Dans l'ombre des étoiles

Chapitre 35

   C'est un cours de chant ou de la torture ? Je me pose vraiment la question. Depuis quand on reste dix minutes en position gainage comme ça ? Mis à part Dylan, toute la classe est au bord de la mort si ce n'est pas déjà parti dans l'au-delà à l'heure qu'il est.

   Pourtant, en temps normal, je suis très endurante, même si j'en ai pas l'air mais là n'est pas la source du problème. Le truc, c'est qu'il est presque 19 heures, que les deux heures d'avant étaient de la danse, suivie de renforcement musculaire et que visiblement ça continue. Je crois qu'ils se sont tous mis d'accord pour nous achever. Ils se vengent de notre jour férié. Ça ne leur suffit pas de nous le faire rattraper aujourd'hui et ce week-end apparemment.

   Je jette un coup d'œil à Cassandre qui tente en vain de tricher en laissant tomber son bassin au sol lorsque la prof ne regarde pas, même si finalement ça la fatigue encore plus de devoir se relever en un éclair.

   Ses joues sont rouges d'efforts et son corps tremble. C'est inhumain à ce stade. La prof dit que c'est bon pour le chant et notre endurance face à la tournée de fin d'année qui nous attend, certes. Sauf qu'on a le temps, elle pourrait y aller progressivement. Tout ce qu'il va se passer est qu'on va venir en fauteuil roulant pour les cours de samedi.

   Même demain en fait. Comment je suis censée sortir si mes muscles sont complètement tétanisés ? Je vais mourir. Mon corps est en flammes.

– Repos, annonce enfin notre bourreau.

   Nos corps meurtris s'écrasent simultanément au sol dans un bruit sourd. À ce stade, on en a plus rien à faire de notre apparence. Aucun de nous ne se relève, on se contente de contempler l'au-delà.

– Sauf Ava et Dylan, enchaîne-t-elle. Reprenez place et faites votre duo.

   PARDON ? Ça y est, je regrette amèrement d'avoir obtenu le rôle.

   Mon dieu pourquoi il a fallu que notre vieux prof parte à la retraite ? J'en viens à le regretter. Pardon de m'être plainte de lui.

   Cass me lance un coup d'œil compatissant alors que Camille pouffe avec le peu de forces qu'il lui reste. Je me mords l'intérieur de la joue. Si j'avais encore un peu de vie en moi, je me ferais un plaisir de commenter son allure pour la piquer là où il faut. J'ai hâte qu'elle se voie dans un miroir pour constater l'étendue des dégâts sur son visage. Il faut penser à investir dans du maquillage waterproof, madame.

   Adieu le monde. De nouveau en position gainage, les notes de la chanson parviennent à peine à sortir dans un affreux grésillement, conséquence de mes muscles tétanisés. Dylan lui-même, avec des années de musculation derrière lui, est à bout aussi, à tel point que la prof finit par avoir pitié de nos pauvres corps et âmes.

– Ça ira, relevez-vous.

   Facile à dire, sans mes deux amis pour m'aider à atterrir sur mes jambes, je serais encore au sol. Par pitié Didi, dépêche-toi de revenir que je trouve une excuse pour ne pas participer et évite ce calvaire.

   À la demande de la prof qui n'en a pas fini avec nos ossements, on se met ensuite en ligne. Allez, plus que dix minutes, ça va le faire. Je suis censée voir Thomas demain, il faut que je m'accroche à la vie. L'attente a été bien trop longue. Depuis la soirée, je bouillonne. En fin de compte, c'est moi que j'ai punie avec mon petit jeu. Bien que j'essaie de ne pas le lui faire comprendre. Je tiens à ma fausse victoire.

   À bout de souffle, nous entamons les chansons groupées, droits comme des piquets. Aucun d'entre nous n'a envie de recommencer la torture parce qu'on a une mauvaise position. Pieds bien ancrés au sol, restes d'abdos contractés, tête bien droite. Ce n'est pas pour autant qu'on va faire le début de mise en scène qu'on a appris avec.

   Je pense que madame Duprès n'est pas au courant qu'on a commencé à la travailler avec le prof de danse plus tôt dans la journée, et tant mieux. On n'y aurait pas survécu. De plus, il faut encore que je marche jusqu'à chez moi.

   Appelez les pompiers.

   Personne n'a la force de courir à la sonnerie. On se contente de se traîner dans les couloirs en créant un bouchon avec les autres classes qui, elles, s'en sont sorties intactes. Du moins, celles qui sont encore là, parce qu'il est quand même 19 heures. Ça devrait être interdit de finir si tard.

   Je regrette de ne pas avoir saboté l'audition pour me retrouver dans un autre niveau, moins surchargé. Mais dans tous les cas, ma mère m'aurait rajouté des heures. Et on s'étonne que j'aie du mal à faire dans le social ? Pas étonnant en étant enfermée en continu comme ça. Contrairement à ma sœur qui n'est pas humaine, je ne peux pas tout gérer, j'aimerais qu'elle le comprenne.

   J'enfile avec difficulté mon blouson. J'ai déjà des courbatures, qu'est-ce que ça va être demain ? Chaque geste me déchire un peu plus les muscles. Même taper sur le clavier de mon téléphone, c'est pour dire.

Messages

Aujourd'hui

19:07

Moi:

J'ai quitté ce monde.

C'était un plaisir de t'avoir rencontré.

19:07

Thomas :

Où es-tu, le paradis ou l'enfer ?

19:08

Moi :

L'enfer.

Tu comptes me rejoindre ?

19:08

Thomas :

Je te suivrais partout où tu iras, sur la terre comme au ciel et au-delà

19:08

Moi :

Alors le paradis

L'enfer ne saurait tenir sa réputation en ta présence

19:10

Thomas :

Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait d'Ava-Rose ?

19:10

Moi :

Ava-Rose n'est plus. Elle a rencontré quelqu'un

19:10

Thomas :

Oh et à qui ai-je affaire désormais ?

19:10

Moi :

Tu le découvriras demain :)

   Mes mains sont gelées. Mon corps ne souffre pas déjà assez apparemment. Il n'y a qu'une petite brise mais elle est glaciale. C'est de pire en pire depuis que la nuit tombe plus tôt. On se croirait déjà en hiver, c'est horrible. Je range mon téléphone et enfile mes gants, toute tremblante.

   Ça ne va pas lui faire de mal de rester sur cette note. D'ailleurs, je ne lui répondrai que demain matin. Même si je le voulais, je suis beaucoup trop épuisée, je compte dormir tôt. Mon lit m'appelle.

   On n'est plus à un jour près de toute façon, autant faire durer la torture. Si je dois prendre mon mal en patience, alors lui aussi.