Chapitre 19

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   Le trajet en voiture est affreusement tendu. Ça fait un bon mois que je ne me suis pas retrouvée seule avec ma mère. Je l'entends le soir de temps en temps parler à ma sœur. Certainement de mes échecs en opposition avec ses réussites. Au moins, je sais qu'elle respire toujours. J'espère que tout se passe bien pour elle. Le concours est pour bientôt, elle doit affreusement stresser, je n'ai pas besoin d'en rajouter.

   Le docteur est à l'autre bout de la ville, pour m'arranger. On n'a pas pu avoir de place avant aujourd'hui, ça m'a laissé le plaisir de bien souffrir le week-end dernier lors des répètes. Au point où j'en suis, j'aurais préféré attendre un peu plus, pour éviter que ça tombe un mardi.

   Les cours de Monsieur Fallen sont devenus mes favoris et pas seulement parce que je suis seule avec Thomas. Grâce à lui, je les comprends et les trouve même super intéressants. C'est un des moments que j'attends le plus chaque semaine. Encore un dont on m'a privé.

   On pouvait sentir la déception de Thomas à travers l'écran lorsque je lui ai annoncé hier soir que je ne serais pas là. Néanmoins, il m'a convaincue de ne pas négocier pour le déplacer, insistant sur le fait qu'il est important que je prenne soin de ma santé. De plus, ça m'a évité une dispute avec ma mère.

   Didi a fait sa visite mensuelle à Los Angeles il y a déjà deux semaines. Normalement, c'est quelque chose que l'on fait ensemble ou à très peu d'intervalle puisqu'on compare nos résultats.

   L'attente est interminable. Ce docteur n'a pas une seule fois été à l'heure depuis que je suis née. J'aurais largement eu le temps d'assister au moins au cours de physique chimie. 

   Je fais part de mon énervement à Thomas par messages, le pauvre. Il essaie de me faire passer le temps comme il peut. Heureusement que son prof d'économie ne proscrit pas les téléphones. Je ne me permets de le monopoliser que parce que je sais qu'il a au moins un mois d'avance dans cette matière, cette tête.

   Je jette un coup d'œil à ma mère que je regrette immédiatement. Cette femme est loin d'être patiente. Son énervement est clairement contagieux. L'ambiance se dégrade de minute en minute. Ce n'est qu'après presque une heure que le docteur arrive, faisant changer instantanément son expression. Je hais ce sourire faux qu'elle affiche. Je le salue et les suis, la tête baissée.

   Ils ne perdent pas une minute. Comme chaque mois, je suis mesurée, pesée, partiellement déshabillée et détaillée de la tête aux pieds. Protocole strict de l'académie, bien que ça soit devenu une règle bien avant qu'on ne l'intègre.

   Je me rends compte que c'était beaucoup plus simple avec ma sœur. L'expérience paraissait nettement plus anodine. Assise là en sous-vêtements, je me sens complètement à nu. La sensation est horrible. Je donnerai tout ce que j'ai pour disparaître devant cette expression neutre et concentrée qu'affiche le vieil homme.

   Dix minutes interminables plus tard, je retrouve ma mère devant le bureau. Le docteur parcourt les résultats de ma sœur en même temps que les miens. C'est le moment le plus stressant du mois. Je lance des coups d'œil paniqués entre lui et ma mère.

– Moins deux kilos, soit trois d'écart avec Didi qui est à +1.

   Et voilà, nous y sommes. Ma mère soupire, visiblement énervée. J'ai déjà la nausée rien que de penser à tout ce que je vais devoir être forcée de manger ces prochains jours. Ma sœur a de la chance d'être loin. Dans tous les cas, elle n'aurait eu qu'un avertissement.

– Et la taille ? l'interroge ma mère froidement.

   Ça, je ne le contrôle pas, maman.

– Inchangée pour toutes les deux, soit huit millimètres de différence qui vont probablement rester ainsi, explique-t-il. Leur croissance touche à sa fin.

Dans l'ombre des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant