Chapitre 21

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Les jours passaient à une vitesse affolante et je manquai cruellement de temps. J'avais réussi à obtenir les places pour la mère et la grand-mère de Sam et m'occupai à présent d'envoyer les commandes d'accessoires au père de Juliette. Il travaillait régulièrement avec Paul et ses bijoux de luxe étaient entièrement personnalisables, ce qui permettait à ses clients de demander à peu près tout et n'importe quoi, tant qu'ils étaient en mesure de payer. Les délais serrés que j'imposai doublaient quasiment le prix. N'ayant pas tout cet argent, qu'il fallait bien sûr fournir avant la présentation des pièces au défilé, j'avais supplié mon père de me prêter la somme astronomique. Désormais, ce n'était plus une question de réussite ou d'échec. Si ma tenue ne plaisait pas, je ne pourrai jamais rembourser le patron de la Kinsley entreprise et, même s'il s'agissait de mon père, je savais qu'il ne me ferait pas de cadeaux. Bien au contraire.

Une seule chose m'aidait à tenir : savoir que Sam était encore plus stressé que moi. J'avais vu son teint pâlir davantage et ses côtes se creuser encore. Je remerciai mentalement les couches de tulles qui masqueraient sa maigreur et les maquilleuses qui se chargeraient de couvrir tous ces défauts. Je ne pouvais rien faire pour l'heure mais me promis de trouver une véritable solution dès la fin du défilé.

Je cliquais sur le bouton « send » et un petit message me confirma que mon mail était bien parti. Je soufflai et m'affalai sur ma chaise. J'avais terminé la tenue hier soir et avais passé la nuit à dessiner les bijoux dont j'avais besoin. Sam était rentré chez lui à l'aube sans se soucier de ma propre fatigue, le visage creusé par les cernes. Je ne lui en voulais pas car je savais qu'il était dans un bien pire état.

Tout était presque terminé. J'espérais que le père de Juliette me recontacterait au plus vite avec les pièces parfaites. Si je ne les avais pas avant le défilé, cela signerait mon arrêt de mort. Sans bijoux, ma tenue ne serait pas embellie comme il le fallait et je descendrai inévitablement dans l'estime des prestigieux spectateurs. Je m'en voulais de ne m'être rendu compte de ça que quelques jours avant la date limite. Dessiner et envoyer tout ça dès le début m'aurait épargné de nombreux problèmes.

Je fis pivoter mon fauteuil pour apercevoir mon reflet dans le miroir. J'avais mauvaise mine. Normal, la dernière fois que j'avais vu le soleil, nous visitions les locaux du défilé et mes seules conversations concernaient le travail. Je n'avais pas adressé un mot à ma famille depuis des jours mais tous respectaient mon mutisme car ils savaient que ce défilé était la chance de ma vie. Si, il y avait Dallya. Elle était en voyage en Angleterre grâce à une surprise de son copain. Cela ne l'avait pas empêché de me bombarder de messages d'encouragements - bien qu'un peu moins que d'ordinaire - et de me promettre de suivre le défilé en live depuis la Grande Bretagne. Je ne lui avais que très peu répondu mais je savais qu'elle ne s'en offusquerait pas.

Il fallait encore que je vérifie la tenue, au cas où. Je savais que tout était parfait mais j'avais besoin de me rassurer encore un peu.

C'est ce moment que mon frère choisit pour ouvrir la porte. Je sursautai, n'ayant plus l'habitude d'autant de bruit et le fixai comme si je le découvrais pour la première fois.

— Allan, je voulais qu'on parle d'un truc.

— Je travaille, va-t'en Antoine.

Il entra et referma doucement la porte. Il s'assit sur mon lit en observant la robe du coin de l'œil.

— T'as fait du bon boulot, affirma-t-il avec sérieux.

Je me sentis obligé de le remercier avant de ne le virer de ma pièce mais il me devança :

— Il s'est passé quelque chose avec Sam ?

J'esquissai une moue de surprise et lui demandai pourquoi il me posait cette question.

— Vous semblez plus proche qu'au début. Vous ne jouez plus la comédie alors ?

Je me mordis la lèvre sans le faire exprès et rétorquai que nous n'avions jamais fait la comédie en avalant bruyamment ma salive.

— T'es pas obligé de me mentir à moi, je le répéterai pas, promis.

— Arrête, je n'ai jamais menti à personne. Maintenant va lire, j'ai du travail moi !

— Je sais qu'il y a quelque chose qui cloche, marmonna-t-il en se levant. C'est à toi ça ?

Il souleva un caleçon à sa hauteur pour l'examiner. Je reconnus l'un de ceux qui appartenaient à Sam.

— Je ne l'ai jamais vu ici, c'est étrange...

— Rend moi ça et dégage de là sale gosse ! criai-je en lui arrachant le tissu des main.

Il sentit que ça allait mal se passer s'il tentait encore de résister et prit ses jambes à son cou malgré sa haine de la course. La porte claqua derrière lui et je me laissai tomber sur le lit, le sous-vêtement à la main et les joues écrevisses. Je détestai l'intelligence de ce gamin et sa capacité de déduction hors norme. Peut-être que cela cesserait s'il arrêtait les polars aux énigmes tordues. Un sourire maléfique orna mes lèvres. Je n'avais qu'à tout brûler et il ne découvrirait rien de notre secret. Mais Sam râlerait... me murmura une voix dans mon crâne. C'est vrai. Il adorait les livres. Ah, si j'avais le malheur de faire une chose pareille, il ne m'adresserait plus jamais la parole. Non, je ne pouvais décidément pas faire ça.

Mais je ne pouvais pas le trahir non plus !

— Je préserverai ton secret quoi qu'il m'en coûte, marmonnai-je en sombrant peu après dans le sommeil.

SamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant