CHAPITRE 22

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MILAN F. LUISDEL

CHAPITRE 22

L’air était glacial, l’odeur de soufre était forte et Luisdel se tenait là, devant la porte, l’expression contrite sur le visage. Il osait à peine regarder Luis dont il craignait de découvrir la fureur. Le milliardaire avança de quelques pas dans la direction du lit et entendit Rachel crier :
— Qu’est-ce que vous faites ici, sale monstre-poisson ! Tout ceci est de votre faute, je suis sûr que vous avez envoyé Alex faire le sale boulot !
— Calme-toi, maman, pleurnichait Carmen qui voyait s’envoler sur le moniteur la fréquence cardiaque de Rachel.
— Qui êtes-vous, Monsieur, qu’est-ce que vous faites ici ? interrogea Aymeric sur un ton martial, la poitrine bombée et le menton haut.
— Je viens en paix, jeune homme, vous n’avez rien à craindre de moi…
— Va-t-en, démon ! hurla encore Rachel dont les constances ne cessaient d’augmenter au grand dam de Carmen qui demanda à son tour :
— Mais qu’il s’en aille, maman n’est pas bien en sa présence !
Contrairement à ce qu’on attendait de lui, le milliardaire avança encore de quelques pas, jeta un rapide coup d’œil dans la direction de Luis et, il constata que le journaliste courbé aux côtés de sa mère ne lui adressait plus aucun regard, son attitude corporelle semblait même exprimer, sans les mots, la volonté des trois autres, il sentit un picotement douloureux dans la poitrine mais se reconcentra sur Rachel qui le tuait mille fois de son regard acéré. D’une voix calme, il dit :
— Je m’en irai lorsque j’aurais dit ce que je suis venu dire.
— Personne ne veut rien n’entendre d’un monstre-poisson, vous n’êtes même pas censé exister ! cracha Rachel dont les constances s’étaient stabilisées.
Luisdel reçut cette pique avec beaucoup de stoïcisme et déclara :
— Je ne suis pour rien dans le grand malheur qui touche votre famille actuellement et croyez bien que j’en suis profondément attristé, Madame. Mon frère a agi seul et pour me faire du mal…
— Ma fille si douce, si pleine de vie est morte juste à cause d’une querelle entre deux monstres-poisson ? Tout est de votre faute, sortez d’ici !
— Que signifie tout ceci ? demanda Aymeric de plus en plus intrigué.
Un regard penaud dans la direction de Luis, le milliardaire ajouta :
— Lui, je suis vraiment désolé, tu sais que je n’aurais jamais ordonné une telle horreur ; Alex a agi seul même Amabell n’était pas au courant…
Luisdel se stoppa net face au regard mauvais du journaliste qui le fusillait tel une kalachnikov prête à faire feu. Il sentit son cœur vaciller et recula d’un pas avant de baisser la tête tristement et de dire :
— Je suis vraiment désolé, Madame…Luis, croyez bien que mon frère sera châtié à la mesure du péché impardonnable qu’il vient de commettre…
— Ensuite, suicidez-vous tous, ainsi je saurais que vous compatissez ! cracha Rachel avec mépris, les yeux encore humides.
Le milliardaire quitta les lieux à la vitesse de la lumière sous les regards incrédule d’Aymeric et Carmen.
— Qu’est-ce…comment a-t-il fait ça ? questionna Aymeric.
— Il…il a disparu ? demanda Carmen
— Je vous ai dit que c’est un monstre ! Il ne fait même plus l’effort de cacher sa nature ! s’exclama Rachel doucement en s’installant confortablement dans son lit alors que Luis sanglotait sourdement, la main de leur maman dans les siennes.
— Je veux comprendre, dit Aymeric, Alex s’est montré d’une sauvagerie sans pareille en tu…en éliminant ma petite sœur avant de disparaître, toi Luis, qui semble être notre frère aîné, tu apparais au pas de la porte et tu partages avec nous cette douleur immense tout en t’accusant de ce crime ignoble ensuite, l’entrepreneur le plus riche de la ville apparaît dans la chambre de maman l’air penaud, maman l’accuse d’être à l’origine de ce malheur, il reconnaît qu’Alex est son frère et que celui-ci aurait agi sans le mettre au courant et d’une façon ou d’une autre, toi Luis, tu es mêlé à tout ça, je veux comprendre !
« Mesdames et messieurs, je pense qu’il est temps de laisser la patiente toute seule, elle a besoin de repos. » annonça le docteur qui venait de faire son entrée dans la chambre.
— Certainement pas ! regimba Rachel. Je dois leur parler et je dois le faire maintenant.
— Madame, vous avez besoin de repos, je vois à vous constances que vous avez tiré sur la corde avec beaucoup trop d’intensité…recommanda le docteur.
— C’est pour ça que je suis à l’hôpital, docteur, vous vous occupez de ces constances et moi de ma famille.
— Madame…
— Maman, on devrait écouter le médecin…
— L’heure est grave, ma fille, l’heure est très grave ! Il est temps que je vous raconte l’histoire de votre venue au monde, je ne peux plus attendre, insista Rachel dont les larmes roulaient sur les tempes tellement la douleur ne la quittait plus, elle faisait corps avec la tristesse et la douleur et sentait son corps s’affaiblir de nouveau.
— Maman…pleurnicha Aymeric qui, pour la première fois depuis, laissa échapper un sanglot.
— Ne vous inquiétez pas, mes enfants, je suis juste fatiguée…
— Repose-toi alors, je peux leur raconter…proposa Luis.
— Non, mon fils, c’est à moi de le faire, seulement à moi. Il faut qu’ils l’entendent de ma bouche.
Rachel se racla difficilement la gorge tandis que le médecin leur recommanda de l’appeler au moindre changement dans la fréquence cardiaque de sa patiente avant de sortir et de refermer la porte derrière lui. Le visage tuméfié, la bouche pâteuse, la maman de trois se lança dans le récit de sa vie, celui-là même qu’elle avait raconté quelques semaines plus tôt à Luis. Son exposé était ponctué par ses quintes de toux et les gémissements scandalisés de Carmen et Aymeric qui n’en croyaient pas leurs oreilles tandis que Luis ne disait rien, il tenait toujours chaleureusement la main de sa mère dans la sienne et subissait ce récit qui le mettait en pole position en détaillant très exactement les raisons pour lesquelles Priscille avait été si brutalement arrachée à la vie mais aussi, la possibilité inutilisée qu’a le journaliste depuis le début de déjouer les plans des tritons. A la fin de son histoire, Rachel dit :
— Aymeric, tu as bon cœur et toi Carmen, je te sais très dur de caractère mais, je vous en prie, n’en voulez pas à Luis, il est votre frère et il est aussi une victime dans cette histoire.
Elle termina sa phrase et fut prise d’une convulsion soudaine qui la secoua fortement en même temps qu’elle agitait les cœurs de ses trois enfants qui, avec hystérie, criaient à l’aide devant les yeux révulsés de leur maman. Une infirmière se précipita dans la chambre suivit du médecin qui exigea d’eux qu’ils sortent mais aucun d’eux ne mit le pied dehors tandis que Rachel rentrait peu à peu dans un coma profond sous leurs regards désespérés.
Branchée à toutes sortes de tubes, Rachel était allongée sur son lit d’hôpital et ses trois enfants la regardaient à travers la fenêtre, aucun ne disait mot. Luis se reprochait d’avoir apporté le malheur parmi ses frères ; vu l’attitude de Carmen, il savait qu’elle le détestait encore plus maintenant qu’elle avait le détail, maintenant qu’elle savait comment il était lié à toute cette histoire. Il se demanda ce qu’il faisait là alors, sans faire de bruits ni dire un mot, il se retourna et s’engagea vers la sortie lorsqu’il entendit derrière lui :
— Alors, c’est tout ? Tu t’en vas comme ça ? Tu sais que tout ceci aurait pu être évité si tu avais choisi de perdre ta virginité depuis longtemps ? Non mais franchement, on est obligés de traverser cet enfer parce qu’un vieux garçon, un trentenaire continue de jouer les puceaux !
— Carmen, calme-toi…
— Non, Aymeric, laisse-là parler, coupa Luis avec mollesse. 
— J’ai bien compris que tout n’est pas de ta faute, disait-elle à voix haute dans le couloir rempli de monde, mais, tu as ta part de responsabilités dans cette histoire et au lieu de l’assumer, tu…tu…tu l’aimes, c’est ça ? Tu es amoureux de ce Luisdel…
— Carmen ! cria Aymeric qui embarqua sa sœur et la traina dans une chambre vide de l’aile, loin des regards et des oreilles indiscrètes qui s’intéressaient de plus en plus à son histoire. Veux-tu parler moins fort, Carmen, on n’a pas besoin de déballer notre drame familiale devant le monde entier !
— Il n’avait qu’à jouer son rôle, tu te rends compte, il est homo ! dit-elle colérique tout en montrant du doigt Luis qui venait d’entrer à son tour.
— Je suis désolé…commença Luis.
— On s’en fout, le mal est fait : Priscille ne reviendra pas et maman…maman est peut-être condamnée sur ce lit ! pleurait-elle avant d’ajouter : tu peux encore déjouer leurs plans et les punir pour tout ça, il te suffit de coucher avec le premier venu et tout ceci prendra fin…
— Luisdel a deux frères que nous connaissons. Si l’un serait d’accord que je perde ma virginité, l’autre a déjà menacé de vous tuer si jamais je m’amusais à déjouer leurs plans. Carmen, cela vous mettrait tout autant en danger.
— Tu ne vas pas me faire croire que c’est la seule raison pour laquelle tu ne le fais pas, tu es amoureux de ce monstre, c’est clair ! Personne ici ne va croire que tu nous aimes tellement et tu veux nous nous protéger, tu ne nous connais pas !
— Carmen, s’il te plaît…supplia Aymeric qui avait pitié de Luis.
— Mais c’est vrai ! Ce n’est pas parce que nous partageons le même ADN que nous sommes frères pour autant ! On ne se connaît pas, il a appris notre existence il y a quelques semaines et il ne va pas me faire croire qu’il s’est attaché à nous aussitôt !
— Et pourtant si. répondit simplement Luis avant de sortir de la chambre en pleurs. Il dévala l’escalier et se retrouva rapidement à l’accueil de l’hôpital puis, courant comme une jeune fille à l’honneur bafoué, il sortit complètement du bâtiment et essaya de dissimuler ses larmes chaudes mais, elles ne cessaient de couler telles des torrents de larves volcaniques.
Le journaliste s’arrêta sous un vieux manguier à quelques mètres de l’hôpital et s’adossa au tronc en même temps qu’il épanchait sa douleur et laissait couler librement ses larmes. Il se maudissait, maudissait le jour de sa venue au monde, il maudissait Lilith d’avoir choisi sa famille pour un destin aussi moche ; il voulait se jeter sous les roues d’une voiture mais il savait que jamais il n’en aurait le courage et son flot de larmes s’accentuait. Dans sa douleur, il ne remarqua pas la présence d’une personne près de lui et, lorsqu’Aymeric posa une main sur son épaule, il sursauta puis, se retourna pour rencontrer le regard compatissant de son petit frère :
— Je ne t’ai pas vu arrivé. Qu’est-ce que tu fais là ? demanda le journaliste en s’essuyant le nez poisseux et le visage du revers de la main.
— Ne tiens pas compte de tout ce que Carmen dit, c’est la colère qui parle. dit le jeune militaire.
Luis s’essuya complètement le visage malgré les larmes qui coulaient toujours puis, il dit :
— Elle n’a pas totalement tort, tu sais, nous aurions pu éviter ça si j’avais choisi de perdre ma virginité depuis des semaines…
— Tu l’as dit toi-même, ça ne nous aurait pas mis à l’abri pour autant…
— Mais on aurait pu trouver, ensemble, une autre solution, comment les combattre. La, non seulement je suis toujours puceau mais, ma sœur est morte, ma mère est dans le coma ! On a déjà beaucoup perdu, répondit Luis.
— Tout n’est pas encore joué, grand frère, cette histoire vient de me prouver que tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir. Nous pouvons encore nous venger de ces salauds, nous pouvons les combattre et, nous pouvons même gagner ! Le tout est de savoir si l’amour que tu as l’air d’éprouver pour cet homme ne va pas nuire à mon plan.
Pour la première fois depuis quelques heures, le visage de Luis s’éclaira ; il était moins intéressé par ce qu’avait dit Aymeric à propos du plan que par la façon dont il venait de l’appeler. La chaleur qui lui parcourut tout à coup les veines le fit sourire sous le regard surpris de son petit frère.
— Qu’est-ce qui t’arrive, pourquoi souris-tu ?
— Tu m’as appelé « grand frère » répondit Luis les dents blanches alignées dans un grand sourire qui finit d’illuminer son visage et se contamina à celui gêné d’Aymeric.
— C’est bien ce que tu es, non ?
— Je suis si heureux que tu m’acceptes si rapidement, c’est pas le cas de Carmen ! le remercia Luis dont la joie remplaça la tristesse dans sa poitrine l’espace de quelques minutes.
— Il faut comprendre Carmen, il y a tout de même meilleure façon de découvrir que l’on a un grand frère caché dans la nature.
— Je la comprends d’ailleurs, je comprends mieux son attitude hostile que la tienne, Aymeric, réalisa le journaliste, tu ne m’en veux pas ?
Un court instant de silence passa avant que le jeune militaire ne prenne la parole, le regard triste fixant un point dans le vide :
— Je n’ai pas pour habitude de réagir ou de me laisser guider par mes émotions. Je suis quelqu’un de pragmatique c’est pour ça que je pense être un bon militaire. J’ai écouté le récit de maman et j’ai vraiment compris que tu es toi aussi une victime et qu’en plus, ta vie doit s’arrêter d’ici quelques semaines. Je ne vais pas perdre mon temps à te haïr même si tu aurais pu faire les choses autrement. Je préfère me concentrer sur ce que nous pouvons faire aujourd’hui et demain pour sanctionner ces monstres et nous en débarrasser à jamais.
La maturité et la sincérité dans sa voix frappa Luis de plein fouet. Il était heureux d’avoir un membre de sa famille près de lui, un qui n’avait pas peur et était assez rationnel pour eux tous. Les deux hommes séparèrent là, Luis promettant à Aymeric de faire un tour à l’hôpital tous les jours tandis que le petit frère lui promettait d’en profiter pour peaufiner le plan qu’il avait en tête.
De retour dans son immeuble, la tristesse et la douleur l’avaient de nouveau envahi et ne lui laissaient plus de répit. Il tourna la clé dans la serrure et referma la porte du studio derrière lui avant de se diriger vers la cuisine où il se servit un vert d’eau puis, dit :
— Qu’est-ce que tu fais chez moi, Luisdel ? Je n’ai envie de voir personne surtout pas un membre du club des tritons démoniaques !
— Je t’assure que je n’y suis pour rien Luis, toi plus que quiconque devrait me croire. Jamais je n’aurais autorisé une horreur pareille !
— N’empêche qu’il l’a fait et cela ne peut être défait. Je cause du malheur à ma famille tout ça pourquoi ?
— Parce que tu ressens des choses pour moi, finit Luisdel sous le regard de Luis.
— Prétentieux !
— Je ressens aussi des choses pour toi et franchement je m’en fous que ce soit dû à la pleine lune ou à tout autre magnétisme destiné à nous faire fusionner, Luis, le fait est que je ne te veux aucun mal au contraire, je veux te tenir dans mes bras et te faire des choses inédites…
— La ferme, ordonna Luis dans une voix qui manquait de fermeté.
— Je suis prêt à renoncer à ce trône si tu me le demandes mais ne te détourne pas de moi, Promis A Lui, tu m’as ignoré à l’hôpital et j’ai cru que j’allais mourir.
— Peut-être serait-ce là la solution ! Que l’un de nous meurt…
— Ne dis pas ça Luis, supplia Luisdel qui se jeta à ses pieds à la surprise du journaliste.
— C’est pourtant la seule solution…répéta Luis qui fut encore plus surpris de lire dans le regard de Luisdel la douleur à l’idée de le perdre.
Le milliardaire était à ses pieds et, la tête levée, il le regardait avec des yeux en amandes, la grosse veine divisant son front noir en deux traduisait la bataille douloureuse qui se jouait dans son âme. Luis n’eût d’autre choix que de se laisser attendrir. Il releva Luisdel et, dans un moment à part, un moment qui ne leur appartenait qu’à eux deux, le milliardaire posa ses lèvres sur celles humides de son Complément avant de fondre tous les deux dans un baiser sensuel, passionnée qui les soulagea.

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant