12. Nuits blanches

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Même jour,
9 mai, 13h48
Région parisienne

« Vous avez trois nouveaux messages. Le neuf avril à onze heures trente-trois.

« Salut, Bill, c'est David. J'essaie de, euh... contacter Tom mais il me répond pas. Je sais que tu es en arrêt maladie, mais je me demandais, euh... À quel stade tu en es, dans ton cancer ? Enfin, au stade 3, ça je sais, mais, euh... Il va y avoir une amélioration ? Je te demande ça parce que, euh... je sais pas si je pourrai éternellement faire attendre tout le monde. Les gens s'inquiètent, Bill. Et l'industrie de la musique est- »

Message supprimé.

Le onze avril à quatorze heures douze.

« Salut fiston. C'était peut-être pas très correct de vous faire la surprise d'être là au repas chez ta mère mais- »

Message supprimé.

Le vingt-quatre avril à vingt-trois heures deux.

« Salut, c'est David. Je pourrais avoir de tes nouvelles par message, s'il te plaît ? J'aimerais savoir comment avance ton traitement. J'ai annulé toutes vos dates jusqu'à mi-mai pour l'instant, je continuerai jusqu'à fin juin mais, euh j'attends qu'on s'en rapproche un peu. Je vais voir pour vous remplacer tout ça en fin d'année. Allez, bisous bonne nuit Bill. »

Pour effacer tapez « 2 ». Pour réécouter, tapez « 3 ». Message supprimé.

Le deux mai à dix-huit heures dix.

« Bill, c'est maman. Tu sais, Gordon et moi on s'inquiète. Est-ce que ton frère et toi vous allez bien ? Tom ne répond à personne. On essaie tous de l'appeler, de t'avoir toi aussi et vous vous enfermez dans votre bulle. Je sais que ça a toujours été comme ça, vous deux ensemble contre le reste du monde, mais... Les garçons, c'est pas la vie quotidienne, ce que tu as c'est grave et en tant que votre mère, je... Je voudrais avoir au moins des nouvelles. Avant tu me racontais des choses, tu me tenais au courant... Maintenant, plus rien. Tu sais qu'à cause de mon travail je ne peux pas venir pour l'instant mais je vais essayer, je te le promets. Écris-moi, et dis à Tom de me rappeler, s'il te plaît. Bisous. »

Pour effacer tapez « 2 ». Pour réécouter, tapez « 3 ». Message archivé. Fin des nouveaux messages »

Bill cliqua sur son application de messagerie et il ouvrit sa conversation avec sa mère. Il n'y avait que des messages d'elle. Elle s'inquiétait, demandait des nouvelles, et le jeune homme culpabilisait à chaque nouveau message qu'il recevait.

Dans la voiture en route pour l'hôpital, il n'osait pas lui avouer qu'il avait peur de mourir à cause du cancer, peur de perdre sa voix et d'être inutile, peur que Tom choisisse un nouveau chanteur meilleur que Bill pour le groupe.

Il se sentait si fatigué de vivre, si seul sans la musique, qu'il préférait mourir et paradoxalement, il culpabilisait de vouloir mourir alors que le groupe avait déménagé et arrêté la tournée pour lui. Il sentait que David avait besoin de savoir que son chanteur guérirait un jour, car les fans avaient les yeux braqués sur les Tokio Hotel et en particulier sur Bill.

Autant de sentiments contradictoires qui se bousculaient dans la tête du jeune homme, alors qu'il n'avait pas vécu un quart de la vie qu'il pensait avoir.


- Et on y retourne, dit l'infirmière en anglais.
- C'est parti, ajouta Didier. Let's go, traduisit-il.

La machine commença son décompte : deux heures, le temps habituel d'un jour de traitement de chimiothérapie. Bill était dans cette salle qu'il détestait, accompagné de Gustav et de Tom. Ce dernier avait des cernes immenses sous les yeux, mais il avait encore un peu d'énergie pour rester debout.

- Tu devrais vraiment dormir la nuit, tu tangues, observa Gustav. Tu fais des nuits blanches ou quoi ?
- Tu crois que je fais quoi, la fête ?, répondit sèchement Tom.

Le jeune homme se frotta les yeux, à bout de forces. Didier les observa mais ne put comprendre un seul mot, la conversation étant en allemand.

- T'as essayé les médicaments à base de plantes ?, tenta le blond.
- Me parle pas de ta putain de tisane, marmonna Tom en se pinçant l'arrête du nez.
- Stop..., murmura Bill.
- Ça a pas marché sur Leon, ça marchera pas sur moi, continua Tom sèchement.
- Pas besoin de me parler comme ça, je te propose des solutions. Qu'est-ce que t'as en ce moment ?, demanda Gustav.

Tom se prépara à dire quelque chose, mais il changea d'avis juste avant que les mots ne sortent.

- Je vais me prendre un truc à la machine. Leon, tu veux quelque chose ?, demanda Tom d'une voix froide.
- Non merci.
- Ok.

Même avec l'antiémétique, Bill n'était pas sûr qu'il ne vomirait pas. Pendant une seconde, le jeune homme cru voir une expression qu'il n'aurait pas su identifier sur le visage de son frère. C'était comme si Tom avait mal quelque part, mais qu'il le cachait avec la colère. Le sujet des préoccupations du malade s'éloigna, laissant Bill et Gustav dans la pièce avec Didier, qui les avait salués à leur arrivée.

- Toujours des disputes. C'est grave..., dit Gustav.
- Vous êtes un ami ?, demanda Didier en anglais.

Gustav le regarda et hocha la tête.

- Et vous, vous êtes Didier ?
- Lui-même, dit Didier en français d'un air triomphant. Himself, traduisit-il à nouveau.

Bill le salua d'un geste de la main. Il s'était fait un ami qui vivait la même chose que lui et pouvait comprendre sa douleur. Quelque part, le jeune homme se sentait moins seul.

« Est-ce que Tom a des nouvelles d'Elsa depuis la rupture ? »

- Non, toujours pas, répondit Gustav en allemand.
- Ok.
- Dites-moi, Leon, est-ce que vous accepteriez de vous joindre à un repas demain midi ?, demanda Didier.

Bill fut surpris et se demanda si on s'adressait bien à lui.

- Si je ne me trompe pas, nous avons une nouvelle séance de chimio demain après-midi, continua Didier. Vous voudriez manger avec quelques autres patients et moi ?
- N'emmerde pas le gamin, tu veux ?, lança une voix enrouée en français.

Bill et Gustav se tournèrent vers le troisième patient de la pièce, celui qui était d'habitude si silencieux que Bill oubliait sa présence. Il avait la peau ridée, le teint pâle et les cheveux blanchit par le temps. Bill ne put s'empêcher de se demander s'il lui ressemblerait un jour.

- Ah. Je vous présente Jacques. Il est un peu rigide, mais dans le fond il est gentil.
- Qu'est-ce que tu dis sur moi ?, maugréa-t-il en français.
- Rien de méchant, ni de faux. Leon, est-ce que vous vous joindrez à nous pour le repas ?

Bill hocha la tête après une légère hésitation. Il allait dormir à l'hôpital, alors autant avoir de la compagnie.

Tom revint dans la pièce et s'assit sur la deuxième chaise à côté de Gustav. La tête pleine de pensées qu'il souhaitait arrêter, il porta sa canette de coca à ses lèvres et en but une gorgée. Bill chercha son regard sans succès, ne sachant pas ce qu'il avait.

- Ça va ?, finit-il par demander d'une voix faible.

Son frère, perdu dans ses pensées, ne l'entendit pas. Il fixait le sol d'un œil vide, l'âme égarée dans un lieu lointain.

- Tom, l'appella Gustav.

Didier les écouta attentivement.

- Hm ?
- Bill t'a demandé si ça allait.

Tom regarda Bill et il sourit légèrement.

- Oui, bien sûr.
- C'est à cause d'Elsa, c'est ça ?, devina Bill.

Si tu savais tout ce que j'ai dans la tête, Bill, pensa Tom. Mais tu as tellement plus important à penser.

Tom pinça les lèvres.

- Oui, c'est ça.
- Ça va... aller, dit Bill avec un effort.
- J'espère.

SILENCE (Bill Kaulitz)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant