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            Je me suis longtemps demandé comment nous avions pu nous éloigner à ce point, toi et moi. Comme tu le sais, je ne me pose jamais les bonnes questions. Nous étions passées de copines qui s'étaient rencontrées au lycée et qui ne s'étaient plus jamais quittées dès lors, à deux inconnues. Je me suis longtemps demandé comment tu réfléchissais, comment tu avais pu me faire ça. Pour être tout à fait franche avec toi, j'avais tendance à me dire que moi, en quatre ans, j'avais eu toutes les raisons de te mettre des bâtons dans les roues et pourtant je n'avais rien fait. Pourquoi toi, en quelques semaines, tu avais tout mis en œuvre pour ruiner ma vie ? Mes mots sont grands, à l'époque tu ne ruinais pas ma vie, mais j'avais vingt-quatre ans et c'était l'impression que ça donnait. Nous étions installées sur les marches de la fac, tu t'en souviens ? Il faisait beau. La fin des études approchait, mais comme nous dépendions toutes les deux de nos bourses, nous étions obligées de se présenter aux cours jusqu'au dernier jour. Même que l'on se maudissait d'être aussi dépendante de l'état, toi et moi. L'album d'Harry Styles retentissait depuis ton ordinateur. Ton alliance brillait sous les rayons du soleil printanier. Tu la portais toujours fièrement malgré tout ce que tu me disais de ce mariage à peine entamé. Je fréquentais Thomas depuis deux mois, nous n'avions rien fait d'extravagant jusqu'à maintenant, mais nous étions bien tous les deux. Il m'emmenait partout, me faisait visiter tous les musées, m'emmener dans des galeries d'arts, me faisait l'accompagner pour prendre un café à seize heures de l'après-midi alors que j'en détestais l'odeur. Le week-end, il m'emmenait faire des randonnées, parfois nous allions à la plage, d'autre fois camper en pleine forêt. Bordel, j'étais tombée amoureuse. Tu l'avais remarqué. Je ne te parlais pas de lui, ça te faisait trop mal, mais tu l'avais remarqué. J'étais de moins en moins disponible et j'occupais le plus clair de mon temps avec Thomas, comme toi tu l'avais fait avec David quatre ans avant.

J'avais les coudes posés sur deux marches au-dessus de celle sur laquelle j'étais assise. Je savourais le soleil qui chauffait et qui faisait bon à sentir sur sa peau. Le vent soufflait parfois, mais ça faisait du bien. Il faisait trop chaud, nous étions qu'en approche de l'été et pourtant les températures étaient bien au-dessus de la normale, comme ils disaient à la météo. Je me souviens des autres étudiants qui discutaient autour de nous et des Parisiens qui marchaient en bas des marches.

– Tu ne trouves pas ça triste ? As-tu demandé.

– Quoi ?

Je me souviens avoir redressée la tête, moi qui l'avais penchée pour prendre l'énergie du soleil. J'avais un œil fermé, ça tapait fort et je voulais voir ton visage quand tu me parlais.

– Bah... ce qu'on est devenues, tu as dit. Tu ne trouves pas ça triste que l'on se voit que quand on est à la fac ?

Moi, je m'étais déjà habituée à te voir qu'à la fac, mais ça tu ne l'avais jamais remarqué. Tu étais trop occupée à vivre ta meilleure vie avec David, à l'époque. T'entendre me le demander m'avais tout de même fait un peu de peine. C'est vrai que Thomas occupait mon temps libre et que toi et moi étions ensemble que quand nous avions les mêmes cours.

– Je me suis habituée, j'ai répondu.

– Habituée ? tu demandas. Comment ça habituée ?

J'avais eu le sentiment de t'avoir blessée avec ma réponse, mais tu ne tenais pas le même discours, quand c'était moi qui te demandais si parfois, ça ne te manquait pas nos après-midis dans les parcs, nos soirées devant Netflix et nos appels téléphoniques à deux heures du matin.

– Parfois je me demande si nous vivons dans le même univers, t'ai-je dit. Cela fait quatre ans que nous nous voyons qu'à la fac, Lucie !

Tu l'avais mal pris. Je t'ai vu lever les yeux au ciel, mais j'avais fait comme si ce n'était pas le cas. J'ai placé ma main en visière, j'en avais soudainement marre de ce soleil qui commençait à me faire suer. Toi, tu avais fermé le capot de ton ordinateur. Ma réponse t'avait déplu au point que tu t'exprimes par des gestes.

UN JOUR DE TOI - TOME IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant