Un village dans les arbres

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— C'est un long et périlleux voyage que vous avez entrepris, dit Elemír, l'Elfe qui avait accueilli les trois compagnons.

Aragorn hocha la tête.

— Merci de nous recevoir en votre demeure, murmura-t-il.

Elemír, qui portait une simple tunique verte dont les motifs rappelaient les feuilles des arbres, sourit.

— Vous pourrez trouver ici le repos, et l'oubli de ce qui vous afflige.

— Le repos, certainement, mais je crains que nous n'oubliions nos malheurs que lorsque nous aurons atteint la Doriath et trouvé le peuple guérisseur, souffla Aragorn.

Elemír inclina la tête et salua les trois amis avant de s'avancer vers la porte.

— Je vous laisse vous reposer, annonça-t-il. Nous vous porterons de quoi vous sustenter un peu plus tard.

Aragorn le remercia et Gimli, qui n'avait dit mot durant toute la conversation, se tourna vers Aragorn.

— Ces Elfes sont bien aimables de nous aider ainsi.

Il parcourut l'intérieur de la cabane qu'on leur avait attribuée pour la nuit. Constituée d'une seule pièce, elle était faite d'un bois clair qui dégageait une odeur agréable. Une fenêtre offrait à ceux qui résidaient dans l'habitation une vue prenante sur la cime des arbres, qui étaient à présent baignés de la lumière orange du soleil couchant. Des tapis avaient été installés contre l'un des murs pour permettre aux trois compagnons de se reposer sans avoir à se coucher sur le sol dur du bois. Legolas était étendu sur l'un d'entre eux, une main posée sur son ventre.

Aragorn s'appuya contre le mur, perdu dans ses pensées. La weasse qu'il administrait régulièrement à l'Elfe semblait perdre peu à peu son effet, et le poison des Nazgûl gagnait chaque jour du terrain.

Dehors, un léger vent se leva et se mit à bruire dans le feuillage de la forêt. Quelques nuages traversaient paresseusement le ciel nocturne, portés par le vent, masquant par moment les étoiles. L'ombre des Montagnes Bleues se profilait derrière les bois, se dressant au-dessus du Beleriand, froide et menaçante.

Des pas retentirent à l'extérieur et un Elfe qui portait une tenue blanche apparut, un plateau de fruits à la main.

— De quoi régénérer vos forces, sire, dit l'Elfe en s'inclinant.

Aragorn lui prit le plateau et le remercia d'un signe de tête. L'Elfe s'inclina de nouveau puis ressortit sans bruit.

Aragorn tendit un fruit à Gimli, qui le prit d'un air hésitant, puis s'approcha de la paillasse de Legolas. Alors qu'il hésitait à le réveiller pour lui proposer de manger, l'Elfe battit des paupières et ouvrit les yeux. Il regarda autour de lui, l'air perdu durant quelques instants.

— Tenez, murmura Aragorn en lui tendant une pomme. Manger vous fera du bien.

Legolas se redressa en grimaçant de douleur. Il tendit le bras pour prendre le fruit à Aragorn, le remerciant d'un regard. Le Rôdeur se releva et alla s'adosser à la fenêtre pour manger sa propre pitance.

Tout en mangeant, il scruta l'obscurité. La lune, presque pleine, éclairait les lieux d'une lueur fantomatique. Il entendait au loin des rires et des chants et put deviner que les Elfes avaient dû organiser une fête. Il repensa à la chanson que Legolas leur avait chantée alors qu'ils arrivaient en Lórien, de nombreux mois plus tôt, et il se surprit à en murmurer les paroles pour lui-même ;


Une jeune Elfe était jadis,

Une étoile en journée.

Son manteau blanc comme le lys,

De gris argent chaussée.


— C'est une très belle chanson, souffla Legolas.

Aragorn se retourna. L'Elfe s'était approché de la fenêtre et observait la forêt d'un air fatigué.

— Ceux de mon peuple aiment la chanter en se souvenant de l'arc-en-ciel des chutes de la Nimrodel et des fleurs d'or flottant sur son écume.

— En effet, approuva Aragorn. Cette chanson est magnifique.

Il s'écarta un peu pour laisser à Legolas la place de s'appuyer contre la rembarre de la fenêtre. L'Elfe le remercia d'un signe de tête et se plaça à côté de son ami. Ils ne dirent rien durant plusieurs minutes, puis Legolas brisa le silence qui s'était installé.

— Ce sera bientôt fini, déclara-t-il doucement.

Aragorn tourna son visage vers le sien. Legolas contemplait la nuit, et son visage avait l'air... serein.

— Le poison des Nazgûl a atteint mon cœur, continua-t-il. Je le sens. Bientôt, il cessera de battre (Legolas se tourna vers Aragorn et plongea son regard dans le sien.). Et alors, je mourrai.

Le Rôdeur ferma les yeux.

— La Doriath est proche, dit-il. Le peuple guérisseur pourra vous soigner.

Legolas ne répondit pas, et Aragorn sentit sa gorge se serrer. Il semblait s'être résigné à mourir.

Gimli, qui était resté silencieux, s'approcha d'eux et posa sa main sur l'épaule de Legolas, bien qu'il doive tendre le bras pour l'atteindre. Legolas baissa les yeux vers Gimli et lui sourit faiblement.

— Oreilles Pointues, lui dit le Nain d'un air sérieux. Tu ne vas pas mourir. Ton heure n'est pas venue.

Aragorn sourit et Legolas rit doucement.

— Dormons, dit Aragorn. Demain, nous partirons tôt afin d'arriver en Doriath le plus rapidement possible.

Gimli et Legolas acquiescèrent et s'étendirent sur leur paillasse pour s'endormir presque aussitôt.



Elemír s'inclina.

— Que les étoiles illuminent votre chemin, et puissiez-vous parvenir sains et saufs à votre but, dit-il.

— Merci pour votre hospitalité, fit Aragorn en s'inclinant à son tour.

— Ce fut avec plaisir. (Le visage de l'Elfe se fit soudain plus sérieux.) Prenez garde, prévint-il d'une voix grave. Des Wargs rôdent dans la région, désormais sans maitres pour les contrôler. Ce sont de dangereuses créatures.

Le visage d'Aragorn s'assombrit. Il avait déjà eu affaire à ces bêtes, notamment lorsqu'ils s'étaient rendus au Gouffre de Helm. Il se raidit en repensant à sa chute avec le Warg dans la rivière.

— Nous serons prudents, murmura-t-il en enfourchant Hasufel.

Il salua une dernière fois Elemír puis talonna Hasufel.

— Des Wargs, murmura Legolas. Cet avertissement résonne sinistrement dans mon esprit.

— Dans le mien aussi, dit Aragorn. Nous n'avons plus qu'à espérer que la fin de notre voyage se déroule sans encombres. 

Il aurait suffi d'une flècheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant