Chapitre 21 - Rachelle

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Ezio roule à une vitesse monstre, bien plus vite que la vitesse autorisée ce qui provoque en moi des nausées plus intenses que lorsque je suis dans une attraction forte.
Sérieusement, je ne comprendrai jamais les gens qui aiment ressentir ça...
Les voitures autour de nous ne forment que des points lumineux que l'on dépasse et j'entends des coups de klaxons qui s'éteignent aussi vite, étouffés par la distance que l'on instaure entre nous presqu'aussi vite.
Tout le monde est silencieux, les jointures blanches d'Ezio qui s'agrippe au volant de toutes ses forces indiquent parfaitement son état d'esprit et même si Noah garde une assurance feinte, je remarque qu'il se gratte derrière la tête à plusieurs reprises. Il n'y a pas que toi qui te chie dessus en ce moment.
Je ressens encore l'angoisse, la honte de mon corps et de la personne que je suis me prendre aux tripes, serrer ma gorge comme un étau et la culpabilité oppresser mon coeur.
La culpabilité d'être celle que je suis, qui n'arrive pas à devenir ce que je voudrais être. Faible, grosse et incapable.
Pourtant, ça n'a pas empêché Ezio de... Fuck, j'ai touché le pénis de mon ravisseur... Et en plus, comme si ça ne suffisait pas à mon désarroi et ma gêne, elle était dure comme de la pierre.
« Rachelle, tu es belle. Tu ne mérites pas de souffrir, tu es une belle personne, en tout point ».
Cette phrase tourne en boucle devant mes yeux, matérialisée comme le bien qu'elle m'a fait.  Il a été si étrange avec moi aujourd'hui, sa façon de s'occuper de moi comme si nous nous connaissions depuis toujours ne me laisse pas indifférente et j'avoue que ce que ça soulève dans le bas de mon ventre ne me plaît pas du tout.
Au fond de moi, je suis convaincue qu'il n'est pas si différent de moi, qu'il n'est pas juste un inconnu dépourvu d'âme.
Ezio augmente la musique, dure et enragée comme son état d'esprit. Les basses à fond, ma cage thoracique pulse aussi fort que la mélodie ce qui accentue mes envies de vomir.
Je dois me rendre à l'évidence... m'empiffrer par contrariété avant de faire du sport et de me faire vomir pour ne pas accumuler les calories est stupide. Totalement con, même. Je suis une pauvre conne, une pauvre fille naïve avec un coeur d'artichaut. Niveau meuf qui aime se foutre dans la merde, qui trouve les mecs toxiques à la pelle et qui fait des conneries, il n'y a pas mieux que moi.
Je gonfle mes poumons avant d'en souffler leur contenu. Bordel, qu'est-ce que la vie était plus simple la semaine dernière.
Le conducteur emprunte un chemin non-éclairé et entame une ascension vertigineuse dans des chemins étroits, jusqu'à ce que la ville en-dessous ne forment plus que des étoiles brillantes sur la terre.
— Bienvenus à la Citadelle, mes jolis ricane-t-il.
Qu'est-ce qu'on vient foutre ici ? Son timbre de voix respire le sadisme, j'en ai la chaire de poule. Mon meilleur ami me zieute brièvement du coin de l'œil et me sert la cuisse d'une main en signe d'apaisement. Je me pose contre lui, la tête dans le creux de son cou en espérant trouver du réconfort.
Noah et moi nous connaissons depuis ce qui me semble une éternité, depuis toujours, même. A l'époque, nous formions un trio avec Aize ma meilleure amie qui était elle-même la fille de la meilleure amie de ma mère. Jusqu'à ce qu'elle décède prématurément vers l'âge de 6 ans. Du haut de mes 7 ans, j'en avais eu le coeur brisé et nous avions fait la promesse du petit doigt avec Noah que nous n'en parlerions qu'une fois par an : le jour de son décès. La plupart des gens diraient que c'est un manque de respect, d'amour, de considération... pour nous, c'est une façon de garder la souffrance sous-jacente et explosant le jour J afin de n'en pas oublier.
Au fond, si on en parle régulièrement, on s'habituera à son manque... alors que si l'on se tait, chaque parole la concernant nous ravivera les maux de notre coeur. C'est une façon parfaitement tordue de ne pas vouloir faire notre deuil et pour une fois, Noah n'a pas été la voix de la sagesse. Au contraire, il en a été l'initiateur.
Ezio freine, laisse les fards allumés et nous intime de descendre du véhicule. Personne ne dit rien, trop impressionné par les variations sonores de sa voix : tranchantes et autoritaires. Nous nous regroupons tous les quatre pour admirer la vue.
— Vous voyez, c'est ici que je viens me calmer quand je suis en colère. Enfin, quand je ne tue pas des gens...
Les yeux de Noah s'arrondissent, il rit jaune ne sachant pas si le jeune homme est sérieux ou s'il tente une blague de mauvais goût.
Je déglutis, j'ai l'impression que le fou furieux prépare quelques choses.
— C'est magnifique, mec répond Noah l'air sincère.
— Oui, comme la fille à qui tu fais des câlins dans la voiture plaisante Alex en essayant de détendre l'atmosphère.
En voyant les poings d'Ezio se serrer davantage, je comprends vite que cela a plutôt fait l'effet inverse. Il a l'air d'un chien enragé à force de remonter les lèvres comme si c'était des babines.
— C'est vrai, Rachelle est incroyable. D'ailleurs, comment vous vous êtes rencontrés tous les deux ? questionne mon frère de coeur.
— Je l'ai kidnappée après avoir tué le mec qui tentait de la violer, souffle Ezio d'une voix rauque et enrayée.
Il sort un joint préalablement roulé de sa poche, qu'il allume pour fumer. Noah rigole, pensant à une énième blague et je suis contente qu'il fasse nuit afin de cacher la couleur blafarde de mon visage.
— Non, sérieusement les gars, comment ? Je veux dire, sans méchanceté hein...
Merde, ce genre de phrase annonce toujours des remarques de merde.
— Elle vient de se séparer de Dylan, elle te rencontre et au bout de deux heures elle est dans ton lit et reste des jours chez toi sans donner signe de vie. Tu dois avoir une queue en or ou un débit de disquettes plus élevé que la norme, poursuit Noah en pensant faire rire le monde, parce qu'elle est plutôt du genre mecs simples et un peu cons sur les bords.
C'est ce que je déteste avec Noah, il déguise ses remarques sous de fausses politesses et amabilités parce qu'il n'a pas le courage de vexer les autres. C'est aussi ce que j'apprécie le plus ou ça aurait fait des lustres qu'il m'aurait dit que j'étais moche et grosse.
— Ouais, ma queue en or ça doit être ça, rétorque Ez en tirant une taffe sur sa drogue.
Alex sauve les meubles comme il peut tandis que je reste muette, j'ai trop peur de faire empirer la situation avec ma répartie à deux balles.
— Mon frère est doué pour tout, pas juste pour la baise. Ça doit être ça !
Les épaules d'Ezio se détendent, je relâche les miennes en remerciant son frère de le connaître à ce point et de savoir le relaxer. Il s'avance vers Noah et passe un bras autour de ses épaules puis jette son cul de joint sur le sol.
— Je commence à bien t'aimer... souffle-t-il lorsqu'il pousse Noah au bord du ravin en le retenant par le col de son pull.
— Et tu sais comment je vais t'aimer davantage, comment tu dis déjà ? Mec ? Quand t'arrêteras de faire le grand dans ma putain de maison et que tu m'humilieras dans un combat de qui à la plus grosse parce que Rachelle est là.
Noah, les pieds sur le bord du sol terreux menace de basculer dans le vide à tout moment. Je m'avance vers Ezio dans l'espoir de le faire lâcher mais Alex me retient prudemment par le bras :
— Ne fais pas ça, il risque de le lâcher par mégarde... il ne lui fera rien, j'en suis sur me chuchote le jeune homme.
Sur ?! Sur que ce fou furieux est une ordure et que j'ai été bête de me laisser adoucir par ses paroles réconfortantes. Je me retire de l'étreinte d'Alex et avance en direction des deux garçons, l'index pointé vers eux.
— Lâche-le, Ezio !
Sa poigne se referme d'autant plus, Noah baragouine des mots incompréhensibles et tente de se retenir à des prises invisibles.
— EZIO TU VAS LE LÂCHER TOUT DE SUITE ! je le supplie et le menace en même temps, désemparée.
— SINON QUOI ?! crache-t-il.
J'analyse la situation. Si Noah tombe, il est foutu malgré la poigne de mon kidnappeur, qui je le sais, est plus puissante qu'il n'y parait. Ses yeux fulminent de rage, il a l'air d'un loup enragé.
Je m'approche du précipice et le menace :
— Sinon, je me jette dans le vide !
Je prie intérieurement pour que cette enflure ait un coeur, le même que celui du mec qui m'a calmée dans la salle de bain ou celui qui m'apporte mes repas dans ma chambre.
— Vas-y, je le pousserai pour te rejoindre et comme cela, il n'y aura plus d'imprévu pour me barrer la route, ricane-t-il.
Je ricane et prend l'air le plus hautain possible, l'air sûre de moi alors que je ne le suis pas du tout.
— Tu crois que je n'ai pas remarqué, ta façon de réagir face à la photo de madame Millers ? La seule femme de ta liste de meurtres... ce n'est pas un hasard si tu ne tues que des hommes et si tu m'as laissée en vie alors que je suis un témoin.
Alex s'étrangle derrière moi, je devine que je touche un point sensible et continue mon discours. Tu ne tues pas les femmes, Ezio. Et si je me jette d'ici, ce seront tes actes qui m'auront tuée. Tu seras le fautif.
Sa mine se décompose et la même lueur que dans le grenier s'allume dans son regard. Il grogne et ramène Noah sur la terre ferme.
— Parfait chérie, en parlant de ça devant Noah tu viens de l'ajouter à la liste des complices du meurtre de demain.
Alex qui fait les cents pas depuis le début de la situation se stoppe net et analyse son frère de la tête aux pieds.
Ezio sort un flingue de l'arrière de son jeans et le pointe vers mon meilleur ami qui arrête de respirer.
— Alors t'as le choix, mec. Je ne tue pas les femmes mais je n'ai aucun scrupule à buter des mecs donc soit tu nous suis sans faire de scène et tu nous aide demain, soit je te bute sur le champs.
Noah me regarde, désemparé et je fuis son regard en sachant pertinemment que je viens de briser sa vie. Sa vie et notre amitié.
— Je...je... je viens, fini-t-il par réussir à prononcer.
Sans un mot nous remontons dans le véhicule en direction de la nouvelle prison de mon meilleur ami. Je n'ai plus l'air d'une princesse retenue par un monstre, j'ai plutôt les allures d'une traîtresse qui mène tout le monde à la potence.

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