CHAPITRE 17

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MILAN F. LUISDEL

CHAPITRE 17

Tous les regards se posaient sur lui sans gêne et surtout avec admiration alors qu’il longeait les couloirs du The Whatcher’s Post, le journal qui avait récemment servi de tremplin à sa réussite sociale pas si anodine que ça. Luis rougissait presque devant toutes ces félicitations qui pavaient son chemin jusqu’à l’étage où se trouvait l’open-space où étaient son poste de travail et ses collègues directs. L’atmosphère y était très différente de celle de l’étage inférieur : l’accueil chaleureux qui l’avait accompagné jusqu’ici s’était arrêté à l’entrée et avait fait place à quelque chose de sombre, un mélange de morosité et de méchanceté. Autour de lui, certains le regardaient avec indifférence et continuaient de vaquer à leurs occupations tandis que d’autres le toisaient carrément quand, de leurs yeux, ils n’essayaient pas de l’intimider comme quand il était encore ce petit bonhomme tout laid et peu sûr de lui. Heureusement, au loin, il aperçut parmi un attroupement devant la porte d’Yvan Bello, le visage gai de Sabine qui lui offrit un large sourire dès qu’elle le vit. La jeune femme à la peau claire portait ce rouge à lèvres couleur sang qui plaisait tellement à Luis ; elle s’éloigna du petit groupe et courut à la rencontre du journaliste qui l’accueillit dans ses bras avec une joie authentique.
— Bonjour, le plus beau ! On dirait une gravure de mode, tu m’as trop manquée !
— Hey, bonjour, ma belle ! Tu m’as manqué aussi. répondit Luis en la serrant fort dans ses bras.
— Depuis lundi on ne t’a pas vu, où étais-tu passé ? Je veux tout savoir ! exigea-t-elle en l’attirant vers leurs postes de travail sous les regards dédaigneux des autres.
— Qu’est-ce que tu faisais à écouter devant la porte de M. Bello ? Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Luis qui ignora la curiosité de sa collègue préférée.
— Ça chauffait là-dedans, je ne te dis pas ! répondit Sabine sur le ton de la confidence, émoustillée par l’idée de faire sa commère. Le dandy pédant et M. Bello étaient en plein échauffourée quelques minutes avant que tu n’arrives. Ils disaient des choses, mon Dieu, horribles, si tu les avais entendus ! Apparemment, le dandy Bertrand se serait allongé pour bénéficier des faveurs de M. Bello et celui-ci n’aurait pas respecté sa part du marché volontairement ou pas, ça reste encore à prouver. En tous cas, Bertrand n’est pas content du tout et ils se sont criés dessus, j’ai cru un instant qu’ils allaient en venir aux mains. Je me demande vraiment ce qui peut pousser un homme aussi beau et propre sur lui que l’est Bertrand à s’abaisser à coucher avec ce petit bout d’homme et tout cela pour du boulot !
— Ils trouveront un terrain d’entente, dit Luis en prenant place sur son fauteuil avec indifférence.
— Quoi ? Je t’annonce que Bertrand passe sa vie à écarter les cuisses pour obtenir des promotions pourtant il nous prend de haut chaque fois qu’il en a l’occasion et toi, c’est tout ce que ça te fait ? s’indigna faussement Sabine qui menaçait le journaliste du regard.
— J’ai franchement autre chose dans la tête. J’aimerais par exemple m’occuper de ces ministres des routes et de l’urbanisme qui ne nous servent pas à grand-chose et pourtant dépensent des milliards de notre budget sur des réalisations inexistantes, voilà ce qui m’amène aujourd’hui. répondit Luis sous le regard scandalisé de sa collègue.
— Comment oses-tu me lâcher sur ce coup ? Voici une enquête de la plus haute importance à mener, répondit-elle en levant le doigt au ciel pour marquer le sérieux de l’affaire, il nous faut aller au fond de cette histoire…que dis-je…ce scandale sexuel entre un patron de presse et son employé ! Qui sait ? Peut-être l’a-t-il fait avec d’autres employés, nous devons savoir…
— Tu dramatises, dit Luis en pouffant de rire, et qui nous publierait ?
— Pas besoin de publier quoique ce soit ! Nous aurions la satisfaction personnelle de connaître un potin croustillant, répliqua la jeune femme faussement outrée.
— Je te laisse cette tâche, Sabine, tu me rendras compte. Je n’ai pas vraiment la tête à ces mondanités.
— Oh, voilà qu’il parle comme un aristocrate ! s’exclama-t-elle en riant juste avant de remarquer la tristesse dans le regard du journaliste. Ça va, toi ? Tu m’as l’air pas dans ton assiette.
Au même moment, la porte d’Yvan Bello s’ouvrit, Bertrand en sortit dans une tenue débrayée et l’on put entendre la voix du Directeur de Publication crier : « Tu fais ce que tu veux mais crois-moi, c’est à tes risques et périls ! » Tous les regards étaient posés sur Bertrand qui ne prit pas la peine de refermer la porte derrière lui mais, lança un dernier : « Comme si tu t’en souciais ! »
— Et ferme ma porte ! ordonna Yvan Bello mais, il dut refermer lui-même sa porte car Bertrand s’en éloigna pour aller ranger ses effets dans un carton.
— Bertrand, qu’est-ce que tu fais ? demanda l’une de leurs collègues.
— Mêle-toi de ton cul, idiote ! la rudoya Bertrand Kembou qui semblait enragé.
— Ça va, ça va, nul besoin d’être aussi grossier…
— Va chier, pétasse ! Je m’en fous de vous tous : de toi, de lui, d’elle, tous allez vous faire foutre ! Ce petit pourceau m’a baisé gratuitement ! Il s’est joué de moi, moi Bertrand Kembou, il va me le payer ! Je démissionne et croyez-moi, sale petit imbécile d’Yvan Bello, vous entendrez parler de moi !
Le choc sur les visages de ses collègues après cette révélation était tel qu’autant ils ressentaient de la compassion pour le journaliste abusé, autant ils se délectaient du plaisir de ce scoop en cette matinée de mercredi. Quelques collègues essayèrent de calmer le dandy mais il les repoussait et s’activait puis, embarqua son carton plein de ses effets avant de donner un violent coup de pied dans la porte d’Yvan Bello. La porte s’ouvrit avec fracas et l’homme cracha méchamment à l’intérieur avant de se diriger vers la porte de sortie sous les regards ahuris de toutes les personnes présentes à l’étage.
— Sabine ! Appelez un menuisier et Primoas, vous êtes désormais en charge de la rubrique de ce connard en plus de vos investigations sur le sujet qui vous plaira. hurla Yvan Bello comme s’il ne venait pas de se faire traiter de petit porc. 
Le calme revenu, Sabine se tourna vers son collègue préféré et dit :
— Luis, Luis, tu ne m’as pas dit où tu étais ces deux derniers jours…
— Enfermé dans ma chambre, pleurant sur mon sort malheureux, répondit le journaliste du tic au tac.
La journaliste pouffa d’un rire guttural qu’elle essaya de cacher mais, elle fit encore plus de bruits ce qui attira l’attention des autres sur eux.
— Quels problèmes peux-tu bien avoir, toi ? Tout te sourit, même le milliardaire ami de ton patron a l’air de t’avoir à la bonne et tu viens d’avoir une promotion !
— Les apparences sont souvent très trompeuses, répliqua Luis sans décoller les yeux de son écran d’ordinateur.
— Tu m’as trop manquée ! J’avais besoin d’une épaule sur laquelle pleurer. Tu te rends comptes, le jeune banquier rencontré à cette soirée chez le milliardaire Luisdel ne m’a pas rappelée depuis !
— C’est pas plus mal, tu sais ? répliqua Luis, l’air pensif, se souvenant des nombreuses têtes de mort qu’il avait vues parmi les invités de Luisdel à cette soirée.
— Qu’est-ce que tu dis ? demanda la jeune femme.
— Comme je te disais plus tôt, les apparences sont très trompeuses, Sabine, dit Luis le regard perdu dans le vide. Parfois on voit des gens, on rigole avec, on travaille avec, on les admire, on en tombe amoureux, on croit les connaître pourtant on ne sait rien d’eux…en tout cas, pas le plus important, ils nous le dissimulent, parfois ils appartiennent à un autre monde, un monde qui nous dépasse, qui nous entoure pourtant mais qu’on ne voit pas, un monde qui nous tombe dessus et finit par nous happer sans qu’on puisse faire quoi que ce soit pour se défendre…
— Mais qu’est-ce que tu racontes, beau gosse ?
— Rien, répondit Luis qui revint à lui et écrasa discrètement une larme dans le coin de son œil.
— Tu es bizarre aujourd’hui, dit Sabine.
— Primoas, venez ici ! ordonna Yvan Bello dans un cri qui fit sursauter tout le monde.
Le journaliste se leva et marcha vers le bureau de son patron dans lequel il pénétra :
— Oui, Monsieur…
— Quels sont vos prochains sujets ?
— Je, euh…
— J’ai quand même autre chose à faire qu’être là à vous écouter gémir, Primoas ! Pensez-vous être déjà devenu une personnalité grâce à ce petit article ?
— Je n’ai juste pas encore eu le temps de trouver un su…
— Remuez-vous, jeune homme ! J’attends deux sujets intéressants pour les deux rubriques sur ma table au plus tard demain soir car, vendredi je les publierai et ils ont intérêt à être bon sinon vous rejoindrez cette tapineuse de Kembou sur le petit bout de trottoir qu’il est sûrement allé occuper !
— Je…
— Mais, vous êtes encore là ? Vous êtes assez reposé, allez, sortez de mon bureau !
Luis sortit de ce bureau sans rien comprendre de ce qu’il venait de se passer. Sabine qui avait tout entendu l’attendait pas loin et le réconfortait de son regard compatissant.
— A peine Bertrand est parti et Monsieur est déjà en manque ! Tu crois qu’ils le faisaient ici au bureau ? Voilà qui expliquerait leurs nombreuses absences ! Mais…j’oubliais, pendant que tu étais dans le bureau du patron, un homme est venu te chercher…
— Un homme ? demanda Luis le front plissé.
— Plutôt beau gosse en plus ! Grand, musclé, il sentait bon et des yeux magnifiques, on aurait dit une sorte d’animal ! Il me faisait peur mais je ne pouvais m’empêcher de le regarder…
— Il a dit comment il s’appelle ? demanda Luis dont la description lui fit froid dans le dos.
— Non, il m’a juste chargée de te dire qu’ils t’attendent dans le restaurant dans la rue à gauche et que tu les reconnaîtras en les voyant.
L’apparente quiétude sur le visage de Luis disparut instantanément. « Des yeux magnifiques, on aurait dit une sorte d’animal » ce bout de phrase se répétait dans son esprit, il fallait qu’il mette un visage et un nom sur cette description et le plus vite alors, il saisit son trousseau de clés posé sur la table et abandonna Sabine là des questions suspendues à ses lèvres.
— Où vas-tu si vite ? Tu me raconteras ?
Le journaliste ne l’écoutait plus et s’engouffra dans l’ascenseur dans lequel son impatience le poussait à taper du pied comme pour faire descendre l’ascenseur plus vite. Lorsque les portes s’ouvrirent dans le hall, il sortit en courant, bousculant tout le monde sur son passage avant de sortir de l’immeuble et de se diriger vers ledit restaurant où les gens beaux avaient l’habitude d’aller manger le midi. A peine entré, il les reconnut tous les deux, assis près l’un de l’autre, beaucoup trop près l’un de l’autre pensa Luis qui s’avança l’expression furieuse sur le visage tandis que Rachel lui esquissait son plus beau sourire maternelle. Celle-ci se leva et ouvrit grand ses bras pour accueillir ce fils longtemps abandonné.
— Mon fils…
— Qu’est-ce que tu fais ici avec lui ? demanda Luis en se laissant enlacer par sa mère et même s’il avait l’esprit ailleurs, il goutta tout de même avec plaisir à la chaleur qui émanait du corps enrobé de sa mère.
— Je n’ai pas chômé, tu sais ? J’ai trouvé comment faire pour nous débarrasser de ces monstres à jamais…
— Très bien, j’en vois un tout près sur lequel on pourrait tester ta trouvaille ! répondit froidement Luis qui foudroyait le beau jeune assis tout près.
— Ecoute, je sais qu’Alex n’est pas très clair sur qui il est mais pour le moment, il nous aide beaucoup. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai réussi…
— Il fait partie de ces monstres, Rachel, en fait il est leur frère et son nom n’est pas Alex ! Ce salopard nous a bien bernés tous les deux…
— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Rachel éberluée, le regard allant du jeune homme à Luis.
— C’est l’un d’entre eux, n’est-ce pas Karab ?
Le jeune homme ne disait rien et regardait Rachel et Luis affichant un petit sourire.
— Mais…dis quelque chose, Alex, défends-toi ! exigeait Rachel dont l’expression du visage passa du choc à l’horreur et à la peur.
— Votre fils a raison, je suis l’un d’entre eux, répondit finalement Karab.
— Alors…tu, tu ne t’appelles pas Alex ? demanda encore Rachel.
— C’est mon nom d’humain. Mon vrai nom est Karab, confirma la sirène.
Rachel se leva dans un bond et s’éloigna de Karab avant de plonger sa main dans une de ses poches et de la ressortir avec une poignée de sel qu’elle lui jeta à la figure. Le jeune homme poussa un cri venu d’outre-tombe tandis que sa figure changea instantanément pour laisser place à son visage de sirène. Toute la salle s’alarma face à cette agitation mais, en un battement de cil, le jeune homme se rendit invisible aux yeux des autres personnes présentes dans la salle puis, sous la douleur, disparut complètement.
— Qu’est-ce…qu’est-ce que c’était ? bégayait Rachel qui regardait dans tous les sens, horrifiée qu’elle était.
— Viens, Rachel, sortons. dit Luis qui saisit sa mère par le bras avant de la trainer hors du restaurant sous les regards appuyés des autres clients.
Dehors, adossée sur le mur du restaurant, Rachel tremblait encore ; elle se repassait en boucle cette vision d’horreur qu’elle avait eue en apercevant le vrai visage de Karab tordu de douleur.
— Alex ou plutôt Karab est une sirène, une vraie ! Il est le frère de Luisdel et d’Amabel, Rachel…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je lui ai ouvert ma maison, il connaît ma maison, Luis, il connaît tes frères…Oh Seigneur, ils sont en danger ! Il faut qu’n rentre Luis, il va leur faire du mal.
— Ha ha ha, arrête, Rachel ! Si je voulais vous faire du mal tes enfants et toi, vous seriez tous morts depuis longtemps ! dit la voix de Karab derrière eux.
Le jeune homme se tenait là, sourire aux lèvres, les fixant sans gêne.
— Quel genre de monstre es-tu ? Je t’ai ouvert les portes de ma maison, présenté à mes enfants…pleurait-elle en lui jetant de nouveau une poignée de sel qu’il évita avant de dire :
— Mais je m’en fous de tes enfants, pauvre humaine ! Je n’en ai strictement rien à foutre de tes mioches par contre, si tu m’attaques encore avec ce sel, je leur arracherais la tête et j’en ferais des balles de foot après vidé leurs corps du peu de sang qui ne se sera pas répandu par terre !
— Sale monstre, tu ne toucheras…
— Ts ts ts, combien de fois vais-je te dire, ma chère Rachel qu’ils ne m’intéressent pas ? Je veux seulement que tu utilises cette potion que je t’ai donnée pour me débarrasser de ce bâtard !
— Pourquoi lui vouer une telle haine ? demanda Luis alors qu’il essayait de baisser d’un ton.
— C’est un petit bâtard qui n’aurait jamais dû naître, un triton croisé à l’une des créatures les plus abjectes que même vous les humains vous avez en aversion, une aberration !
— Qu’est-ce est cette créature ? interrogea Luis.
— Si tu as vu ses ailes alors, tu sais…
— J’arrive à temps pour cette petite réunion ! lança la voix d’Amabell.
 
A suivre

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant