Chapitre 28

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Deux semaines étaient passées et nos liens s'étaient considérablement resserrés. C'était simple, nous ne nous étions quasiment plus quittés depuis le défilé. Il n'était rentré chez lui que trois jours et j'avais cru en mourir. Mais je savais qu'il ne le faisait pas de bon cœur, il avait des gens à voir et des contrats à rompre. J'avais patienté, j'avais tenté de reprendre quelques dessins, en vain. Il me manquait ma muse. Alors j'avais sauté le pas : je l'avais invité au café.

Je tordis mes doigts avec un léger stress. J'étais arrivé à quinze heures plutôt que quinze heures trente, par peur d'arriver en retard. J'avais commandé un premier café glacé, que j'avais siroté en observant les gens et leurs mouvements. Cela m'aidait un peu à ne pas penser au styliste qui viendrait bientôt secouer davantage encore mon cœur et mon corps. Je baissai ensuite les yeux sur la table, retraçant les rainures du bois. Je devais avoir l'air pitoyable, à observer le meuble de cette manière mais je m'en fichais. Une ombre se pencha sur moi.

— Qu'est-ce que tu fais ? La table est si passionnante ?

Je relevai la tête et un sourire s'installa sur mon visage. Sam se pencha pour un chaste baiser puis prit place en face de moi. Mon regard ne quitta pas son corps. J'appréciai la vue que j'avais de son ventre nu et de ses bras fins mais aussi de sa nuque dégagée. Il avait attaché ses cheveux en une boule de mèches étonnement harmonieuse.

— Tu vas bien ? Qu'as-tu fais ce matin ?

— Ça va. Je n'ai pas fait grand-chose en fait. J'ai essayé de dessiner mais il me manque ma muse.

— T'es pas croyable, qu'est-ce que j'aimerais avoir le temps de m'ennuyer ! s'exclama-t-il en riant de bon cœur.

— Tu t'en sors avec tes contrats ? Je peux t'aider si tu le souhaites.

— Ça ira. Il ne me reste que Frank. Je pose pour lui depuis plusieurs années et je ne suis pas sûr qu'il me laisse partir si facilement.

— Depuis des années ?

— C'est lui qui m'a proposé mon premier contrat. Je lui suis vraiment redevable. Sans lui, nous serions à la rue.

— Je comprends que ça soit compliqué. Je peux peut-être demander à papa de regarder ses créations. Si ça lui plaît, il pourra faire de lui un partenaire et tu pourras continuer de travailler avec lui. Mais les prix ne seront pas les mêmes, tu t'en doutes bien.

— Justement... Non, laisse tomber. Je vais juste rompre le contrat. Je ne veux pas bénéficier d'avantages juste parce que l'on est ensemble.

— Ce n'est pas une question d'avantage. Tout le monde ici à le droit de soumettre ses suggestions. Mais c'est comme tu le souhaites, je suis là si jamais...

Il acquiesça.

— On commande ?demanda-t-il. Je meurs de soif !

— Tu es venu en bus ?

— Oui, maman et grand-mère avaient envie de se promener dans le coin alors je les ai accompagnées avant de venir.

— Alors on ne rentre pas ensemble après ?

— Et bien elles ne pourront pas rentrer sans moi alors...

— Je peux les déposer en voiture.

Il eut une hésitation. J'ajoutai que ce n'était pas grave s'il préférait rentrer chez lui, même si mon cœur me criait de lui dire le contraire et me levai pour m'approcher des bornes de commande. Il me suivit, l'air songeur. Je tapai ma commande, lui laissai la place puis insérai ma carte avant même qu'il ne sorte de la monnaie. Il me remercia plutôt que de protester. Nous nous réinstallâmes à notre table en attendant que l'on nous appelle pour nos boissons.

Le silence s'installa entre nous mais cela ne fut pas dérangeant. En effet, les gens parlaient et s'agitaient, et j'appréciais cette petite bulle de calme autours de nous. Sam réfléchissait toujours et cela commençait à m'intriguer. Il prit la parole au moment où je voulus le questionner.

— Allan, je peux te parler de quelque chose de sérieux ?

— Bien sûr, lâchai-je, étonné de la demande.

— Pourquoi est-ce que tu ne dors pas à la maison ce soir ? Je sais que c'est pas très grand mais...

— Eh, pas de soucis. Tu n'as pas besoin de le demander si formellement, ça ne me dérange pas.

— C'est pas ça... Juste, j'aimerais que l'on vive ensemble. Chez moi. Provisoirement si tu préfères mais je veux t'avoir à mes côté et maman et grand-mère ont besoin de moi...

— C'est tôt... soufflai-je.

— Je suis désolé...

Si je m'étais attendu à ça. On nous appela pour les commandes. Je me levai par automatisme mais Sam me devança.

— Je vais les chercher. Réfléchis à ma proposition s'il-te plaît.

Je me rassis et lui tendis le ticket. Il le prit et se dirigea à la caisse.

Vivre ensemble. Le voir chaque soir et chaque matin, travailler, manger et sortir avec lui. C'était le rêve. Mais n'était-ce pas trop tôt ? Étais-je prêt à quitter la maison pour lui ? Je n'aurais pas hésité une seule seconde s'il avait voulu vivre chez moi mais là, la question se posait. Et en même temps, il avait ses raisons. Il ne pouvait laisser sa famille seule et je ne pouvais que le comprendre. Il revint avec un sourire et posa les boissons devant nous.

— C'est d'accord, lançai-je lorsqu'il se rassit.

— Vraiment ? Tu veux bien ? Je n'ai même pas à négocier ? On peut vivre ensemble ?

— On est censé être en couple depuis des mois, c'est normal que...

— Non, coupa-t-il en posant une main sur la mienne. Allons à notre rythme, ne prenons pas l'avis des autres en compte. S'il-te plaît. Ne le fais pas parce que tu t'en sens obligé...

— Ce n'est pas le cas, j'ai envie de passer plus de temps avec toi. Enfin, tout dépendra de ma boite de couture. Si elle rentre dans ta chambre, c'est bon mais sinon... Il est hors de question que je l'abandonne !

Un léger sourire illumina ses lèvres, qu'il plongea dans son cappuccino.

— Je trouverais de la place pour tes tissus aussi, je te le promets.

— Alors c'est quand tu veux. Je ne vais pas prendre toutes mes affaires, juste celles qui me sont utiles alors j'en ai juste pour une journée à tout déplacer.

— Peut-être... dans deux ou trois jours, quand j'aurais mis fin à mon dernier contrat ?

— Ça me va. Ta famille est au courant ?

— C'est elles qui m'en ont donné l'idée. Elles ont dit que je ne faisais que travailler ces derniers jours et que si tu habitais chez nous, on pourrait quand même passer du temps ensemble. Ça ne posera pas de problème pour toi ?

— Bien sûr que non, depuis le temps qu'ils essaient de se débarrasser de moi !

Un rire lui échappa et je pris un air faussement outré pour l'amuser davantage.

— Arrête donc de dramatiser, je suis sûr qu'ils seront tristes de te voir partir.

— Pff, compte là-dessus.

Il secoua la tête, exaspéré.

SamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant