CHAPITRE 24

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MILAN F. LUISDEL

CHAPITRE 24

Devant l’immense fumée noire qui se répandait en polluant l’eau au-dessus de leurs têtes, leurs yeux s’écarquillèrent si fort qu’ils ressentaient des douleurs dans les orbites. Jamais aucun d’eux n’avait entendu, lu ni assisté à pareil spectacle dans toutes les mers et les océans réunis. De sa peau d’un noir ébène, sa chevelure longue, très longue et d’un noir de jais flottante dans ce qui paraissait être une bulle d’air la protégeant de l’eau qui submergeait tous les êtres, la dame aux yeux d’un rouge vif tels des rubis écarlates, descendit doucement, sa silhouette voluptueuse et recouverte d’un simple triangle sur la zone pubienne se posa gracieusement sur le sol de Maestria sous les regards outrés des Douze Sacrés et du Grand Conseil Triton dont l’un des membres dit :
— La putain millénaire est parmi nous !
A peine avait-il terminé sa phrase que, sans que personne ne la voit venir, la dame disparut de sous les yeux de tout le monde et réapparut derrière un autre membre du Conseil jusque-là silencieux et lui sépara la tête du reste du corps dans un mouvement encore plus rapide avant de s’abreuver du sang vert qui jaillissait de son cou en se répandant dans l’eau. Toute l’assistance la regardait frappée d’épouvante ; les Douze Sacrés, les membres du Conseil, les autres princes et toute l’assemblée des spectateurs, ceux qui étaient restés en vie, ceux qui n’avaient pas fui mus par la peur, ils étaient tous pétrifiés. Le temps d’une seconde, personne n’ouvrit la bouche jusqu’à ce qu’un cri horrifié les sorte tous de leur torpeur puis, s’enchainèrent d’autres cris affolés.
— C’est pas du poisson de premier choix ça ! se moqua la dame avant de se débarrasser négligemment des parties du corps de triton qu’elle tenait dans chacune de ses mains.
— Qui êtes-vous ? demanda l’un des Douze. Vous osez profaner notre terre sacrée…
— Bla bla bla bla, le coupa-t-elle en marchant d’une manière lascive, les pieds nus, dans la direction du conseiller qui l’avait traitée de putain.
Tous la regardaient, ils étaient tétanisés. L’odeur puissante de soufre qu’elle charriait avec elle et l’assurance dont elle faisait preuve ne pouvaient traduire qu’une puissance hors norme et tous les tritons présents en étaient bien conscients. Devant le grossier conseiller, elle s’arrêta, le transperça de son regard rouge écarlate puis, sourit avant de se retourner et dire :
— Je m’appelle Lilith mais ça, je pense que vous vous en doutiez un peu. On m’a donné plusieurs noms dans l’histoire, j’ai toujours eu une préférence pour « La Mangeuse d’âmes » mais jamais je n’ai souffert que l’on me traite de putain et surtout pas par un petit poisson insignifiant ! Rappelez-vous bien ceci, je n’ai aucune morale, je n’obéis qu’à mes propres lois, je suis plus âgée et beaucoup plus forte que dix fois un milliard de petits poissons à tête humaine donc n’essayez même pas de me combattre, je me ferais un plaisir de me curer les dents avec vos arrêtes après avoir violé les plus robustes de vos mâles et, croyez-moi, quand je viole, ça n’a rien de plaisant pour mes victimes, ha ha ha. Pour ceux d’entre vous qui aimez la lecture, vous savez que le sang est une douceur pour mes papilles millénaires et donc, le premier qui traitera encore la dame respectueuse que je suis de catin ou salope ou putain, je le déshydrate jusqu’à ce qu’il se désagrège.
Elle se retourna vers le conseiller qui l’avait insultée et demanda :
« Me suis-je bien fait comprendre ? »
— Que nous vaut le déplaisir de votre présence en ce lieu, que voulez-vous ? demanda une des voix gravées dans la pierre sacrée alors que le conseiller insolent tremblait dans cette eau glacée.
— J’ai juste une demande mais avant, répondit-elle, je voudrais voir ce qu’on a là.
Se déplaçant toujours dans sa bulle invisible qui empêchait l’eau de la toucher, la démarche toujours aussi chaloupée, elle avança, s’approcha d’Amabell et Karab mais surtout, de Luisdel qui n’avait pas dit un seul mot depuis son arrivée.
— Mon fils, commença-t-elle, comme tu es grand, beau et…te voir en vrai après toutes ces années c’est…je ressens en toi une certaine force insoupçonnée ! Je savais bien qu’en copulant avec le Roi le plus puissant des poissons je donnerais naissance à une espèce encore plus puissante…
— Une engeance maléfique ! cracha Karab.
— Et le petit poisson décérébré ! Le frère jaloux, conspirateur et fou ! Sais-tu que je pourrais t’arracher toutes tes écailles rien que d’un claquement de doigts ? Je le ferais avec plaisir si je ne devais pas à votre père une certaine…comment dire, reconnaissance.
Elle mit une petite tape sur la joue de Karab en affichant un sourire qui n’avait rien d’amicale. Son regard rouge devint plus humain, ils prirent une coloration violette qui tranchait avec la noirceur appuyée de sa peau.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Luisdel sur le ton des reproches.
— Je suis venue pour toi, répondit-elle dans une voix chantante, ignorant l’agressivité dans la voix de son fils.
— Pourquoi après tant d’années ? questionna encore Luisdel.
— Une mère a bien le droit de rendre visite à son fils de temps en temps…du reste, j’ai été très occupée ! Il se trouve que j’arrive au bon moment pour toi : ta famille paternelle veut t’évincer de la course au trône.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Tu laisserais cette crevette prendre le pouvoir à ta place ? s’indigna-t-elle en parlant de Karab.
— J’ai d’autres frères…
— Arrête, ils ne font pas le poids face à toi, aucun ne fait le poids et tu le sais, ils le savent ! l’interrompit la dame au physique de nymphe voluptueuse. Peut-être Amabell, le gentil fiston mais, on sait tous que même après une fusion réussie, il ne ferait pas le poids.
— Tu parlais d’une demande…rappela Luisdel avec froideur pour recentrer la discussion.
— Ça va durer longtemps ce petit ton de reproches ? Je suis ta mère mais je ne suis pas la plus patiente des mères et c’est bien connu, tu n’es pas le seul de mes enfants et surtout, je n’ai aucune fibre maternelle alors, ressaisis-toi ! ordonna-t-elle fermement sans lever la voix.
— C’est quoi cette demande, insista Amabell.
— Toujours soutenir son frère, je te remercie pour ça, dit-elle avant d’ajouter en se tournant vers les Douze Sacrés : j’exige que soit respectée la règle qui donne droit à tous les enfants du Roi, légitimes ou pas, de participer à la course au trône.
— Il est à présent accusé par son frère de crimes perpétrés sous nos yeux sans parler de la destruction partielle de ce lieu sacré et le droit…répondait un des Douze quand elle le coupa d’une voix soudain colérique :
— Assez ! Quelques malheureuses vies tritons perdues ne sont rien devant mon fils, des morceaux de pierres, fussent-ils sacrés, ne sont en rien comparables à la vie de mon fils ! Je tiens à le faire à la loyale c’est pour ça qu’il doit passer par la fusion pour accéder à ce trône sinon vous savez que je pourrais l’y installer de force !
— Vous avez souillé nos eaux sacrés dès le jour où vous avez copulé avec le Roi défunt, vous souillez encore ces eaux aujourd’hui par votre simple présence démoniaque : La requête du Prince Karab semble…
— Avant que vous n’ajoutiez un seul autre mot, sachez que si vous retirez à Luisdel son droit naturel de se battre pour ce trône, il ne restera rien dans cette ridicule flaque d’eau après mon départ, je vous détruirais tous et je pisserais sur vos écailles de tritons morts ! prévint Lilith dont les yeux avaient repris leur teinte maléfique dénotant le sérieux de sa menace.
Le silence prit possession des lieux après cet avertissement des plus convaincants. L’un des Douze sacrés s’énerva au bout de quelques secondes et, dans un bruit spectaculaire, son visage se détacha du rocher et prit une taille plus humanoïde à la surprise générale puis, une lumière multicolore sortie des yeux et de la bouche des onze autres en direction de celui dont le visage s’était détaché. La lumière qui jaillit de cette communion éblouit toute l’assistance sauf Lilith qui observait très clairement la scène ; le bruit était assourdissant au centre de cette lumière et, lorsqu’elle disparut, il ne restait sous leurs yeux plus qu’un triton mal au buste royal orné de tatouages et de perles luisantes tandis que la partie inférieure de son corps se terminait par une queue de requin. Son expression furieuse sur le visage allait bien avec le trident Royal en or massif qu’il tenait dans sa main droite avant de le pointer vers Lilith qui sourit alors qu’il la chargeait férocement. Les tritons encore sur place se jetèrent sur leurs rotules écailleuses en signe d’adoration et de respect devant ce nouvel être qui était le résultat de la fusion des Douze Sacrés en disant :
« Nous vous saluons, Dieu Triton ! »
— Les poissons semblent être fatigués de vivre ! Je n’ai pas de temps pour ces jeux de gamins, les méprisa-t-elle.
Lilith se mit en position d’attaque les jambes à demi repliées telles un oiseau qui prend l’élan pour s’envoler, les bras tendues vers le ciel, elle allongea ses ongles noirs à l’infini et, ceux-ci se plantèrent dans la peau du Dieu Triton qui hurla de douleurs et le stoppèrent dans sa course vers elle puis, d’un cri puissant, elle enfonça encore plus ses ongles jusque dans les tréfonds des entrailles de sa victime qu’elle se mit à écarteler sous les regards impuissants des autres tritons alors que le Dieu Triton hurlait toujours plus fort. Une nouvelle lumière apparut et les éblouit de nouveau et, quand elle disparut, le Dieu Triton avait disparu, les douze visages avaient repris leurs places sur les pierres sacrées :
— Franchement, vous pensez pouvoir me tenir tête avec des petits tours de passe-passe aussi ridicules ? Si vous êtes encore en vie c’est bien parce que vous êtes les seuls capables de couronner le futur Roi. Gardez bien vos places dans la pierre ou je raie l’espèce triton de toutes les eaux de ce monde pitoyable !
Devant l’échec cuisant des Douze, plus aucun triton ne bougea une nageoire. Ils avaient tous l’air abattu, le Grand Conseil Triton encore à genoux était hébété, les autres princes tremblaient devant une puissance aussi maléfique ; les spectateurs qui étaient restés se lancèrent dans un bruit sourd que l’on pouvait traduire comme des pleurs alors que le désespoir se lisait sur leurs visages.
— Mon fils reste-t-il dans la course, demanda Lilith au Grand Conseil Triton et aux Douze Sacrés coincés dans la pierre.
Les douze visages se figèrent instantanément alors que les membres du Grand Conseil Triton se levèrent tous puis, l’un d’entre eux déclara :
« La compétition reste ouverte pour tous les enfants du Roi défunt. »
— Sage décision ! se réjouit la démone.
— Et s’il échoue ? demanda un autre membre du Grand Conseil.
— Cela n’est pas envisagé ! Ce trône est à lui aussi naturellement que le sang qui coule dans ses veines. Vous vous soumettrez à lui car il est de grande naissance, il est appelé à faire de grandes choses ! rétorqua Lilith.
— Lesquelles ? questionna Amabell
Elle ne répondit rien d’autre que ce sourire qu’elle adressa à son fils qui la toisa avant de s’élancer à une vitesse phénoménale vers la surface, suivit d’Amabell.
POINT DE VUE DE LUIS
Couché sur son canapé, Luis se tournait et se retournait telle une toupie, son sommeil était agité et il n’avait pas réussi à trouver une position confortable sur ce meuble. Jusque dans ses rêves, son tourment l’avait poursuivi et, les larmes s’échappaient de ses yeux à présent à demi clos. La piqûre du froid matinale lui transperça les chairs et le réveilla puis, le força à courir dans son lit à la recherche de plus d’espace et d’une position confortable mais, à peine s’était-il allongé qu’il entendit la sonnerie. Qui cela pouvait-il bien être si tôt ? se demanda le journaliste en sortant du lit et titubant en direction de son tiroir à caleçons ; il se cogna si fort le petit orteil sur sa table d’études qu’il poussa un juron mais rattrapa de justesse le flacon que lui avait remis sa mère la dernière fois qu’il l’avait vue bien portante et la tristesse l’envahi de nouveau car il se reprochait toute cette histoire. La sonnerie retentit une nouvelle fois et le sortit de sa rêverie douloureuse puis, la sonnerie insista encore et encore durant son trajet vers la porte. Tout en se frottant les yeux pour se réveiller, il ouvrit la porte et écarquilla les yeux aussitôt qu’il put voir distinctement cet invité inattendu :
— Aymeric ? Que…que fais-tu ici…comment as-tu eu mon adresse ?
— Bonjour Luis, le salua son petit frère qui s’introduit dans le salon les mains dans ce blouson militaire qu’il portait pour se protéger des attaques du froid.
Le jeune frère passa un coup d’œil rapide et méticuleux sur la pièce avant de dire :
— J’imaginais la décoration plus minimaliste et ton studio plus rangé !
— J’étais une autre personne il y a quelques semaines, cette personne remplissait son espace dans le but de remplir le vide qu’elle avait en elle. Que puis-je faire pour toi, Aymeric, il est arrivé quelque chose à maman ? demanda-t-il soudain inquiet.
Le jeune militaire ne répondit pas tout de suite, il le dévisagea, les mains toujours dans les poches avant d’en sortir la gauche pour se gratter la tête puis, il dit :
— Tu l’appelles maman !
— Ça…ça te dérange ? l’interrogea Luis gêné.
— Non ! C’est aussi ta mère…c’est même ta mère avant d’être la nôtre. Toi tu es l’enfant qu’ils ont tant voulu et qu’ils ont dû abandonner tandis que mes sœurs…nos sœurs et moi sommes des sortes de pansements sur la blessure qu’a causé cet abandon…
— Je ne pense pas que c’est comme ça que nos parents voyaient les choses, le coupa le journaliste dont la peine piquait les entrailles.
— C’est pourtant la vérité. je n’ai pas dormi cette nuit et j’ai beaucoup réfléchi. Plusieurs souvenirs sont revenus et maintenant que je comprends mieux les choses, je comprends pourquoi papa s’est mis à boire : tu leurs manquais terriblement ! Il est mort malheureux, tu sais ? Rien n’a pu lui donner la joie…
— Si, vous trois ! Maman m’a dit qu’il avait été très heureux de vous avoir aussi.
— Je n’en doute pas mais abandonner leur premier enfant est une douleur qu’il n’a pas pu supporter en restant sobre, insista Aymeric.
— Je suis vraiment désolé, s’excusa Luis en se rendant dans sa chambre chercher quelque chose à se mettre sur le dos.
Son frère le suivit dans la chambre :
— Alors, c’est ici que la magie opère avec les garçons ?
Cette question désarçonna le journaliste qui ne s’y attendait pas et se retourna, affichant un sourire gêné :
— Il n’y a pas eu tant de passages que ça, souviens-toi que je suis encore puceau !
— C’est tout de même un exploit ça ! A 30ans, faut le faire !
— Je suppose que tu es un tombeur, toi ! demanda Luis en souriant sincèrement à son frère.
— Je n’ai pas à me plaindre, c’est sûr mais tu sais, la tenue y est pour beaucoup. J’aimerais qu’on parle de ce Luisdel, tu l’aimes vraiment ? l’interrogea le jeune militaire qui venait de s’asseoir sur le lit pour en tester le matelas puis, se leva et se dirigea vers la table d’études.
— Je…je ne sais pas et puis, ça me gêne d’en parler avec toi…
— T’inquiète, les histoires d’homosexualité, j’en ai vu des tas au camp militaire, rien ne me surprend. Je te pose la question parce que je veux qu’il meure, je veux qu’ils meurent tous et j’ai trouvé comment faire. annonça le jeune homme sur le ton le plus calme mais décisif du monde.
— Je te laisserai bien tuer Axel mais pas Luisdel…
— Pourquoi ? Ce sont tous des monstres et puis, tant qu’il est en vie et court après ce trône ta vie est en danger !
— Ecoute, je comprends que tu leurs en veuilles mais…
Le journaliste ne put terminer sa phrase car, la sonnerie retentit de nouveau. Il fronça les sourcils et sortit de la chambre en y laissant son petit frère ; la porte ouverte, il demanda :
— Qu’est-ce que tu veux ?

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant