Debout devant la baie vitrée, Luisdel regardait les toitures des bâtiments autour de la Tour Luisdel ; la nuit était à présent complètement tombée et, son manteau noir s’était répandu sur toute la ville capitale jusque dans l’esprit de Luisdel qui, par cette position, essayait de cacher à son frère la douleur qu’il ressentait après la découverte majeur de la soirée. Après avoir refermé la porte sur Luis qu’il avait pratiquement mis à la porte, Amabell se retourna vers son petit frère et devina, à sa posture devant la baie vitrée, qu’il n’allait pas bien : ses épaules étaient aussi basses que s’il portait tout le poids du monde sur lui, il semblait se retenir de brandir ses ailes et de briser la vitre devant lui pour s’envoler au loin.
Le frère aîné ressentait sa peine, il se racla la gorge et se dirigea vers Luisdel qui essaya de reprendre un peu de contenance pour ne pas perdre la face. Il se servit lui aussi un verre de whisky et marcha vers son petit frère dans un silence éloquent et les deux hommes regardèrent ensemble le ciel et la rue en bas, observant les personnes qui allaient et venaient à pied telle une armée de fourmis dépassées par les voitures qui glissaient sur la chaussée dans un sens comme dans l’autre. Au bout d’un moment de ce silence finalement plus dérangeant qu’autre chose, Luisdel inspira fortement avant de pousser un soupir bruyant puis, il demanda :
— Amabell, est-ce que tu m’aimes ?
La question désarçonna son grand frère qui garda le silence quelques secondes avant de répondre :
— Tu deviens sentimental, mon frère, tu sais qu’entre toi et moi il n’est pas question de se dire ces choses-là…
— Réponds-moi, Amabell, insista Luisdel en lui adressant un regard dont la tristesse profonde aurait pu engloutir le monde autour d’eux.
— N’ai-je pas toujours été là pour toi même quand nous étions plus jeunes ? Tu connais la réponse à cette question, répondit le frère aîné en se penchant vers le plus jeune.
— Ma seule erreur a été d’être un enfant adultérin et mes frères me vouent une haine farouche ! Ils me haïssent tous pourtant ils ont porté Père aux nues toute sa vie, lui le fautif ! Je ne pense pas avoir fait quoique ce soit pour mériter une telle haine, je crois que je vais me retirer de la course au…
— Jamais ! cria Amabell qui tint son frère par les épaules et le secoua tel un pantin désossé. Tu ne peux pas me faire ça ! On s’en fout de ce que pense ou dit Karab, on s’en fout de ce qu’ils pensent tous ! Tu n’abandonneras pas et certainement pas sans te battre…jamais !
— Mais à quoi bon ? Même si je gagne, ils ne me respecteront pas…ils ne m’ont jamais respecté et puis, le Grand Conseil pense comme eux, je le sais…Il faut vraiment me détester pour en venir à de telles extrêmes, tu ne penses pas ?
— Je ne veux rien savoir ! Quand tu seras roi après ton ascension plus glorieuse que pour tous les autres, ils devront tous se soumettre…
— Je ne suis plus sûr d’en avoir encore envie, Amabell, dit Luisdel en se retournant et marchant dans son salon sans but.
— Papa croyait en toi, il t’a préparé un Complément spécial, il m’a demandé de te soutenir parce qu’il savait que ton hybridité représentait le changement, l’avenir et moi je le pense aussi. Luisdel, tu ne peux pas abandonner, ce n’est simplement pas possible !
— Ils me détestent tous, Amabell, si je n’étais pas plus fort physiquement qu’eux, ils m’auraient tué il y a longtemps même ces chers membres du Grand Conseil…dit le milliardaire la gorge nouée.
— Je t’interdis de te morfondre, Luisdel ! gronda Amabell ce qui fit sursauter Luisdel. Ils peuvent te détester s’ils veulent mais les choses sont lentement en train de se mettre en place. Tu as vu ton Complément ? Il m’a vraiment impressionné tout à l’heure, il n’avait pas l’air si effrayé que ça pour un humain dans sa condition et puis, j’ai cru lire une certaine compassion dans son reg…
— C’est peut-être parce qu’il n’est pas exactement l’humain de base, le coupa Luisdel et puis, je n’ai pas besoin de sa pitié, ce serait pathétique !
— Au contraire, renchérit Amabell, ça arrangerait tes affaires.
— Tu ne penses donc qu’à ce trône même dans un moment pareil ? Je suis au plus mal…
— Et tu as besoin de quelqu’un qui te comprenne…
— Le trône, je te le laisse…je vous le laisse à vous les véritables sirènes, mon frère, moi je ne suis qu’un…
— Ne le dis pas, s’il te plaît, supplia sincèrement Amabell.
— Un oiseau de mauvais augure ? Un volatile de très mauvaise engeance, la pire des engeances ? Il le faudra bien un jour, mon frère, c’est exactement ce que je suis et, apparemment, je tiens plus de ma mère que de mon père sur ce point, répliqua Luisdel dont les ailes noires et gigantesques se déployèrent au même instant.
La figure toujours aussi triste, il déposa son verre sur un guéridon et marcha vers la terrasse puis, déclara :
— Ce que tu te plais à appeler hybridisme, pour tes frères et les autres c’est juste une aberration, je suis une erreur de la nature et je suis du même avis qu’eux…
— Arrête, tu ne peux pas penser ça de toi…dit Amabell qui suivit son petit frère sur la terrasse.
— Jamais cette union n’aurait dû engendrer un être…jamais ils n’auraient dû copuler ! le coupa le milliardaire dont la voix était déjà déchirée avant de s’envoler haut dans le ciel à une vitesse impressionnante.
POINT DE VUE DE LUIS
Sorti brutalement de l’appartement de Luisdel, le journaliste avait marché longtemps avant de héler un taxi. Il était plongé dans ses pensées et le milliardaire en occupait la partie la plus importante. Le monde, il le voyait vraiment autrement maintenant qu’il avait toutes les confirmations de l’existence d’entités autres que l’humain. Il se trouvait bête et trouvait encore plus bêtes tous ces passants qui riaient et profitaient de leurs moments de joie entre amis ou en famille. Il appartenait à un être maléfique qui lui a pratiquement donné la vie et l’a destiné à son fils, pensait Luis en marchant ; sa vie misérable jusque-là s’arrêtera dans moins de deux mois maintenant et soudain, il pouffa de rire, un rire de plus en plus hystérique, de plus en plus fou au milieu des gens qui le regardaient, prenaient peur et s’éloignaient de lui. Il n’en avait cure, il parlait à voix haute :
« Vous vous rendez compte ? Ha ha ha ! Je vais mourir dans moins de deux mois ! Non mais vous vous rendez compte ? Je n’ai que 30ans ! Ha ha ha ! Je dois me faire absorber par un être surnaturel pour qu’il atteigne l’apogée de son pouvoir et gouverne dans son monde ! Ha ha ha, ce n’est pas fou, ça ? Le pire c’est que ma mère, ma propre mère a accepté le deal pour avoir d’autres enfants ! Elle n’en avait rien à faire de ce fils qu’elle abandonnait aux ténèbres ! Ha ha ha… »
Les passants l’écoutaient, ils avaient formé un cercle autour de lui en respectant une certaine distanciation alors qu’il se dandinait dans un sens ou dans l’autre racontant son histoire mais, certains lui crachaient des : « Il faut toujours lire les conditions avant de signer ! Les sectes ne sont pas bien ! Il divague, il devient fou ! La jeunesse qui veut aller plus vite que les adultes ! Le pauvre, un si bel homme ! Il récolte ce qu’il a semé ! Appelez Jamot, c’est là-bas qu’est sa place… »
Les badauds le regardaient, certains avec commisération et d’autres d’un air moins intransigeant. Luis s’en foutait, il ne s’en rendait même pas compte, il riait, racontait son désespoir puis, il riait, riait encore. Il sortit du cercle de voyeurs et avança soudain calmement parmi la foule comme si l’épisode psychotique de tantôt n’avait jamais eu lieu. Ses jambes le menèrent dans un bar que ses yeux avaient repéré et, à l’intérieur, il s’assit dans un coin sombre et commanda le grand modèle de cette boisson fortement alcoolisée et sucrée, au liquide noir qu’il n’affectionnait pourtant pas. Le verre rempli deux fois, la bouteille était vide, il en commanda une nouvelle qu’il but au même rythme avant de voir la pièce tourner autour de lui. Il éructa et commanda une troisième bouteille avant de se tasser dans son coin, attendant on-ne-sait-quoi, regardant les autres clients sans vraiment les voir, sans faire attention à la personne près de lui qui, sans vergogne, posa sa main sur sa cuisse et le fit frémir ; il ne bougea ni ne repoussa cette main chaude qui le caressa délicieusement sous la table jusqu’à ce saisir de son entrejambe qu’elle massait expertement. Luis leva la tête et regarda dans la direction de la propriétaire de la main à qui il sourit :
— On se trouve un coin plus tranquille ? demanda-t-il sans réfléchir.
— Emmène-moi où tu veux, bébé ! répondit la voix un peu rauque de son invitée.
Il laissa là sa bière et traina la jeune femme vêtue d’une robe paysanne à la fente vertigineuse et perchée sur des talons aiguilles dans la ruelle derrière le bar et la plaqua contre le mur avec passion avant de l’embrasser goulument tout en baladant ses mains sur son corps aux courbes généreuses. La jeune femme goûtait à son plaisir ; les mains baladeuses de Luis couraient sur son corps, pressaient ses fesses telles des oranges juteuses, ses baisers partout sur son cou, sur ses lèvres et ses gémissements finirent de l’exciter puis, tandis qu’il remontait l’entrecuisse de la jeune femme avec douceur pour lui caresser le bouton rose, celle-ci le stoppa à mi-chemin et de sa voix rauque, lui murmura dans le creux de l’oreille :
— 10.000, tu me pénètres ; 5.000 je te pénètre ; 20.000 on se pénètre tous les deux et pour 50.000, on passe la nuit ensemble, je t’envoie au paradis !
Luis l’écouta à demi-mots et voulut de nouveau lui prendre les lèvres mais, l’information arriva enfin à son cerveau alors, il refreina ses envies avant de réaliser qu’il s’agissait d’une professionnelle, une de celles qui ont entre les jambes un pain et deux œufs. Pour s’en assurer, il força la course de sa main indiscrète jusqu’à atteindre le paquet conséquent qui se cachait sous cette robe paysanne, il tâta les trois objets et écarquilla les yeux avant de pouffer de rire sous les regards frustrés de la jeune professionnelle qui le repoussa en disant :
— Lâche-moi ! Pourquoi tu te moques ? Si ça ne t’intéresse pas, dis-le, pas besoin de me blesser.
Le journaliste s’excusa mais avait du mal à s’arrêter de rire et continua ainsi alors que la jeune femme le regardait puis, elle ajouta :
— Paie-moi, je dois partir.
— Payer ? Mais on n’a rien fait ! s’exclama Luis dont le rire venait de s’arrêter.
— Tu m’as pris du temps, tu m’as tripotée, tu m’as embrassée, tu paies ! Sinon je crie.
— D’accord, d’accord, dit-il en fouillant sa poche.
Il en sortit un billet de 10.000 qu’elle arracha avant de dire :
— Tu sais, tu es très mignon comme ivrogne, je pourrais au moins te faire une gâterie et on serait quittes, qu’est-ce que tu en dis ?
Luis réfléchit quelques secondes, regarda autour de lui, la noirceur de la nuit, la ruelle lui rappela Axel, Axel lui rappela Luisdel et toute sa vie lui revint en pleine face. La voix rauque de la jeune femme le ramena à la réalité :
— Hey, qu’est-ce que tu en dis ? J’te suce ?
— Euh…non…merci. Je crois…je vais rentrer, je ferais mieux de rentrer chez moi. Comment tu t’appelles ?
— Pour toi ce sera Cléopatra, répondit la voix rauque.
— Ravi de t’avoir rencontrée, Cléo…Cléopatra. J’ai aimé tes caresses et te caresser…
— Moi aussi…
— Ah, j’ai failli oublier : joli paquet, très robuste ! Allez, bonne nuit ! dit le journaliste en s’en fuyant dans le noir sous le regard désolé de la professionnelle.
Quelques minutes plus tard, dans son appartement, il se glissa sous la douche où il profitait de l’eau qui lui faisait un bien fou. Il éclata pourtant en sanglots en repensant à sa vie minable ; il s’assit sur le carrelage et laissa l’eau venir à lui en se demandant ce qu’il allait faire d’une vie qui ne lui appartenait pas. Il tenait à cette vie et pourtant, il en avait marre, il voulait échapper à ces êtres même si, chaque fois que son cerveau lui présentait l’image de Luisdel, il ne voyait pas que le monstre en lui, il voyait aussi la beauté dans l’horreur, la douleur, il la ressentait et s’en voulait de la ressentir.
Il sortit de la salle de bain sans prendre le temps de se sécher à l’aide d’une serviette, traversa le couloir les fesses à l’air et se rendit dans la cuisine où il but la moitié d’une bouteille d’eau fraîche. De nouveau dans le couloir, il jeta un coup d’œil au salon et ce drap recouvrant encore la fenêtre, ce sel versé devant la fenêtre tôt le matin avant le départ de sa mère ; il continua dans sa chambre et se laissa choir sur le lit lorsqu’au bout de quelques minutes de silence prémonitoire, il sentit son corps vibrer une fois, deux fois puis, au bout de la troisième fois, il entendit :
— Laisse-moi entrer, Primoas Luis.
— Qu…qui est…Luisdel ?
— Je suis à la fenêtre, répondit le milliardaire posément alors que Luis se levait et se dirigeait vers la fenêtre avant de décrocher le drap qui la recouvrait.
Il put ainsi découvrir devant sa fenêtre, le regard rouge écarlate de Luisdel sur un visage humanoïde avec une paire d’ailes encore plus sombre que sa peau d’un noir de cuivre. Il recula d’un pas à cause de la surprise mais, il n’avait pas peur, il observait le visage, le détaillait et, pendant ce temps, Luisdel ne disait pas un mot.
— Voici donc à quoi tu ressembles vraiment ! dit-il en se plantant devant sa fenêtre.
— C’est vrai que j’aime ce que je vois vu d’ici mais, tu ne penses pas que tu devrais te mettre un petit quelque chose sur le dos et me laisser entrer ? fit remarquer Luisdel sur un air coquin.
Luis réalisa alors qu’il était aussi nu qu’un nouveau-né, la honte le prit mais il essaya de faire bonne figure en disant :
— Il n’y a rien là que tu ne connaisses pas, je crois et puis, d’après la légende, tout cela t’appartient donc, à quoi bon me couvrir ?
— C’est vrai mais, Luis, j’aimerais avoir une conversation avec toi et j’ai peur d’être distrait par ta tenue.
Faisant semblant de ne pas être gêné au plus haut point, Luis se dirigea vers son placard et y décrocha un peignoir propre qu’il enfila sous les regards certainement concupiscents de son invité nocturne derrière ce rouge écarlate.
— Pourquoi devrais-je te permettre d’entrer chez moi ? Si j’en crois Alex…ton autre frère, tu es le mal incarné, vous êtes tous le mal incarné et ma maison est mon seul rempart face à votre influence satanique.
— Tu penses vraiment que je suis aussi satanique ? demanda posément Luisdel de sa voix grave.
— Je…
— Tu sais que je ne te ferai pas de mal, Promis A Lui, laisse-moi entrer, qu’on puisse avoir une conversation normale. Tes voisins pourraient me voir planer à ta fenêtre et ça les ferait jaser.
— Au point où j’en suis, je m’en fous, je serai mort dans un délai très court donc…mais que dois-je faire pour que tu entres ?
— Le sel, fais une brèche et je pourrais passer.
— C’est tout ? demanda Luis le regard surpris.
— C’est tout.
Le journaliste s’exécuta, retourna s’asseoir sur son lit et regarda Luisdel faire son entrée officielle dans sa maison par la fenêtre. Ses ailes immenses disparurent en un mouvement des épaules alors qu’il tenait déjà la fenêtre et, lorsque son corps fut complètement à l’intérieur, son regard redevint humain, son apparence reprit forme humaine. Luis put ainsi voir le regard triste qu’arborait le milliardaire mais il n’en fit pas cas.
— C’est petit ici, dis-donc, je ne l’avais jamais remarqué en projection astrale ! commença Luisdel.
— Tu veux dire, lorsque tu t’introduisais en bon pervers dans mon intimité sans ma permission ? répliqua Luis sans méchanceté dans la voix.
— Te voir tripoter ta petite tige d’avant constituait un spectacle triste et pourtant hilarant, dit Luisdel en souriant, alignant ainsi la blancheur de ses dents sous le regard observateur et admiratif de Luis.
— C’est bien ce que je disais : un pervers ! confirma le journaliste un rictus à la lèvre.
— Tu veux savoir ce qu’il y avait d’encore plus spectaculaire ? Bien que je détestais les humains, bien que tu m’indifférais, j’adorais t’observer pendant ton sommeil et ce, malgré ton apparence de petite boule boutonneuse et hideuse. Tu avais quand même quelque chose de plaisant, cette sincérité, cette innocence, la longueur de tes cils, tes traits apaisés, tes soucis envolés, j’aimais te voir te rouler en boule dans ce lit…
— Mais tu venais gâcher mon sommeil en apparaissant dans mes rêves, le coupa Luis pour cacher la gêne que le milliardaire avait provoquée en lui.
— J’essayais de rentrer en contact avec toi mais je devais me battre contre ta mère qui, soit dit en passant, ne cesse d’élever des prières contre moi. Je les entends maintenant clairement. répliqua Luisdel.
— Qui es-tu vraiment ? demanda Luis sans transition. J’ai entendu ce qu’on dit de toi, j’ai vu ton apparence véritable il y a quelques minutes mais toi, que dis-tu de toi ? Qui es-tu ?
— Tu as vu l’une de mes apparences, Luis, et ce n’est pas celle qui me définit le mieux. Je suis Milan F. Luisdel…
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S.A.R MILAN F. LUISDEL
ParanormalUn couple qui n'arrive pas à avoir des enfants par tous les moyens traditionnels et médicaux mis à leur disposition et, dans le désespoir, il décide de se tourner vers des pratiques occultes. C'est ainsi qu'il fait un pacte de sang avec une entité à...