L'effet miroir

Chapitre 22 - Ezio

J'ajuste la chaîne en or autour de mon cou et déboutonne quelques boutons de ma chemise noire. Je n'aime pas la jouer richard mafieux mais c'est le moment de se prendre pour ce que je suis, finalement. Alex entre dans la chambre sans frapper pour me prévenir que Noah est près. Il n'était pas dans l'équation mais il tombe à pique pour le coup.
— Pas trop stressé ?
— Je suis plus que prêt, tu le sais.
— Écoute, Ez... mon petit frère s'arrête et passe son pouce et son index sur ses sourcils en signe d'apaisement.
— Crache le morceau, Alex.
— Je veux venir et...
— Hors de question, c'est non négociable. Je ne te mêle pas à mes histoires, le coupé-je dans son élan.
— Laisse-moi finir ! Je viens et c'est ça qui est non-négociable.
Pour la première fois, mon frère me tient tête avec une hargne qui ne lui ressemble pas. Enfin, ce n'est pas la première fois finalement et l'arrivée de Rachelle doit augmenter sa testostérone car il le fait davantage depuis qu'elle est avec nous.
— Alex, on en a déjà...
— Justement ! Tu m'as sauvé et je t'ai sauvé, je t'ai vu te battre contre tes démons, chercher à venger ta petite soeur et défendre les gens pour qui tu rends justice. Je sais que tu ne veux pas m'en mêler mais tu le fais depuis longtemps, alors je veux vous aider à atteindre ton but, Ez !
— Je ne te mêle pas à ça Alex, cesse de te comporter comme un enfant.
Je le dépasse et sors de la chambre mais à peine ai-je mis un pieds dans le couloir qu'il me percute de ses mots :
— Tu mêles des inconnus à l'histoire la plus importante de ta vie mais pas la deuxième personne la plus importante de ta vie ?
Je m'arrête et me tourne pour l'observer. Il est rare qu'Alex s'énerve mais lorsque c'est le cas, il ressemble étrangement à une incarnation de moi à la peau noire.
— Tu es la première personne la plus importante de ma vie.
— Parce que tu as arrêté de croire que ta soeur était encore en vie... mais pas moi, Ez. Et je veux t'aider à la retrouver, la rencontrer et former une famille tous les trois.
Je ravale ma salive avec peine. Elle est morte. Ma princesse est morte, je l'ai vu. Ses poings fermés le long de son corps m'indique son mécontentement mais ce qui me fait craquer sont les larmes qui ruissellent sur ses joues comme des perles. Les mêmes que le jour où je l'ai trouvé, où il m'a sauvé.
— Je te préviens, si il t'arrive quoique ce soit je te tue de mes mains.
Alex saute de joie comme un enfant et se rue vers moi pour me presser contre son coeur.
— Si je meurs, tu ne pourras pas me tuer ! déclare-t-il avec sarcasme.
— Meurs et je te tue une seconde fois.
Il éclate de rire et se presse dans sa chambre pour se changer. Je descends les escaliers pour boire un verre d'alcool et me fumer un joint, je vais avoir besoin de contenance. Noah me rejoint en bas, je le trouve étrangement calme pour quelqu'un qui vient d'apprendre l'existence d'un monde qui n'est pas le sien dans lequel il va participer à un meurtre... Alex nous rejoint quelques instants plus tard, il sent le parfum pour homme à mille kilomètres et je ne peux m'empêcher de grimacer. Si je le sens à ce point, Rachelle va nous faire une crise d'asthme, à coup sûr !
— On va aller à deux voitures, ordonné-je.
— Mais, pour...
La question de mon frère est interrompue par l'arrivée de Rachelle qui nous laisse la bouche grande ouverte tous les trois.
— Bordel de merde, Rachelle tu es incroyable, prononce Noah que je fusille du regard.
Putain, si elle ne m'en aurait pas voulu toute ma vie, j'aurais buté ce mec en le jetant dans le ravin avec une violence inouïe.
La jeune femme descend les escaliers avec prudence, je remarque qu'elle n'est pas très alaise dans ses talons et je me retiens de rire. Elle porte une robe de satin rouge, qui met parfaitement ses courbes en valeur et dévoile son décolleté sur lequel on voit le bord de son body. La même dentelle qui m'a fait bander comme un porc lors des essayages...
Elle a lâché ses cheveux de façon naturellement bouclée et a rehaussé son regard d'un fard noir ce qui change de son trait d'eye-liner qu'elle fait habituellement. Elle nous toise du regard de façon interrogatrice. Comment une fille aussi incroyable peut-être aussi peu confiante ?
— Tu es superbe, la rassure Alex et même si elle ne me regarde pas vraiment, je décide d'ajouter :
— Tu es époustouflante, ma douce.
Elle rougit et ne nous répond pas, se contentant de regarder ses pieds et de trifouiller son petit sac à main noir. Je reprends le contrôle de mes pensées et me tourne vers mon équipe de bras cassés.
— Alex et Noah, vous démarrez tout de suite. Nous serons-là 5 minutes plus tard, faites-vous passer pour un couple et ayez l'air intéressé par les jeunes hommes présents. Le premier qui fait foirer le plan, je le bute.
Alex approuve et Noah ravale sa dignité, qu'il se fourre le plus loin possible. Je me tourne vers Rachelle qui me contemple avec des yeux ronds comme des billes.
— Nous deux, ma douce, nous arriverons après car je dois te présenter à l'organisateur.
Je marque une pause pour m'adresser à l'ensemble du groupe.
— Cette soirée est un rassemblement de dirigeants d'un réseau de trafics d'humains. Il y aura des nouveaux membres, inconnus des autres et venus tâter le terrain. C'est pour ces nouveaux-là que nous nous faisons passer.
Je m'avance vers le garage pour leur indiquer qu'on démarre, ce qu'ils font sans rechigner.
— N'oubliez pas, vous voulez de la chaire fraîche pour vider vos couilles et celles des gens à qui vous les louerez donc ayez l'air intéressés. Uniquement par les jeunes hommes, compris ?
Les deux garçons approuvent, je donne l'adresse à mon frère et il part avec mon Audi R8 noire sans se retourner. Je sais que ce moment lui tient tout autant à coeur que moi et je sais qu'il empêchera Noah de tout faire foirer. Le fait qu'ils soient là me rassure, un couple d'homosexuel dans ce genre de lieu attirera plus le regard qu'un petit nouveau qui met sa copine en location.
Rachelle entre dans le véhicule et commence à triturer les peaux de ses doigts manucurés.
— Arrête, tu vas foutre en l'air ta préparation, la rappelé-je à l'ordre.
— Tu...tu as parlé d'un bar à strip tease et maintenant d'un rassemblement de trafic d'humain, à quoi je vais servir ?
Je fais vrombir le moteur de la Mustang dans laquelle nous sommes pour gagner quelques secondes. Je ne peux pas lui dire les choses de façon trop directe ou elle risque de me faire une crise d'angoisse et de tout faire foirer. Je décide donc de lui dire la vérité, mais depuis le début. La vérité. Juste la vérité. Oui, ça, c'est bien.
T'espère adoucir l'ordure que tu es à ses yeux, pas vrai ?me provoque ma voix intérieure.
— Ma mère était la dirigeante d'un des groupes mafieux le plus important de la région. Il y a quelques années, le chef d'un groupe avec qui on avait eu des soucis a kidnappé ma petite soeur et l'a... enfin, bref il s'en est prit à elle devant nous. Ma mère n'a pas supporté le choc et a fini par se suicider presque 6 ans après. Je me suis promis de les venger et de venger toutes les victimes de ce réseau. Aujourd'hui, Rachelle, c'est l'une des plus grandes expositions de ce monde-là et on y va pour récolter des informations sur ce putain de chef qui a détruit ma famille et buter son associé, dans l'espoir de faire sortir ce fils de pute de sa cachette.
Elle encaisse le coup sans émotions, ce qui m'étonne un peu. Je m'attendais à des stupéfactions ou un refus catégorique de participer à ce plan mais la seule chose qui a changé est son regard maintenant planté sur le macadam qui défile devant nous et son menton largement relevé.
— Je vais servir d'appât, c'est ça ?
— Oui. Certains sont là pour louer, d'autres pour mettre en location et certains encore pour acheter ou vendre. Des femmes, des enfants, des jeunes hommes... personne n'est épargné dans ce genre de lieu et tu es parfaitement le style des victimes de son putain de trafic. Je suis convaincu que tu les feras réagir et ça me permettra de reconnaître son putain d'associé.
— Tu ne sais pas qui c'est ?
— Non, on a aucune informations sur eux... ni physique, ni nom, rien. Ces fils de pute sont malins.
C'est plus fort que moi mais je rigole légèrement. Ils sont malins, c'est vrai mais à force de patience je les tiens presque au creux de ma main et le plaisir que cela m'apporte est jouissif. J'en mouillerais presque mon froc.
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse, concrètement, Ezio ?
Son timbre de voix manque de me faire vaciller, elle respire la confiance et le sous-entendu. Ces quelques jours, j'ai cru qu'elle était une pauvre chose brisée qui jouait le rôle d'une femme forte par moment pour survivre mais je prends conscience que ce n'est pas le cas. Elle est une femme forte qui se pense brisée et qui joue à la femme faible.
— Je veux que tu te pavane sur la scène, que tu les provoques. Autrement dit, que tu joues le rôle de la plus grosse salope mais je veux que tu restes méfiante et enfantine en même temps, comme tu l'es dans la vraie vie. Je veux que tu sois toi-même, Rachelle mais avec une confiance démesurée en la personne que tu es.
— Et quand est-ce que j'arrête ?
— Tu repéreras le fils de pute qui te convoite, je veux que tu joues de lui jusqu'à ce qu'il vienne près de moi pour te louer. A ce moment-là, je te demanderai de me rejoindre pour négocier le contrat avec lui. Je t'emmènerai jusqu'à une chambre où il est censé te... tester et à partir de là, je le buterai.
Oui, je vais utiliser cette fille comme un morceau de viande face à un loup. Un putain de loup affamé.
— Comment tu sais que ce sera lui ?
— Parce que leur réseau est connu pour offrir de la chaire fraiche, qu'on ne trouve nul part ailleurs et... permets moi de le dire, des femmes comme toi, on en croise pas à tous les coins de rue. Tes airs et ton visage d'enfant associés à tes formes et tes tatouages est une denrée rare, tu verras.
— Et pourquoi je n'intéresserai que lui ? chuchote-t-elle.
— Oh Rachelle, tu vas les intéresser tous... ils vont vouloir t'acheter, pas juste te louer mais il est la plus grosse tête de la région, les autres le laisseront prendre la première place et se contenteront de venir te tester s'il arrive à t'acheter.
Elle hoche la tête d'un air entendu et pour la première fois son visage est impassible. Je n'arrive pas à décrypter le fond de sa pensée malgré les brefs coups d'œil que je lui lance entre la route et son joli visage.
— Il ne te touchera pas mais...
— Je ferai ce qu'il faut, Ez. Que ces fils de pute, comme tu dis, paient pour ce qu'ils ont fait.
Son assurance me coupe dans mes paroles réconfortantes. Je n'ai pas besoin de réconforter quelqu'un qui vient de prendre part au même combat que le mien... et à en voir sa détermination, je sais qu'elle sera plus que parfaite pour ce plan.
— Si je n'avais pas été là, tu aurais fait comment  ? me questionne-t-elle.
A cet instant précis, je réalise à quel point mon plan initial était merdique et à quel point elle a surgit au bon moment. Finalement, cet imprévu est tombé à pique...  au mauvais endroit, au bon moment.
— Je comptais jouer le serveur, en espérant repérer quelque chose qui me donnerait un indice sur lui. Je sais que lorsqu'il aperçoit une proie, il claque des doigts et défait sa chemise comme s'il avait chaud. Enfin, c'est ce que la police m'a dit et...
— Attends, la police est de mèche avec toi ?!
J'éclate de rire face à sa réaction. Pourquoi est-elle si étonnée ? Personne n'est indéfiniment honnête.
— Je bute des violeurs, des pédophiles, des gens qui arrachent des organes à des innocents... Je fais le sale boulot et certains flics sont d'accord avec moi. Pas tous, évidemment... Mais il y a des hommes corrompus partout non ? Pas de quoi m'éviter la prison si je me fais arrêter par quelqu'un de haut placé, mais de quoi me fournir quelques informations nécessaires.
Elle hoche la tête, comme si elle comprenait plus que quiconque de ce dont je suis entrain de parler puis elle se met à rire seule. Un rire glaciale, qui me fait presque peur.
— Il n'y a qu'à me voir pour se rendre compte que l'on peut être corrompu pour la bonne cause...
— Entre l'ange et le démon, il n'y a pas grand monde de différence, ma douce. Je te l'ai dis.
J'entre dans l'allée qui mène au bar où nous avons rendez-vous. Dan, mon informateur, m'a filé une entrée ce qui me permet de m'y faufiler sans être repéré. Je suis heureux de voir à quel point le hasard fait bien les choses... Si elle n'étais pas là le jour où j'ai buté Soon, je n'aurais pas changé mon plan et je me serrais probablement fait avoir. Comme aux échecs, il faut placer ses pions mais pouvoir modifier sa stratégie si nécessaire... et bordel, cette stratégie est bien meilleure.
Je sors de la voiture en intimant à Rachelle de faire la même chose puis je donne mes clés au réceptionniste qui la gare à quelques mètres plus loin dans l'herbe. De quoi ne pas salir les chaussures des fils de pute qui financent toute cette merde... j'entre et cherche l'homme en costume rouge, le gérant des lieux,  dont m'a parlé Dan.
— Bonsoir, Ronaldo c'est bien ça ? m'adresse-t-il.
Mon nom d'emprunt m'arrache un sourire en coin, il est bourré de sous-entendu.
— Bonsoir, c'est bien ça. Denis je présume ?
L'homme me toise et me confirme son identité en observant Rachelle du coin de l'oeil. Dan l'a informé de ce que je venais faire, ce sur quoi il a fermé les yeux après une belle somme d'argent versée sur son compte.
Personne n'est incorruptible.
Tous ces hommes pensent être en sécurité alors que d'autres sont là pour les repérer et les buter ou les faire chanter et l'organisateur sait parfaitement qui est qui. Finalement, c'est Denis le plus intelligent...
— J'ai apporté un appât, plaisanté-je tout bas.
— Très bel appât, Ronaldo. Installe-toi, je m'occupe d'elle.
Il empresse Rachelle de le suivre en la tenant par la taille et se dirige vers les loges, la jeune femme se contracte à son contact. Dorénavant, elle est dans un endroit où je n'ai plus de regard et d'emprise sur elle et je ne suis pas sûr que ça me plaise. Au loin, j'aperçois mon frère et Noah qui sont déjà installés.
J'espère qu'il ne lui arrivera rien...