Chapitre 6

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Mon téléphone vibra sur la table de la cuisine, qui nous servait également de salle à manger. Le message venait d'Allan. Un sourire involontaire se dessina sur mes lèvres. On était en début d'après midi, il était déjà tard et je devinais qu'il venait tout juste de se lever. J'avais eu l'impression, en le voyant hier qu'il était du genre à se coucher tard pour se lever tard. En effet, sa peau était pâle, comme s'il ne prenait que peu le soleil et il dégageait une aura douce et calme, souvent caractéristique des gens qui ne vivaient que la nuit. J'ouvris l'application du site de rencontre qui m'était désormais familière. En effet, nous n'avions pas pris la peine d'échanger nos numéros pour une soirée et nous ne discutions qu'ainsi.

Ça m'a également beaucoup plu, ta compagnie est des plus agréables. Et encore merci pour ton aide.

— Ça m'a fait plaisir ! Ton frère est un vrai passionné ! Et ta mère est adorable !

Désolé pour mon père, d'ailleurs. Il a tendance à être assez pénible.

— Ce n'était rien.

Tu as apprécié le restaurant ?

— Oui, l'ambiance était sympa et la nourriture très bonne. Et toi ?

Ça fait des années que j'y vais. C'est bon mais je commence à me lasser.

— Je ne comprend même pas comment on peut se lasser d'aller au restaurant...

Tu n'y vas pas souvent ?

— Pas vraiment. D'ailleurs, si tu as de nouveau besoin, pense à moi.

J'y songerais oui. Merci. Je vais être obligé de te laisser, j'ai des choses à faire.

— D'accord, passe une bonne journée !

Il me rendit la formule de politesse puis son profil m'informa qu'il s'était déconnecté. Je soufflai doucement et regardais l'heure. Bien que mon shooting fut une heure plus tard, je devais me préparer sans trop traîner car j'avais au moins trente minutes de trajet en bus pour aller jusqu'au lieu de la séance photo. Les deux bonnes heures de travail me rapporteraient un billet vert. J'en profiterais pour faire des courses en rentrant, puisqu'il n'y avait plus rien dans les placards.

Je repensai à Allan. Il était mon salut. Sa famille, outre son père, avait semblé m'apprécier. Avec un peu de chance, je n'aurais plus besoin d'aller bosser jour et nuit pour que maman et grand-mère puisse se nourrir correctement à la fin du mois...

J'arrachai la dernière bande avec une grimace et elle rejoignit les autres dans la poubelle. J'étais désormais habitué à la douleur vive de la cire accrochant la peau mais cela restait quand même un moment désagréable à passer. J'enfilai mon baggy qui tomba sur mes cuisses. Il n'y avait pas si longtemps de cela, il était encore à la bonne taille. J'attrapai un lacet dans ma réserve et entrepris de resserrer le pantalon. Il dévoilait encore une partie de mon caleçon mais cela ne me dérangeait pas. J'enfilai mon top blanc, qui était lui aussi un peu large et attachai soigneusement mes cheveux en une demie queue basse. Mes boucles me donnèrent un peu plus de fils à retordre mais je finis par y parvenir. Je sortis de la salle de bain et gagnai le salon.

Un sourire fleurit sur mes lèvres. Grand-mère reprisait l'un de mes vieux pantalons et discutait avec maman qui pliait soigneusement le linge. Ces petites scènes du quotidien étaient de véritables bouffées d'air pour moi. Malheureusement, je devais partir, je n'avais pas le temps de m'asseoir entre elles pour les regarder, comme j'avais l'habitude de le faire plus jeune.

— Tu pars déjà mon petit Sam ?

Ma mère s'était tourné vers moi et s'était arrêté dans sa tache.

— Oui, je travaille plus tôt aujourd'hui. J'irais faire quelques courses après. Vous avez besoin de quelque chose ?

— Il n'y a plus de thé, si tu pouvais en prendre...

— Bien sûr grand-mère.

— Et j'ai fait une liste, elle est sur le frigo, informa maman. Tu n'es pas obligé de tout prendre, le plus important est en tête de liste.

J'acquiesçai et pris la petite feuille avant de partir, non sans avoir embrassé les femmes de ma vie.

Dans le bus, je repassai en revue les vêtement que j'allais devoir porter l'après-midi. Des sous-vêtements, encore. Des couleurs claires, surtout. On me choisissait souvent pour ceux-là car ma peau brune les faisait ressortir. Les photographes trouvaient le contraste saisissant et ne manquaient jamais de faire un tirage en noir et blanc. Je tapotai du pied au rythme de la radio, ne me souciant pas de savoir si ce geste régulier agaçait quelqu'un. Le véhicule n'était qu'à moitié plein et j'avais pu bénéficier d'une place, seul. Un vrai luxe. Je vérifiai le nom de l'arrêt auquel je devais descendre et cliquai sur le bouton stop quelques minutes plus tard. Je descendais avec un petit frisson. Le temps était gris aujourd'hui, pas l'idéal pour mettre un tee-shirt court. Je marchai jusqu'à l'adresse qu'on m'avait donnée et indiquais mon nom à l'entrée. La salle louée par le créateur se trouvait au deuxième étage. Je m'y rendis sans me presser puisque j'avais une petite avance.

Franck m'accueillit avec un grand sourire, comme à l'accoutumé.

— Tu vas bien ? Paré pour la séance de cette après-midi ?

— Plus que paré oui.

— Et bien, comme tu peux le voir, ce n'est pas le cas de tout le monde ! rigola-t-il.

En effet, le photographe installait son appareil sur un trépied et la toile pour les photos finissaient d'être montée par son assistant.

Il restait une bonne demi-heure de travail et je me lamentai de savoir que j'allais devoir rester plus tard que prévu. Je masquai toutefois cela en partageant le rire du créateur. Il était l'un de ceux qui m'appelait le plus régulièrement et le perdre signerait pour de bon la fin de ma pitoyable carrière. Je l'écoutai donc jacasser sur ces nouveaux modèles et donnai mon avis lorsqu'il me le demandait. Il m'indiqua ensuite mon habituelle petite cabine. C'est là-dedans que je me déshabillai et que je laissai mes affaires. C'était également l'un des grands avantages de cette collaboration avec Franck : il avait toujours respecté mon intimité et m'expliquai toujours clairement ce que j'allais devoir faire avant chacune de nos séances.

J'enfilai le sous-vêtement moulant au possible et en appréciai la douceur. Nouvelle collection 100 % coton. Je fis un tour sur moi-même et me penchai pour admirer le motif avant d'aller me placer sous les projecteurs. Franck restait à l'arrière, laissant le photographe faire son travail mais ses prunelles scrutaient mon corps avec un air appréciateur. Le rendu lui plaisait. Je souris malgré moi. Le rendu lui plaisait toujours et si par le plus terrible des hasards, il n'aimait pas, il s'empressait d'accuser le photographe. Ce n'était pas de ma faute. J'étais « parfait », comme il l'avait dit lors de notre première rencontre.

SamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant