Chapitre 28

26 12 23
                                    

    Une fois de plus, ma sœur rayonne derrière l'écran. Ses cheveux sont remontés dans un chignon duquel tombent quelques boucles. Sa peau lisse brille juste comme il faut, autant que ses yeux noisette qui sourient à l'unisson avec l'intégralité de son être.

– Les répétitions ont l'air de te réussir, je constate, ravie.

– Et toi non, se moque-t-elle gentiment. On dirait qu'un camion t'a roulé dessus.

– T'imagines même pas, je ris.

   Son visage m'a manqué à un point ! Malgré la fatigue et le chaos qui règne dans mon esprit, plus la gueule de bois, je ne peux m'empêcher de sourire. Elle a l'air d'excellente humeur, le genre paisible que j'aime plus que tout chez elle, bien qu'avec tout ce qu'elle a sur le dos, ça n'arrive pas souvent. Le fait est que quand elle est comme ça, c'est extrêmement contagieux. Ça marche mieux que n'importe quel médicament.

   Seulement, elle reste inatteignable. Je peux la voir, l'entendre mais pas la toucher. J'ai l'impression de la sentir pourtant. Son doux parfum, un mélange de fleur de cerisier et de lavande flotte dans l'air qui est pourtant vide de sa présence.

   Très souvent, je referme instinctivement ma main qu'elle tenait en toute occasion, principalement pour m'empêcher de chuter. On dit que les atomes ne se touchent jamais réellement. Mais ma sœur sait défier les lois. Parfois même, elle arrive à diminuer le poids de la gravité sur mes épaules rien qu'en rentrant dans une pièce.

   Didi est heureuse et le fait qu'elle le soit me remplit de bonheur. Pourtant, des fils barbelés s'entourent autour de ma gorge. En ce moment, plus que jamais, j'ai besoin d'elle.

   J'ai vécu un des pires réveils de ma vie. Le blackout aurait été préférable à la douloureuse réalité. J'ai déconné. Je me suis laissée porter, ai fini complètement bourrée et inconsciente. Tout comme Thomas, qui n'était plus là à mon réveil pourtant très matinal.

   Hier soir, j'ai expérimenté les meilleures sensations de ma vie. Sa proximité, notre connexion, le contact de ses lèvres, le goût qu'elles avaient... sa douceur et son assurance, ainsi que la mienne. Tout était beaucoup trop. Et désormais, mes sentiments sont étalés là, devant moi, et la déchirante réalité : nous n'étions pas dans notre état normal. Et j'ai peut-être détruit notre relation. C'est pour cette raison qu'il a fui.

   De son côté, avec un peu de chance, il oubliera cette histoire et pourra faire comme si de rien n'était, comme il a dû le faire dans son passé. Ou bien il m'effacera. Parce qu'il faut se l'avouer, il n'avait jamais rien tenté avant. Il y a de fortes chances qu'il n'ait fait qu'être pris par le moment et ses hormones.

   Le problème, c'est que moi, j'en suis incapable : feindre l'ignorance de tout ce que j'ai vécu en l'espace de quelques heures. J'ai réveillé quelque chose en moi que je ne saurais éteindre ou diminuer. Le bouton On est enclenché et il n'y a pas de Off. Plus rien ne pourra être normal et, que ce soit par son indifférence ou un rejet clair, je ne pourrai pas éviter de m'écraser au sol.

   Je me hais.

   Les répétitions m'ont drainée des restes de mon âme. Mon corps affaibli ne demande qu'à hurler sa douleur, tomber dans les bras de ma sœur et laisser les larmes couler jusqu'à ne plus en avoir. Seulement, je ne me l'autorise pas. Je parviens à réunir une force sans précédent pour continuer à étirer mon sourire. Ce n'est pas le moment de détruire son bonheur nouvellement retrouvé.

– Au fait, j'ai pensé à un truc ! me crie presque Didi tant elle est enthousiaste.

– Euh, oui ?

– T'inquiète, rien de mortel, ajoute-t-elle face à ma réaction.

– On sait jamais avec toi, je lui rétorque.

   Ce n'est pas la première fois qu'on se retrouve dans des situations insolites avec ses idées complètement aléatoires.

– Ça te dit, un petit relooking ?

   Alors ça, je ne m'y attendais pas.

– Euh, c'est-à-dire ?

– Je pensais à tester un ombré blond, on a une bonne longueur ça pourrait rendre super bien.

   La dernière fois que Didi a proposé un truc dans le genre, c'était suite à sa rupture. Je déglutis. Serait-elle en train de me mentir sur son état émotionnel ? Elle est si bonne actrice que ça serait possible... avec une aveugle comme moi qui ne sait pas traiter la moindre info et encore moins interpréter les signes.

– Tout va bien ? je l'interroge, inquiète.

   Elle doit comprendre tout de suite ce à quoi je fais référence puisqu'elle me rassure sur le coup.

– Mais trop ! C'est exactement pour ça que je veux le faire. (elle s'arrête pour réfléchir). Regarde, moi j'ai la vie de rêve aux US et toi t'as décroché le premier rôle. On frôle la perfection. Toi comme moi, on est plus les mêmes personnes, on a upgrade, faut marquer le coup ! (Elle saute sur sa chaise, ravie). Et puis ça évitera la perruque pour jouer Raiponce.

– Tu marques un point, je lui réponds, emportée par son enthousiasme contagieux.

   Je n'avais pas pensé à toucher à mes cheveux, mais pourquoi pas ? Si ça lui fait plaisir, alors à moi aussi.

   Elle a raison, j'ai changé. Elle ne sait juste pas à quel point. Peut-être que ça me fera du bien comme ça lui a fait à elle : du renouveau.

   On commence donc à éplucher nos options. Du blond doré, pour ne pas trop choquer, quand même. Ça évitera les repousses dégueulasses aussi.

   Je n'ai peut-être pas exprimé mon mal-être comme je l'aurais voulu, mais cette petite heure passée avec elle m'a permis de respirer un peu. J'affiche désormais un sourire sincère. Pendant un temps, tout était redevenu comme avant : notre complicité, l'élaboration de nos plans foireux.

   Didi n'était pas aux US, juste quelque part pas loin, à m'appeler avant de rentrer puisqu'elle ne pouvait plus attendre. Rien ne me pesait sur l'âme et Thomas n'existait plus. Il n'y avait plus rien de compliqué.

   Mais on n'échappe jamais à ses problèmes, n'est-ce pas ?

Dans l'ombre des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant