Chapitre 22

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   Thomas ne me laisse pas le temps de rentrer chez moi. Il m'embarque malgré mes protestations, certainement par peur que je prenne la fuite. Pour une fois, ce n'est pas dans mes intentions.

   Pour la première fois, la journée du vendredi s'est écoulée bien trop lentement pour moi. Après tout, c'est toujours l'inverse de ce que l'on veut, rien de surprenant.

   J'ai plus que jamais besoin de me changer les idées. Ma mère n'a cessé de me bombarder de messages rappelant l'importance de la situation. J'aime mes amis de tout mon cœur, mais eux aussi n'ont fait que parler des auditions pour la représentation annuelle la plupart de la journée, sans savoir à quel point ça m'affectait. Seul Thomas, complètement à la ramasse, m'a permis de tenir.

   Quand est-ce que j'ai basculé du « je veux à tout prix m'en débarrasser » au « je ne peux plus me passer de lui » ? La vie est quand même une garce quand elle veut. Bien que cette fois, elle semble plutôt m'avoir fait un cadeau. Du jour au lendemain, il arrive que les gens vous surprennent et que vous oubliez comment vous parveniez à vivre sans eux. C'est quand même dingue.

   Je presse le pas aussi vite que possible. À la fois par crainte que ma mère ne découvre mon mensonge en me voyant par hasard au côté de Thomas, main dans la main, mais surtout par impatience.

   Ce n'est que la deuxième fois que je viens chez lui, or je me sens presque comme chez moi. Je trouve naturellement ma place à ses côtés, adossée à la tête de lit, prise par une décharge électrique par tant de proximité. Son bras touche presque le mien qui frisonne déjà. C'est incroyable comme, à ses côtés, tout peux disparaître.

   Rien n'a changé depuis mercredi. Soit il a encore rangé, soit j'avais complètement tort et Thomas est un mec sans le moindre défaut. J'opte pour la première théorie. Son ego est déjà bien assez grand comme ça. Lui faire le moindre compliment pourrait me faire perdre un peu plus notre petite guerre. Donc, je ne dis rien, me contentant de m'imprégner du moment, dans le silence.

   C'est trop beau pour être vrai, non ? Évidemment. Mon téléphone s'affole et Thomas le fixe en attendant que je réponde. Je suis certaine que ça doit encore être ma mère, mais au cas où je regarde. C'est de cette façon qu'on finit par louper les urgences.

   Bingo. Une dizaine de messages d'elle et un « je te couvre » de Dylan. Malheureusement, il n'est pas capable de couvrir la boule qui se reforme dans ma gorge au douloureux rappel que me fait ma mère. Mon expression se déforme sans que je ne puisse le contrôler, je regarde immédiatement Thomas qui a tout vu.

   Impossible pour moi de former un sourire. Son expression concernée me déchire. Je sens mes lèvres trembler, ma gorge se serrer. Et, sans que je n'aie le temps de réprimer mes larmes, Thomas rompt le peu d'espace qui nous sépare et m'enveloppe de ses bras.

   Bien sûr qu'il savait déjà que ça n'allais pas. Entre mes sanglots qui déferlent sur son épaule, toute la journée repasse dans ma tête. Les petites attentions, les sourires, les messages... il a veillé sur moi sans que je ne m'en rende compte, comme il le fait toujours ces derniers temps.

   Je resserre mon étreinte, prête à lui casser les côtes, mais ça lui est égal. Son corps se rapproche davantage jusqu'à ce qu'il m'enveloppe complètement, devenant ainsi le seul obstacle entre moi et le gouffre. Il est la gravité qui me maintient fermement au sol. Sa main, une douce brise qui caresse mes cheveux. Son souffle, une mélodie qui me calme peu à peu.

   Et lorsque je parviens à me calmer, il ne me demande pas de lui expliquer bien que tout son être m'invite à le faire. Et de manière incontrôlable, tout finit par sortir. Chose que je regrette presque immédiatement. Il va certainement me dissuader de le faire. Parce que c'est pour ma sœur et non pour moi.

   Quelques minutes s'écoulent et étrangement, il ne dit rien. Son pouce continue de caresser tendrement le dos de ma main. J'ai de nouveau envie de pleurer. Il est... wow, qu'est-ce qui m'arrive ? Je me sens vraiment bizarre, presque... flottante ?

– Très bien, me dit finalement Thomas. Qu'est-ce que tu veux regarder ?

   Pour le coup, c'est lui que je regarde, dans l'incompréhension.

– Ava-Rose, tu as réellement pensé que tu allais y échapper ?

– Je te suis pas.

– Tu as refusé le cinéma sans raison valable, alors j'amène le cinéma à nous.

   Il allume un mini vidéo projecteur que j'avais à peine remarqué et met en marche Netflix.

– Et comme je suis un gentleman, je te laisse choisir ce qu'on va regarder, continue-t-il en me tendant la télécommande.

   Le voilà, mon premier sourire de la journée. Mes joues brûlent encore plus qu'au contact de mes larmes. J'agrippe la télécommande sans le combattre, en espérant qu'il n'ait pas remarqué.

   C'est bien de croire en ses rêves, Ava.

   Je mets un moment à trouver quoi regarder, sous le regard patient de Thomas. Au dernier moment, je bascule sur Disney+. J'aimerais pouvoir prendre en photo son expression lorsque je clique enfin sur play. Ça mérite vraiment d'être immortalisé, je suis à deux doigts d'exposer de rire.

– Non, tu ne m'as pas fait ça ! me lance-t-il en agrippant la télécommande pour vérifier qu'il n'a pas halluciné.

– Oh que si et j'attends de toi que tu apprenne toutes les chansons par cœur.

– Parce qu'en plus tu l'as déjà vu ! se désespère-t-il.

   Toi aussi, visiblement. Mais qui ne connaît pas les High School Musical ?

– Juste quelques fois, je lui lâche innocemment.

– Quelques fois ? répète-t-il à court de mots.

– 7 ?

   Ses yeux vont sortir de sa tête, ça y est, je ne peux plus me retenir. Ravie de mon coup, je l'achève en commençant à lui chanter Start of Something New.

– Ava, ta voix c'est littéralement du miel pour les oreilles, mais par pitié épargne-moi ! me supplie maintenant Thomas.

– D'accord, j'arrête si tu me promets de faire un duo avec moi sur cette chanson.

– Ah non, c'est au-delà de mes limites.

– Dommage !

   Je continue donc mon chant, ainsi que tous les suivants lorsqu'ils passent dans le film.

   Finalement, Thomas finit par se prendre au jeu, ravi que je lui fasse un concert, bien qu'il ne le dise pas.

– Bon, je veux bien lancer le deux, à condition que tu reposes ta voix, m'implore-t-il, conscient que je commence à fatiguer.

– D'accord, je concède en me calant contre lui.

   Thomas repose délicatement sa tête sur la mienne et mes muscles se relâchent. Sa main retrouve sa place dans mes cheveux. Je ne me suis jamais sentie aussi bien, comme si plus rien ne pouvait m'atteindre ici, dans cette bulle. Ainsi, nous entamons le deux, puis le trois.

   Après ça ? Aucune idée.

Dans l'ombre des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant