sec, elle amputa le jeune militaire de son bras droit comme si elle démembrait un vulgaire poulet. Le cri strident que fit Aymeric au moment même où son bras se détacha de son épaule alerta tout le quartier tandis que Luis n’arrivait à former aucun son dans sa gorge devant l’horreur qu’il avait sous les yeux. Voir son frère hurler et se tordre de douleur alors que du sang giclait de son épaule était une vision affreuse et insupportable. Le jeune militaire s’évanouit à cause de la douleur tandis que la démone pratiqua une sorte de rituel sur le bras du jeune militaire avant de le balancer sur son épaule et de faire léviter le corps de Luisdel en direction de la fenêtre :
—  La cérémonie de votre fusion est très proche maintenant. Mon fils y participera ou cette terre que Dieu affectionne tant sera réduite en poussière. Vous mourrez tous dans des souffrances atroces et toi, tu seras aux premières loges pour assister au spectacle. J’enverrai des légions, des hordes de démons vous trucider tous mais je sens d’ici que ma colère ne sera toujours pas estompée.
La démone soupira et ajouta :
« Je suis fatiguée, Complément, trouve très vite la solution à notre problème sinon tu vivras mais tu sombreras dans la folie après ce spectacle sanguinaire. N’oublie surtout pas, demain soir est aussi un soir de pleine lune, le dernier avant la pleine lune fatidique.»
Elle s’en alla en lévitant sous les regards ahuris des voisins collés à leurs fenêtres. Le journaliste se précipita sur son frère qui gisait dans une nouvelle mare de sang, il hurla afin qu’on leur vienne en aide avant de s’évanouir à son tour dans cette rivière pourpre.

Le réveil fut brutal, la gifle retentissante. Luis ouvrit les yeux et rencontra ceux de Carmen, sa sœur dont le mélange de tristesse et de fureur le renseigna sur la réalité de ce qu’il avait vécu. Il n’avait pas rêvé, tout était bien réel : Lilith, Luisdel et Aymeric qui avait perdu son bras ! D’un mouvement soudain, il se redressa sur son lit d’hôpital :
— Aymeric !
— Qu’est-ce que tu en as à faire ? Tu n’as cessé de nous mettre en danger depuis que tu es entré dans nos vies ! cracha sa jeune sœur.
— Est-ce…est-ce qu’il va s’en sortir ? demanda le journaliste dont les yeux se gorgeaient de larmes salées.
— D’abord notre sœur, Priscille dont le corps gît encore dans une morgue ensuite, notre mère qui est en train de lutter pour sa vie dans une chambre pas très loin et maintenant ça ! Aymeric qui se retrouve estropié à cause de toi ! Je lui avais pourtant demandé de ne plus t’approcher, tu portes malheur mais, il insistait dans cette folie en disant que tu es notre frère…
— Mais, je le suis…dit Luis en pleurant.
— Détrompe-toi ! Nous partageons certes le même ADN mais tu es loin d’être notre frère ! Je le confirme encore aujourd’hui. J’ai écouté tes voisins qui vous ont amenés ici à l’hôpital, ils disent avoir vécu une soirée pour le moins étrange avec des phénomènes bizarres, une femme toute nue sortant de ton studio et flottant dans l’air, emportant avec elle un corps qui flottait lui aussi dans l’air. On parle bien de ces démons auxquels tu appartiens, n’est-ce pas ?

Accablé, Luis acquiesça sans dire un mot. La douleur qu’il ressentait après la soirée qu’il venait de vivre et les mots durs de sa sœur avaient eu raison de lui.
— Il est clair pour toi que je dois mourir, c’est ça ? demanda-t-il au bout de quelques secondes à sa sœur.
— Jamais tu n’aurais dû exister ! lança-t-elle sur un ton volontairement mauvais.
— Du coup, toi aussi ! N’oublie pas que c’est parce que j’ai été sacrifié par nos parents que tu existes, répliqua le journaliste sur un ton fatigué.
Un court moment de silence les sépara, le temps pour elle de réaliser que son grand frère avait raison.
— Pourquoi a-t-il fallu que tu gardes ta virginité jusqu’à cet âge, mais pourquoi ? éclata-elle en sanglots. J’en ai marre de tant de souffrances autour de moi. Je veux mes frères et sœurs, je veux ma mère. Fais ce que tu as à faire et rends-moi ma famille !

Luis se leva, s’arrêta près de sa sœur, hésita à la toucher tendrement avant de sortir de la chambre pour se rendre dans celle de leur mère. Il ferma la porte derrière lui, ferma les yeux en laissant échapper une larme avant de les rouvrir et s’avancer vers le lit sur lequel était étendue Rachel entubée et branchée à tous ces appareils. Il se jeta sur ses genoux, au bord du lit et pleura à chaudes larmes :
— Maman, qu’est-ce que tu m’as fait ? Pourquoi m’avoir infligé une telle vie ? Tu n’aurais pas dû reprendre contact avec moi. Carmen me déteste et elle a raison, tout est de ma faute ! Mon existence est une erreur. Maman, je suis malheureux depuis toujours et je n’apporte que du malheur dans votre vie. Carmen a raison, je n’aurais pas dû rencontrer mes frères, j’aurais dû vivre et accomplir ma destinée. Priscille est partie à cause de moi, tu es couchée ici à cause de moi, Aymeric a perdu un bras à cause de moi et le sort du monde repose sur moi ! Comment vais-je faire pour trouver l’antidote contre le poison que tu as confectionné ? Maman, c’est trop douloureux, réveille-toi, je t’en supplie, j’ai besoin d’aide.

Le journaliste ne cessait de pleurer. Il serrait fort la main de sa mère mais, celle-ci restait chaude et molle. Il ne savait pas où elle s’était procurée le poison, il avait beau se lamenter, elle ne semblait donner aucun signe d’un réveil imminent lorsque soudain, sa douleur profondément ancrée en lui le poussa à hurler le nom d’Amabell qui se manifesta quelques minutes plus tard dans la pièce attiré par la force de sa douleur.

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant