CHAPITRR 37

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Le silence avait envahi toutes les profondeurs en même temps que s’était estompée toute la boue soulevée par l’action de ce nouveau Luisdel à la peau toujours aussi sombre, au poil d’une blancheur immaculée et au regard écarlate. Tous les tritons présents avaient les yeux rivés sur ce nouvel être dont la transformation physique était sans nul doute plus spectaculaire que ne l’avait jamais été aucune autre. Il se tenait là-haut, sans bouger ni parler, il regardait juste devant lui ce rocher des Douze désespérément vide alors qu’on ne savait où étaient passés les illustres têtes qui y étaient emprisonnées. Lilith se tourna et regarda Amabell qui s’éleva lui aussi et se mit à son niveau :
— Qu’est-ce qu’il se passe ensuite ? demanda la démone qui hésitait tout de même à s’approcher de son fils, sentant que quelque chose n’était pas encore arrivé à son terme.
— Où sont passés les Douze ? demanda l’un des princes tritons à voix haute.
— C’est vrai, où sont-ils passés ? dit l’un des membres du Grand Conseil avant qu’un autre n’ajoute :
— Jamais on n’avait vu ça dans les eaux de Maestria, jamais les Douze n’avaient quitté leur pierre aussi longtemps ! La première fois c’était pour nous défendre contre cette démone mais ils avaient repris leur place habituelle et cette fois-ci c’est à cause de son fils démoniaque, cette chose aux yeux aussi tâchés de sang que ceux de sa mère sortie des enfers ! Voici déjà de longues minutes et ils ne se manifestent toujours pas…
— Jamais je n’ai vu un tel phénomène depuis la première fusion ancestrale, dit le Grand Orateur lui aussi dans l’expectative.
— C’est parce qu’il a tué les Douze ! Il n’est pas comme nous ! Ils ne reviendront pas, ce fils de démon a tué les Douze ! Il est exactement la calamité que nous avons toujours pensée qu’il serait ! lança un autre membre du Grand Conseil.
Lilith les foudroya de son regard vif et prêt à dégainer alors que ces paroles acerbes contre Luisdel rencontraient l’assentiment de la foule en colère mais, Amabell chuchota :
— Ce serait contre-productif de les tuer maintenant, Lilith, ce sont des membres du Conseil et nous avons des milliers de paires d’yeux sur nous, vous enverriez le mauvais message.
— Et quel serait ce message ? demanda-t-elle réprimant avec douleur sa colère.
— Vous tenez à ce que ces peuples suivent Luisdel dans la guerre que vous voulez mener contre le paradis, les tuer sans qu’il puisse les défendre les pousseraient à le vomir en tant que roi. Il perdrait sa légitimité.
— Les Douze sont les seuls à pouvoir le couronner et s’ils ne sont plus alors tout ce monde ne me sert à rien ! Si en plus ces petites crevettes veulent se constituer mutins, je me ferais un plaisir de les désosser arête après arête. Ça me rendra certainement la journée plus gaie. dit-elle le regard méprisant en direction de toute la tribune princière où l’on entendit Karab dire :
— Cette fusion est la pire de toute l’histoire des fusions de toutes les mers et les océans réunis ! Un hybride à moitié démon qui veut prendre le trône de Maestria, le trône le plus majestueux du monde triton c’était déjà une aberration mais si en plus après sa fusion improbable il avait réussi à tuer les Douze Sacrés, des êtres immortalisés dans la pierre la plus pure des océans et des mers, les gardiens de notre mémoire collective, des sages, les seuls capables de le couronner lui…
Il pouffa de rire, un rire à la fois moqueur et dépité avant de continuer :
« Excusez-moi, chers rois, chers membres du Grands Conseils, hauts dignitaires de toutes les contrées marines et vous, chers peuples, la situation est bien plus grave qu’on l’imagine et ce n’est pas le moment de rigoler, je le sais bien mais, je trouve cocasse que ce chien de démon ait éliminé les seuls à avoir l’autorité nécessaire pour faire de lui l’autorité suprême dans ces eaux…Quel peuple vas-tu gouverner après avoir détruit nos fondamentaux ? Aucun de nous ne veut de toi Fils Du Malin ! Tu n’es pas la chair de notre chair, ton sang est impur, souillé. Quel triton voudrait te suivre après nous avoir montré, par ton impitoyable sauvagerie, que tu ne respectes même pas les gardiens de notre mémoire collective ? Après la fusion, la force des vrais princes tritons est dosée assez pour que l’exercice auquel tu t’es prêté ne soit pas fatal aux Douze mais par ta nature…»
Il n’eût pas le temps de finir sa tirade qu’une lumière bleue apparût, son intensité augmentait avec les secondes qui passaient jusqu’à ce qu’aucun d’eux ne puisse garder les yeux ouverts. Lorsqu’elle disparut, ils ouvrirent tous les yeux et les écarquillèrent tous ensuite à la vue de ce nouvel être poisson à la queue multicolore, à la poitrine nue et haletante, aux traits fins sur une peau d’un brun-roux tel du bois acajou et dont le regard doux et vert terminé par des cils longs et délicats sous une chevelure crépue représentait un être inattendu. Des bijoux aux couleurs de sa longue queue, elle en était recouverte sur toute la partie supérieure de son corps ; son tronc et ses bras jusqu’au cou, étaient recouverts de tatouages délicats représentants des figures qui tenaient plus du mystique qu’autre chose.
— Désolés de vous avoir fait attendre, il faut dire que rien n’est, disons…normal dans cette fusion. Nous sommes les Douze et ceci est notre nouvelle apparence, annonça-t-elle dans sa voix multiple alors que tous pouvait ressentir la puissance qui émanait d’elle.
— Jamais je n’avais vu des poissons aussi caméléons ! Vous changez d’apparence comme les humains de chemises…peut-on procéder au couronnement ? demanda Lilith heureuse mais lasse. Pour info, ma chère ou quel que soit le nombre que vous êtes dans ce corps délicieux, sache que je suis heureuse d’avoir en face une femelle, y’en a marre de ces mâles qui ne comprennent jamais rien à rien !
Le choc se voyait sur les visages de tous, ils ne savaient que penser mais étaient bien obligé de se soumettre devant l’énergie colossale et pourtant familière que dégageait ce nouvel être. Le Grand Orateur fit quelques mouvements dans l’eau avec son trident puis, dit :
—  Les Douze sont bel et bien là. Inutile de rappeler à qui revient légitimement le trône de Maestria puisque la règle est claire : seul celui des candidats qui réussira à libérer, par sa seule force, les Douze de la pierre après la fusion aura le droit de s’asseoir sur le trône.
— Vous n’allez pas permettre ça ! cria Karab.
— Silence ! ordonna le Grand Orateur qui esquissa encore quelques mouvements étranges avec son trident qu’il pointa finalement dans la direction de Luisdel avant de dire : je suis prêt.
— Les Douze sont prêts. dit la créature en faisant apparaître dans sa main, un trident qu’elle pointa à son tour sur Luisdel tandis que des cris de lamentations se faisaient entendre parmi les princes et les membres du Grand Conseil.
Amabell et Lilith avaient le sourire aussi large qu’un canyon, ils retournèrent à leurs places dans la tribune royale.
— Fermez-là, bande de tricheurs et de faiblards inutiles ! Nous ne sommes pas à une veillée mortuaire, c’est mon fils qui vit son heure de gloire, votre futur roi ! se vanta Lilith alors que les regards mauvais qu’ils lui lancèrent glissaient sur sa peau.
La démone se reconcentra sur ce qui allait se passer là-haut. De leur point de vue, les trois êtres dont les queues ondulaient au-dessus de l’arène occupaient chacun un des trois angles d’un triangle isocèle dont l’angle le plus allongé tourné vers le bas était représenté par l’hybride tandis que les deux autres semblaient être au-dessus de lui, le menaçant de leur trident. Ils demeurèrent ainsi quelques minutes dans un silence qui ennuya très vite Lilith qui cria :
— Ça va durer encore longtemps ces postures inanimées ? J’ai envie de pisser, moi !
— Quel manque de pudeur ! lança Karab.
— Elle ne respecte vraiment rien ! ajouta un autre parmi les membres du Grand Conseil.
Lilith les écouta et, pour seule réaction, elle ricana tandis que, soudain, Amabell dit :
— Ça commence…
Des faisceaux lumineux sortirent de chacun des deux tridents pointés vers Luisdel qui resta planté là ; l’un multicolore, venait du trident des Douze et l’autre d’un blanc immaculé, partait du trident du Grand Orateur dont les veines apparaissaient, traduisant l’effort qu’il faisait. Ces deux faisceaux lumineux se rencontraient à mi-chemin devant Luisdel et formaient une tresse torsadée lumineuse qui pénétrait l’hybride, faisant luire son corps dans une surbrillance qui fit disparaître sa silhouette et apparaître des éclairs. Le processus dura quelques minutes puis, tout d’un coup, les faisceaux lumineux disparurent mais, du corps de Luisdel, toujours aussi lumineux, l’on ne pouvait distinguer que la forme de sa tête et de ses deux bras. Les Douze firent quelques mouvements circulaires dans l’eau, créant des petites bulles puis, dans un battement de cils, la couronne du futur Roi de Maestria apparut portant sur sa façade avant et en son centre, une pierre transparente et luisante, un diamant. Il se tourna vers le Grand Conseil et dit :
— A votre tour !
— Jamais ! répondit leur chef.
— Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? demanda Lilith.
—  Ils doivent donner de leur énergie en signe de soumission pour renforcer les pouvoirs de la couronne, nous devrons tous participer en signe de soumission, chaque roi des sept contrées des mers et des océans représentant son peuple.
— Jamais nous ne nous soumettrons à cet être démoniaque, il n’est pas des nôtres ! ajouta un deuxième membre.
Lilith se leva, l’air menaçant, elle regarda dans leur direction mais, avant qu’elle eût le temps d’ouvrir la bouche, plusieurs membres du Conseil levèrent leurs tridents dans la direction de la couronne. Leur chef en fut choqué mais se voyait bien obligé de suivre le mouvement bon gré malgré et l’on put voir des faisceaux lumineux partir de leurs tridents pour courir vers la couronne qui s’enrichit aussitôt d’une nouvelle pierre d’un éclat spectaculaire, une émeraude qui s’installa à la gauche du diamant et dont la taille était plus petite.
— Jaime mieux ça ! dit Lilith en reprenant place.
— A votre tour ! dit de nouveau les Douze en désignant les sept rois.
Ceux-ci se levèrent sans faire de chichis et brandirent leurs tridents dans la direction de la couronne ce qui permit à celle-ci de voir apparaître une pierre rouge à la droite du diamant : un rubis aussi rouge que le regard de enflammé de Lilith.
Le processus terminé, les Douze esquissèrent de nouveaux mouvements étranges à la suite desquels apparurent un trident doré et un sceptre noir.
— Pourquoi le sceptre ? demanda Lilith.
— Cela ne s’est jamais fait, dit le Grand Orateur, c’est aussi novateur que le caractère inhabituel de cette fusion.
— C’est la preuve que nos ancêtres adoubent Luisdel en tant que roi de Maestria. Ils lui offrent deux armes : une à sa dimension de triton et l’autre pour la noirceur qui est en lui, expliqua les Douze.
Lilith poussa un cri de joie et regarda dans la direction d’Amabell qui lui, ne célébrait pas, il avait même les traits tirés, une expression très sérieuse sur la figure.
— A votre tour, les princes ! dit les Douze.
— Je préfère encore mourir ! cracha Karab.
— Crois-moi, petite sirène, ça va très vite s’arranger ! promis Lilith.
— De toutes les façons, ça ne s’adressait pas à toi, Karab, tu as été jugé indigne de participer activement à cette cérémonie, dit les Douze.
Lilith éclata de rire, un rire profond et moqueur tandis que les cinq autres frères y compris Amabell se soumettaient à l’autorité de la couronne, du sceptre noir et du trident doré que les Douze remirent immédiatement à Luisdel avant de placer sur sa tête la couronne dont les pierres précieuses s’illuminèrent aussitôt faisant disparaître toute la lumière qui dissimulait son corps. Il avait les yeux fermés lorsque tout le processus toucha à sa fin et que, son corps était de nouveau visible de tous. Il ouvrit ses yeux enflammés, tenant dans sa main droite le trident le plus puissant des mers et des océans et le sceptre noir dans la main gauche. Tous retenaient leur souffle, Karab regardait ailleurs et, sans que personne ne s’y attende, Luisdel déploya une paire d’ailes d’une blancheur aussi immaculée que ses cheveux et les écailles de sa longue queue royale. Il avait l’air majestueux, royalement majestueux. L’image était beaucoup trop parlante pour les membres du Grand Conseil, même adoubé par leurs ancêtres, ce mélange hybride à la tête de Maestria ne leur plaisait pas du tout alors, ils décidèrent de s’en aller tandis que Lilith, joyeuse, s’élevait pour aller retrouver son fils qui se présentait en tant que nouveau Roi de Maestria à son peuple dont la soumission était désormais acquise.
— Notre rôle ici est terminé. Ne vous inquiétez pas, dit le Grand Orateur, il fera un bon roi. Longue vie au Roi !
Sans attendre de réponse quelconque, il disparut aussitôt. Les regards se posèrent sur les Douze qui eux, reprirent leur place dans la pierre. Chacun de leur front portait désormais une des trois pierres précieuses qu’avait la couronne du nouveau roi et qui marquait son règne.
— Mon fils, comme je suis heureuse, tu ne peux pas savoir ! s’exclama Lilith en s’approchant de lui suivie d’Amabell sous les regards outrés du Grand Conseil qui n’avait pas encore quitté les lieux.
Il ne dit pas un mot, pas avec ses lèvres, son regard suffit à dire quelque chose à Amabell qui, dans un mouvement que personne ne vit venir, pas même Lilith, là transperça de son trident et l’immobilisa dans un cri horrible qui surprit et alerta tous les tritons même les Douze qui n’avaient pas encore sombré dans leur sommeil légendaire.
— Un coup de fourchette dans le dos, Amabell, je te croyais de mon côté ! dit Lilith qui parvenait progressivement à se retourner pour faire face au frère aîné de son fils sous les regards ahuris de Karab et de tous les autres spectateurs.
— Vas-y, mon frère, dépèce cette vieille pute millénaire ! cria Karab, un regain d’espoir dans la voix, la joie dans le regard.
— Mon fils est certainement la créature la plus puissante des mers et des océans, je n’ai pas besoin de vous et lui non plus. Je vais tous vous massa…
Elle n’eût pas le temps de finir sa phrase qu’elle sentit pénétrer en elle, comme dans du beurre, doucement et pourtant si dangereusement, un nouveau trident. La puissance de celui-ci, l’énergie qu’il dégageait était encore plus foudroyante que tout ce qu’elle avait pu ressentir depuis des siècles dans des combats, la douleur semblait n’avoir d’égale que celle de l’enfantement répété. Lilith crut devenir folle devant la diffusion de la douleur dans tout son corps. Elle voulut se retourner face à son fils mais, ne parvint pas ce qui créa en elle de la peur, pour la première fois depuis qu’elle était devenue démone, elle eût peur d’une créature autre que le diable, son amant.
— Mon…mon fils, un…un traitre ? réalisa-t-elle tandis que les tritons applaudissaient dans les gradins et les tribunes.
Luisdel se déplaça et fit face à sa mère qu’il regardait dans les yeux.
— Tu aurais dû rester aux enfers avec Lucifer. Jamais je ne prendrai part à cette guerre folle contre le paradis !
— Mais…tu es mon fils, mon général des armées, ma…ma plus belle œuvre…
— Et je suis aussi et surtout Milan F Luisdel, Roi de Maestria, Souverain des sept contrées des mers et des océans. Je ne peux me soumettre à ta volonté même si je suis ton fils. Cette moitié, ce Complément humain que tu as créé pour moi s’y refuse.
— Ce…ce petit Luis ? Il est mort ! s’étonna-t-elle.
Le nouveau roi de Maestria ne répondit pas à ça et, dans un battement de cil, son corps se dédoubla et l’on put voir apparaître un autre triton ailé aux traits de visage différents de ceux de Luisdel qui reprit son ancien visage connu mais gardant sa chevelure et sa queue blanche.
— Luis ! s’exclama Amabell, tu n’as pas été absorbé ?
Primoas Luis se tenait devant Lilith immobile et dont la bouche était ensanglantée ; la queue de poisson blanche et la chevelure tout aussi blanche, il tenait dans sa main le sceptre noir remis au Roi et dit :
— Il faut croire que Luisdel et moi sommes des êtres particulièrement spéciaux.
— Tu…tu es censé être mort, je…je ne comprends plus rien, balbutiait Lilith dans sa douleur.
— Notre amour a été plus fort je dirais mais surtout, le lien que tu as créé entre nous, cette énergie que tu as mise en moi m’a permis de rester conscient durant tout le processus d’absorption et donc, avec l’aide de Luisdel, j’ai pu garder le contrôle de ma conscience même faisant partie intégrante de lui. Jamais nous n’attaquerons le paradis pour toi. Luisdel est certes très fort tout seul mais, une grande partie de sa force cosmique, celle dont tu as besoin, c’est moi qui l’ai et jamais je ne l’utiliserai à mauvais escient, termina Luis.
— Quelle déception ! regretta Lilith.
— Ne t’inquiète pas, tu ne vas pas mourir. Tu as voulu être l’amante de Lucifer, nous allons te renvoyer à lui et tu pourras continuer à pondre tes petits démons…annonça Luisdel.
— Non, non, Luisdel, tu ne peux pas me faire ça !
— On n’a pas d’autre choix. tu es beaucoup trop puissante, trop dangereuse et folle aussi ! de plus, tu es immortelle. Vas-y, Promis A moi.
Luis fit un cercle dans l’eau avec le sceptre noir et, à l’intérieur de ce sceptre, apparut un trou noir qui se mit à attirer Lilith.
— Non, fils, ne fais pas…ne fais pas ça ! criait-elle alors qu’Amabell s’empara de son trident tandis que Luisdel se saisit du sien puis, envoya une décharge puissante de son énergie dans les entrailles de sa mère qui disparut propulsée dans le trou noir et celui-ci se referma sous les cris, les applaudissements et les youyous de toute l’assistance.
Les trois tritons se retournèrent vers la tribune royale, l’air triomphant alors que Karab semblait moins partager cette liesse.
  

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant