39. Porte dix-sept

186 13 35
                                    

ELYO

Deux heures nous avaient été accordées avant d'attaquer. Camilo avait expliqué qu'il s'agissait de l'horaire nécessaire aux révélations qu'il avait données sur Miller pour se diffuser mais aussi pour communiquer aux autorités ce qui allait se passer afin qu'elles puissent faire passer nos débats pour une intervention classique de l' État. Jess et moi étions rentrés nous reposer mais, préoccupée, j'avais plutôt décidé de lui parler, tous deux assis sur le canapé :

- Miller est au courant qu'on viendra. Il nous attendra.

- Je sais, acquiesça mon coéquipier, les yeux fixé sur le maillon de son collier qui venait de se décrocher.

- T'es pas obligé. 

Cette fois, son regard se leva.

- J'irai avec toi, n'essaye pas de te débarrasser de moi. 

- Et pourquoi ça ?

Je ne pouvais m'empêcher de penser au sort funeste qui pouvait nous être réservé, avec l'étrange impression que tout allait basculer.

J'allais casser tout ça.

- Parce que je suis amoureux de toi.

Ou tout allait se casser pour moi.

- Puisque je t'aime, je suppose qu'il est normal de faire ça.

Les mots qu'il avait murmuré me laissèrent figée, hébétée. Je me replaçais correctement, déglutissant, m'éloignant, sachant pourtant pertinemment que ces sept lettres avaient été prononcées sciemment et qu'il analysait maintenant mes mouvements.

Si je savais qu'ils l'avaient blessés, les siens m'avaient choqués. J'avais souvent regretté ce côté réservé de ma personnalité. 

Ni mon père ni mon frère n'avaient eu le droit d'entendre ces mots prononcés, chose que je m'étais pourtant jurée de leur exprimer. J'avais donc compris, depuis, que tout pouvait basculer si je ne saisissais pas les occasions que l'on m'offrait ; mais d'un autre côté, je ne pouvais pas. C'était trop fort pour moi.

Jess partit ensuite se coucher, annonçant qu'il souhaitait se reposer, me laissant, chamboulée, constater ma table remplie de tout le papier que je n'avais pas encore utilisé.

~

Avant de remarquer la porte du dix-septième appartement ouverte en grand sur une femme qui avait depuis longtemps déserté, j'avais été certaine que rien n'allait me perturber. 

Timing parfait. Purée.

Ma stupéfaction fut pourtant vite remplacée par une vive conviction : il n'était pas question qu'il soit mit au courant maintenant.

La fille sembla surprise de me voir elle aussi, comme si elle avait oublié que j'habitais ici. Je n'arrivais pas à deviner ce qui l'avait fait retourner dans cet appartement au lieu de séjourner chez ses parents, comme elle l'avait sûrement fait pendant sept ans, évitant ainsi de recroiser celui qui n'avait jamais réussi à l'oublier, trop attaché.

S'il tombait sur elle dans la matinée, tout allait se compliquer.

Elle me sourit, gênée, plus belle encore que dans les images que ma mémoire avait conservées.

- Tu pourrais.. 

Je la vis hésiter et décidais de la rassurer :

- Il ne saura pas.

Elle grimaça et s'excusa, me remercia. La voir ainsi désolée de la situation dans laquelle elle m'emmenait me fit culpabiliser. Elle l'aurait moins été si elle avait su que je n'avais aucune intention de l'informer avant que l'histoire Miller ne soit enterrée à tout jamais. Ma voisine retrouvée dansa sur ses pieds, ses pensées emmêlées. Elle ouvrit la bouche, se ravisa puis lança :

- Il va bien ?

Me voyant répondre négativement, elle se mordit la lèvre et joua avec ses doigts. Je ne me souvenais pas l'avoir connue comme ça.

- Tu vas aller le voir ?

En sept ans, elle ne l'avait jamais fait, je me doutais donc que sa décision n'allait pas changer. J'avais un instant pensé qu'elle pourrait la reconsidérer après ce que je lui avais annoncé mais me rappelais qu'elle devait déjà en être informée - à moins que Navalia ne lui ait rien dit pour qu'elle ne s'en veuille pas trop, étant celle qui fournissait ses médicaments à Camilo.

Ma voisine décida d'ouvrir la bouche au moment où Jess débarqua, la coupant. Afin de justifier nos équipements, ce dernier s'empressa d'indiquer :

- On rentre de soirée.

Je me surpris à rigoler après avoir échangé un regard étonné avec cette fille qui réapparaissait sur mon palier. Je précisais ensuite à mon coéquipier, bien que frustrée qu'il l'ait stoppée :

- Elle est au courant, laisse tomber.

Sans que j'ai ensuite le temps de réaliser tout ce qui se passait, je me retrouvai à mener mes troupes aux portes du complexe de bureaux légaux dont j'allais devoir m'occuper. Le contexte particulier nous obligeait à ne pas tout tuer, certains innocents salariés étant présents sans se douter avoir été employés par un réel enfoiré. Le but n'était d'ailleurs pas de saccager ses cabinets - qui seraient de toute manière démantelés par les affaires que nous venions de faire remonter aux autorités - mais de s'occuper de vider tous les sous-sols gardés dans lesquels il avait conservé matière à faire profiter. 

La tâche qu'on m'avait chargée de mener n'était pas compliquée. Mes troupes étaient vite censées se retrouver mêlées à celles que dirigeaient les autres haut-placés. Je les sommais donc de débuter en ayant simplement lâché :

- Bonne chance. Que notre vengeance commence.

Puis, mon arme levée en direction de la lune que je venais d'admirer, rassurée, je tirai.

CARELESS WITH MEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant