Pour la centième fois en l'espace de deux heures, j'écoute ma sœur me répéter l'importance de la posture, l'élocution, la justesse, la transmission et absolument toutes les choses qui pourraient me permettre d'avoir le premier rôle. Évidemment, elle me fait répéter chacun de ses points en détail devant la caméra pour juger si c'est acquis ou pas.
– Ava, tu baisses encore les yeux ! Tu dois capter leur intention, pas les fuir !
– Je sais, j'aime juste pas fixer le téléphone, je lui rétorque, complètement épuisée.
– Bon, redresse-toi au moins. Souviens-toi, tout commence en coulisses, répète ma sœur d'une voix assurée.
– C'est noté.
Je m'exécute et me remets à chanter, sachant d'avance que ça n'ira toujours pas. Plus je recommence, pire c'est. Je sais qu'elle fait de son mieux pour m'aider sauf que je suis une personne qui marche au feeling. Je suis incapable de penser à chaque aspect en détail comme elle le fait, bien que ça m'aiderait.
– Attends stop, me coupe encore Didi. T'es complètement crispée, ça va pas du tout.
– Pardon, je sais que t'essaies de m'aider mais tu me stresses, je lui dis.
En faisant de mon mieux pour ne pas regarder son expression, je marque une micro pause pour reprendre mon souffle et me lance.
– Est-ce que je peux juste prendre la demi-heure qu'il me reste pour décompresser ? je lui demande. Je t'assure que ça m'aidera. Et puis tu devrais dormir, il est tard.
Didi me considère pendant quelques secondes, impassible, avant d'enchaîner :
– Je fermerai l'œil quand ça sera fini, même si je dois faire nuit blanche, commence-t-elle avant de marquer une pause. Mais je peux te laisser si tu préfères, me propose-t-elle à mi-voix, les yeux baissés.
– Non, non tu peux rester. Est-ce qu'on peux juste parler d'autre chose, genre comment ça avance tes préparations pour le concours ?
Didi fait un effort et tente de me faire rattraper ses dernières aventures, tout en me demandant de temps à autre si je connais bien mon texte et ai mémorisé ma mise en scène sans plus insister.
Je lui assure que oui et la remercie d'avoir tenté de me changer les idées. Ça m'avait manqué de lui parler, mais l'horloge tourne et je passe bientôt. Dix petites minutes avant, je prétexte devoir passer aux toilettes pour en réalité aller trouver Dylan et Cass à qui je n'ai pas pu souhaiter bonne chance.
Eux ne manquent pas de le faire pour moi. Après leurs encouragements plus qu'enthousiastes, je les interroge sur leurs passages respectifs qui selon eux étaient parfaits. Rien que cette nouvelle suffit à me redonner toute l'énergie dont j'ai besoin.
***
J'ai les meilleurs amis du monde. Même si les projecteurs m'éblouissent et que je suis incapable de discerner les trois quarts de la salle, je parviens à voir la petite lampe de Cassandre qui me prouve qu'ils ont là.
Alors, ils ont vraiment réussis. Ces deux génies du crime se sont faufilés au fond de la salle sans se faire repérer. Deux professionnels. Du moins, en admettant que l'un d'entre eux ne parte pas en fou rire juste en regardant l'autre, ce qui arrive très souvent.
Quand à moi, je me sens un peu moins seule. Les savoir tout près m'aide énormément. J'analyse brièvement la composition de la scène, prête à improviser avec les objets mis à disposition et réajuste ma posture comme Didi me l'a conseillé. Au moins, ça je peux faire avant que le stress ne reprenne le dessus et me fasse oublier tous ses précieux conseils.
Je ne suis pas la meilleure des actrices mais je pense avoir géré la première partie monologue. Ce n'est pas faute de me parler toute seule à longueur de journée. Comme quoi ça me sert, après tout.
J'enchaîne ensuite sur la chanson fard du film Raiponce. C'est vraiment un coup du destin qu'on soit tombé sur ça. Depuis toutes petites, c'est notre Disney préféré, à ma sœur et moi. Entre ça et Mary Poppins, je ne me suis pas faite prier pour choisir. Il n'y avait aucun débat possible. J'irai même jusqu'à dire que ça me plaît, d'auditionner pour le premier rôle.
Avec les objets présents sur scène, j'improvise facilement une mini choré en utilisant presque tout, comme passer la brosse dans mes longs cheveux que j'ai lissés pour l'occasion avant que la musique ne commence, assise dans mon coin, l'air dans une bulle. Plutôt facile avec cette chanson. Il me suffit littéralement de me mettre dans ma propre peau.
De temps à autre, je plante mon regard dans celui des professeurs pour leur faire parvenir chacun de mes mots et les sentiments qui me traversent. Je me surprends à faire tout ça spontanément, sans vraiment y penser. C'est que j'aime vraiment cette chanson et ce film. Beaucoup beaucoup.
Lorsque j'ai enfin fini, tout retombe. Je réunis tout ce que j'ai en moi pour ne pas baisser la tête en quittant la scène.
Une fois dans les loges, je sais que j'ai réussi rien qu'au regard glacial de Camille qui est beaucoup moins assurée qu'avant mon passage.
Deux minutes plus tard, mes amis me rejoignent enfin. Miraculeusement, ils ne se sont pas fait prendre et me sautent dans les bras. Enfin, Dylan nous enveloppe plutôt toutes les deux jusqu'à ce qu'on étouffe.
On prend un petit moment pour tout se raconter et baisser notre niveau d'euphorie avant qu'on ne nous remarque, puis j'envoie un message pour tenir ma sœur au courant tout en m'excusant de ne pas pouvoir la rappeler pour le moment. J'espère qu'elle ne le prendra pas mal. Peut-être qu'elle s'est déjà endormie, même si ça m'étonnerait.
Quand mes amis me laissent enfin respirer, je me hâte de répondre à Thomas qui n'a cessé de m'envoyer des messages, du moins jusqu'au cours de Bernaud, qui a dû lui prendre son téléphone. Je lui avais pourtant dit que c'était une mauvaise idée.
– À qui tu parles ? me lance Cassandre sur un ton enfantin qui connaît déjà la réponse.
– Un idiot qui a dû se faire massacrer par Bernaud pour avoir utilisé son téléphone.
– OOOOOOOH. Mais je meurs, c'est trop mignon. Il s'est sacrifié pour toiii.
Je lève les yeux au ciel. Maintenant, je vais l'avoir sur le dos pendant des heures et j'ai bien peur de finir par me trahir.
Cass ne sait rien de tout ce qu'il s'est passé la plupart de la semaine dernière. Elle n'a que les faits (« Ava a été chez Thomas », « Ils sont sortis là, à telle heure... »), et son imagination débordante comme indice.
Ce dont elle n'a pas connaissance, c'est tout ce qu'il se passe dans mon esprit. Ce que l'on a pu se dire et... tout le reste. Et ça la fait bouillonner de ne pas savoir où j'en suis.
On est deux, chère amie.
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Dans l'ombre des étoiles
RomanceAva a toujours vécue dans l'ombre de sa sœur jumelle. Alors quand celle-ci est sélectionnée pour un concours mondial de chant et s'envole pour les Etats-Unis, son monde s'écroule. Livrée à elle même, elle va devoir faire face à sa dernière année de...