Chapitre 33

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— Tu peux prendre mes champignons s'il-te plaît ? Je n'aime pas trop ça...

— Ah bon ? s'étonna-t'il.

J'acquiesçai vivement et ne lui laissai pas le temps de protester en versant une partie de mon repas dans son assiette.

— Attend, il n'y a pas que des champignons ! Tu...

— J'ai pas trop faim, répliquai-je aussitôt.

— Mais j'en veux pas, c'est...

— Prend le, tu ne t'es pas beaucoup servi, coupai-je.

Les deux femmes nous observèrent curieusement, ne sachant pas si elles devaient intervenir ou non. Je baisai la joue du garçon et le remerciai mielleusement pour l'empêcher de se rebeller davantage. Il se tut avec une moue boudeuse et décida de se concentrer sur la nourriture, qu'il remua du bout de la fourchette. Je fixai mon propre plat en lui jetant quelques regards de côté de temps en temps et fus surpris de constater qu'il finit son assiette sans râler. Je jubilai intérieurement et contins mon sourire. Je débarrassai la table lorsque le mannequin lança à la volée qu'il devait aller aux toilettes. Je haussai les épaules et commençai la vaisselle seul. Je la finis seul également. Je me séchai au mieux les mains et gagnai le couloir. La porte de la salle de bain était verrouillée et je m'inquiétai pour le garçon, qui était dedans depuis dix bonnes minutes. J'allai l'appeler quand un bruit à peine audible me parvint. Quelques toussotements, puis un bruit de giclure contre ce que j'identifiai être la cuvette des toilettes. Je reculai ma main de la poignée, la mine décomposée.

Je savais exactement de quoi il s'agissait, pour lui avoir tenu les cheveux en lui caressant le dos pour le rassurer. Sauf que cette fois-ci c'était différent, le puzzle s'assemblait doucement mais insidieusement dans mon esprit. La porte fermée à clef, les toilettes systématiques après chaque repas... Chaque pièce trouvait lentement mais sûrement sa place dans le dessin final : s'il ne prenait pas de poids malgré mes efforts, c'était parce qu'il se faisait vomir ensuite. Je m'étais habitué à sa manie d'aller aux toilettes après le repas mais jamais je ne m'étais douté que c'était pour cela. Mon cœur tremblait à cette pensée et je m'en voulais de ne pas l'avoir remarqué. Ce n'était plus seulement une question de poids, il abîmait son œsophage à agir ainsi...

Je m'écartai pour de bon, à contre-coeur et la furieuse envie de faire des recherches me prit. Il avait un trouble alimentaire, j'en étais sûr mais lequel ? Mon père m'avait parlé de ces mannequins, qui souvent, finissaient par sombrer à cause de ce genre de problème. Est-ce que Sam allait finir ainsi ? Je sortis mon téléphone de ma poche et tapai quelques mots à l'écran.

« Troubles alimentaires chez les jeunes mannequins »

Je fis défiler les sites sans rien trouver de pertinent. Je reformulai sous forme de question et tombai sur un site expliquant les différents type de troubles alimentaires. Une brève présentation de l'anorexie me permit de resserrer mes recherches. Je tombai sur des photos et des articles qui me glacèrent le sang. Des hospitalisations où les patients finissaient branchés de partout. Des photos de stars dans le coma. Des corps rachitiques de personnes qui semblaient déjà mortes. Je revis Sam à la sortie de la douche, la dernière fois. Déjà si maigre... C'était il y a plusieurs jours et je ne l'avais plus revu depuis, il avait soigneusement éviter de me croiser lorsqu'il était habillé autrement qu'avec un T-shirt manches longues et un jogging. Peut-être qu'il s'était encore aminci, qu'il avait un physique désormais semblable à celui de cette fille appelée Sheyra, morte quelques années auparavant...

Je m'assis sur le lit tant le choc était grand et fermai la page. Les silhouettes décharnées continuaient de tourner dans ma tête et une voix me criait que Sam serait bientôt dans le même état. Une seule personne pouvait m'aider et je n'hésitai pas à l'appeler tout de suite.

Je traversai toute la maison en signalant que j'allais me promener, le téléphone à l'oreille. Je dus rappeler deux fois pour que Dallya réponde enfin. J'enfilai rapidement une paire de chaussures et refermai la porte derrière moi.

— Salut mon chou, ça fait un moment que je ne t'ai pas eu au téléphone, comment tu vas ?

— Moi je vais bien... Mais Sam est dans un mauvais état...

— De quoi est-ce que tu parles ?

— Il ne mange presque plus et je crois qu'il se fait vomir...

— La maladie du mannequin, souffla-t-elle avec une pointe de tristesse dans la voix.

— Il ne veut rien entendre, je lui ai dis que ce n'était pas normal mais il ne veut pas m'écouter...

— Ça ne sert à rien, il ne fera rien tant qu'il n'aurait pas eu le déclic.

— Le déclic ? De quoi tu parles enfin ! répondis-je en montant le ton sous le coup de l'inquiétude.

Plusieurs personnes se tournèrent dans ma direction mais je ne me préoccupai pas d'eux

— S'il ne prend pas conscience de sa maladie, il refusera ton aide et celle de n'importe qui d'autre. Ne le force à rien pour l'instant, continue de prendre soin de lui sans te soucier de ça.

— Mais je ne peux pas. Dallya, j'ai tellement peur de le perdre.

Ma voix se brisa et je décidai de m'asseoir sur le premier banc que je croisais.

— J'ai tellement besoin de lui dans ma vie, je ne peux pas ignorer ça... sanglotai-je.

— Allan, il ne va pas tarder à s'en rendre compte, ne t'inquiète pas...

Je reniflai en fermant les yeux un peu trop fort. Je vis des points colorés en les rouvrant mais je les chassai en même temps que les larmes et remerciai Dallya à voix basse.

— C'est normal. Je suis là, toujours... Appelle moi si ça empire, d'accord ? Je te laisse, tu as ton homme à retrouver.

— Merci pour tout Dallya, je t'aime...

— Je t'aime aussi Allan, dit-elle avant de raccrocher aussitôt.

Je soufflai et me redressai. Quelques personnes me fixaient mais je décidai de les ignorer pour reprendre le chemin de la maison, la tête vide.

SamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant