L'homme lève un sourcil et affiche un sourire moqueur lorsque je lui pose la question. Je préfère être sûr qu'il s'agit du bon bonhomme et si mes informations sont justes, je connais déjà ses réponses.
— Comme vous le dites, je suis ici pour des filles pas pour des femmes...
La musique est plus douce et les conversations fusent dans la sale en attendant les autres présentations. Luis frotte une tâche imaginaire sur son pantalon de costume noir et laisse planer sa phrase dans l'air, puis, il boit une gorgée d'alcool et reprend ses explications d'un air contrarié :
— Je recherche des jeunes filles qui gardent des traits enfantins, qui seront louées plus cher à nos clients. Moins elles ont confiance en elles, mieux c'est et cette jeune fille est le parfait reflet de ce que je recherche. Un petit oiseau enfermé dans une cage, c'est ce qu'elle est.
J'approuve en buvant une gorgée du rhum qui m'aide à me contenir. Ce putain d'enfoiré parle des personnes vendues comme s'il parlait d'une vente de croquettes pour chien me donne l'envie de lui arracher les entrailles.
— D'habitude, j'achète des enfants et des femmes plus jeunes pour mon patron mais ils ne présentent pas ce genre de marchandise aujourd'hui. Je dois faire avec ce que j'ai sous la main et tu me procures ce que je recherche, même plus.
Je déglutis et reprends la conversation. Relaxe, Ezio. Tu dois l'amadouer...
— Les enfants ne sont pas ma came, Luis, et je ne vends pas. Je loue. Je marque une pause pour m'enfoncer dans le fauteuil l'air arrogant d'où je le toise un sourcil relevé et poursuis. En revanche, j'aime particulièrement les filles serrées et elle en fait partie...
Je tends la main vers Rachelle qui se lève avec son air effarouché sur le visage pour s'asseoir près de moi dans son peignoir qui ne cache pas grand chose. L'homme en face de moi la toise comme un morceau de viande et même si j'ai envie de lui fracasser la gueule, je jubile intérieurement sur l'aboutissement de mon plan.
— Si vous le souhaitez, c'est avec plaisir que je vous laisse tester la marchandise.
J'insiste sur ce dernier mot, un sourire en coin mais c'est une partie de mon âme que je crache en même temps que ces paroles.
— Si gentiment proposé, jeune homme... bien sûr que je vais lui péter son petit cul.
Rachelle hoquette de stupeur et l'homme éclate de rire en tirant les épaules vers l'arrière, la main sur le ventre.
— Tu as vraiment ferré le bon poisson mon grand, tu l'as déjà testée ? J'imagine que oui, sinon tu ne la servirais pas à des mains sales comme ici pas vrai ?
— Discutons des termes du contrat.
— Vous êtes fort autoritaire pour un homme aussi jeune, rétorque Luis avec plus de sérieux.
— Je sais ce que je veux dans la vie, et ce soir c'est votre argent.
— 10 000€.
— Plus.
— 12 000€.
— Cette jeune fille vaut bien plus que cela et vous le savez.
Luis se redresse, il vide son verre et se gratte la gorge, ce qui provoque un bruit de raclement dans sa barbe grise mal rasée. Si je ne savais pas de qui il s'agissait, je le prendrais probablement pour un vieil alcoolique légèrement crado.
— 20 000€.
Autour de nous, un silence s'abat et des oreilles se tendent pour tenter de comprendre ce que vaut cette somme. La plupart des filles d'ici n'en valent pas autant mais Rachelle vaut bien plus que ces misérables chiffres. Elle rentre dans tous les critères recherchés par ce genre d'individu. Je souffle et me lève en prenant celle-ci par la main, qui me suit sans rechigner. J'oublie mon frère et le clochard qui nous accompagne et je prends doucement le chemin de la sortie.
1,2,3.
— 35 000€, c'est mon dernier prix.
Bingo.
Je fais demi-tour et me rassieds sur le fauteuil en tirant Rachelle qui tombe sur mes genoux. J'écarte son peignoir et défie l'homme grisonnant.
— Regardez-la. Une femme aux apparences fortes et rebelles mais une attitude d'enfant soumis. Vous allez me dire qu'elle ne vous fait pas bander ? Même moi je bande à chaque fois que je l'observe.
Et pour le coup, je ne mens pas. Cette fille est incroyable, il n'y a qu'elle qui ne s'en rend pas compte. Le vieux pervers fronce les sourcils, et analyse la situation.
Ne pas laissez à l'ennemi le temps d'analyser la situation, au risque de perdre l'avantage.
— Imaginez les orgasmes que je me prends quand je la rempli, imaginez les vôtres dans quelques minutes si vous êtes raisonnable.
En décalé, Noah sert ses phalanges sur sa jambe et s'agite le plus discrètement possible afin de ne pas nous faire remarquer. Mon frère sourit faussement et boit une petite gorgée de son verra toute les minutes comme s'il y trouvait l'air qui lui manque en entendant mes paroles. Moi non plus, je n'aime pas parler comme ça de Rachelle mais c'est le seul moyen de réussir à mes fins.
Bien mieux qu'être barman, pas vrai ?
Étrangement, c'est la concernée qui semble le moins réagir et je me demande si elle est entrain de dissocier, si elle est paralysée par la peur ou si le courage dont elle a fait preuve quelques minutes dans la voiture l'a transformée en guerrière assoiffée de vengeance ?
— 40 000€ et je la teste sans capote. Si elle me convient, je t'ajoute 10 000 de plus.
Une voix hurle en moi, j'ai le pouvoir ! Si Dieu existe, il est dans mon camp ce soir.
— Et pour les prochaines fois ?
Rachelle se tend, toute sa carrure se fige comme la pierre et Noah devient de plus en plus maussade. S'il continue, ce con va tout faire foirer !
— Si elle convient, je te l'embaucherai pour 80 000€ la nuit.
— Adjugé mais je veux que vous portiez tous une capote pour les prochaines fois, avec un gosse dans le bide elle n'aura plus rien d'une enfant.
— Elle ne prend pas de moyen de contraception ?
Je ricane, l'air mauvais.
— Ce n'est pas ça qui vous existe ? Jouer avec le feu et l'innocence ?
L'homme approuve, se sert un verre et fait un cul sec avec le liquide brun puis il se lève pour prendre la direction du couloir dans le fond du bar. Maintenant que je suis sûr qu'il s'agit du fils de pute, la deuxième partie de notre plan peut commencer.
Je redresse Rachelle qui semble collée sur mes genoux et la tire derrière moi en pressant légèrement sa main en signe d'apaisement. Ne t'en fais pas, ma douce, je ne le laisserai pas te toucher.
Je contourne le fauteuil où mon frère et son faux petit ami sont installés, leurs regards rivés sur le sol. Ils seront à présent mes yeux et mes oreilles si ça dégénère ici. La prochaine tournée d'humain va commencer, comprenant des hommes et c'est à eux de reprendre la comédie. Noah ne le sait pas mais Alex va simuler un malaise, afin d'accaparer l'attention jusqu'à ce que j'ai terminé d'extirper les informations de ce fils de pute.
Tout à coup, Noah se redresse et me saisit par la gorge les yeux rouges et gonflés par la haine :
— Comment peux-tu ?!
Je défais ses mains de leur prise et le pousse dans le fauteuil où je le bloque d'une jambe tandis qu'une main tient une lame sous sa gorge. Entre les dents, je crache ce qui a l'air d'être une menace pour les autres mais qui est un message codé pour lui :
— Tu me prends pour qui, petit con ? J'en ai rien à foutre que tu sois bi, regarde ton mec. Je ne laisserai personne la toucher, compris ?
Il secoue la tête en guise d'acquiescement et Alex le tire vers lui pour lui chuchoter quelque chose dans l'oreille. Je remballe mon arme et fusille le monde qui nous observe. Luis s'esclaffe et reprend la direction de la chambre où il nous emmène.
— Sauf si on paye bien ! Enfin, gamin, tu as l'air aussi malsain que moi. J'adore mais je vais me méfier !
Même s'il fait une blague, sa réflexion presse en moi quelque chose qui me dérange. Le monde reprend sa vie normale et alors qu'on s'éloigne, j'entends Denis annoncer l'arrivée du prochain lot. J'avance et Rachelle me suit, qui met tout en œuvre pour avoir l'air sereine mais lorsque je me concentre sur sa personne je remarque vite ses tremblements incontrôlés.
Nous progressons dans un couloir sombre qui mène à plusieurs portes puis empruntons un escalier tagué qui mène à d'autres chambres. Cette partie du bâtiment dénote étrangement avec la salle d'où nous venons : tout ici a l'air sale et mal entretenu. Une odeur d'humidité et de cigarettes rempli le lieu et Rachelle cache son nez dans son peignoir en toussant plusieurs fois.
— Fragile à ce point ? Ça promet, jubile l'homme. Finalement, il s'arrête devant une porte mieux entretenue et ouvre sans le savoir, la dernière porte de sa vie. La vue offerte par cette ouverture me laisse sans voix, nous sommes face à une suite aussi grande que mon salon qui est pourtant immense. Dans celle-ci se situe un énorme lit en baldaquin et toutes sortes d'objets sexuels et de tortures sur les murs. J'ai l'impression que l'on vient d'emprunter un passage sur une autre dimension tant cette pièce est différente des autres. Elle me rappelle la pièce du vieux Soon et je réalise qu'il devait venir ici, utiliser des enfants, parfois ce qui fait remonter la bille dans ma gorge.
Pour la première fois de la soirée, je me tourne vers Rachelle pour lui parler avec considération.
— Tu sais ce que tu as à faire, n'est-ce pas ?
Elle redresse la tête et confirme avec conviction. Au fond de moi, je sais qu'elle sera parfaite dans son rôle... et si je veux avoir le dessus, je dois la laisser faire une partie du boulot.
Je me tourne vers le pervers.
— Faites-en ce que vous voulez mais ne touchez pas à son cul. Celui-là, il m'est réservé pour le moment.
Je balaye ses protestations du plat de la main et reporte mon attention sur Rachelle en prenant son visage entre mes mains.
— Je te laisse seule maintenant, je ne suis pas loin. S'il ne respecte pas ce que je viens de dire, hurle et je débarque lui arracher les couilles. Compris l'abruti ?
L'homme m'écoute à peine, il est occupé à chercher l'objet qui servira à mutiler Rachelle. Enfin, c'est ce qu'il pense car je ne le laisserai pas faire, plutôt mourir. Rachelle souffle et me pousse vers la sortie avant de fermer la porte qui me barre la route de sa beauté. Cette fille a plus de couilles que nous tous ici, c'est certain.
Je marche quelques pas dans le couloir afin de ne plus être à vue et j'attends 30 secondes, au bout desquelles Luis vérifie je suis parti et pousse un cri d'enthousiasme en pensant que je lui ai laissé le champ libre.
Lorsque la porte se referme, j'attends une minute et trente secondes, ce qui est largement suffisant pour qu'il rentre dans son personnage de testeur...
Je pense à Rachelle, à son air déterminé et à l'angoisse qui prenait possession de son corps contre son gré. Je vois son innocence, la terreur dans ses yeux parfois quand elle m'étudie et la compassion à d'autres. Je lui ai menti en lui disant qu'entre un ange et un démon, il n'y a pas grand monde de différence... elle et moi n'avons rien en commun et si je devais choisir une façon de définir l'humanité, je la décrirais probablement.
On tombe amoureux, le gros dur ? se moque ma conscience.
— Ressaisis-toi, mec, on peut pas aimer quelqu'un en quelques jours, on est pas dans un film.
Je sors mon couteau que je glisse dans ma manche et m'approche à pas de loup de la porte. J'y colle mon oreille et tente d'entendre un bruit qui pourrait m'indiquer où ils en sont afin d'être certain que je n'entre pas trop tôt mais seul le silence m'offre une réponse. Non, je ne peux pas attendre plus... et s'il n'est pas encore distrait, je me débrouillerai. La vie m'a appris qu'il faut moins d'une minute pour vivre le pire.
Je pose la main sur la poignée, son contact froid me fait frissonner et j'entre doucement. Ce que j'aperçois me fige un instant et pour la première fois depuis des années, la rage ne prend pas le dessus, non. Elle laisse place à quelque chose de plus concret... mes traumas m'apparaissent, bien réels, affreux, oppressants, paralysants.
Deux mains arrachent le sac en toile qui me couvrait le visage, je vois maman qui est ligotée sur une chaise en face de la mienne. Je me tortille sur ma chaise, je dois faire pipi. Je ne comprends rien à ce qui se passe, la seule chose dont je me souviens c'est Ma Princesse que maman cherche dans la maison, puis maman qui hurle puis nous ici. Le grand monsieur derrière moi fait le tour de ma chaise, il s'agenouille et pose ses grosses mains sur mes genoux.
— Salut, bonhomme.
J'ai envie de pleurer. J'ai envie de pleurer parce que je dois faire pipi et que le monsieur me fait très très très peur.
— NE LE TOUCHEZ PAS !
Je n'ai jamais entendu maman s'énerver comme ça, elle aussi, elle me fait peur.
— Je dois faire pipi...
Je chuchote parce que j'ai vraiment besoin de faire pipi mais j'ai peur de l'avouer, ce monsieur me fait peur. Tout ici pue l'humidité et a l'air sale. L'homme se redresse et observe ma mère, il avance de quelques pas et la gifle. Pour la première fois, maman se tait. Pourtant, maman est forte... très forte. La plus forte de toutes les femmes... mais je sais aussi que parfois, elle dit qu'il faut se taire et elle se tait alors je fais le même.
— Bon, mon petit pote... ta maman ne veut pas nous dire où est le quatrième membre de votre famille et je vais en avoir besoin. Alors toi, dis-moi où il est ...
Je fixe le grand monsieur, puis maman. Je sais sans qu'elle parle que je dois me taire. Se taire. C'est notre règle numéro une : ne rien dire à personne sur notre famille.
Puisque je ne réponds pas, le monsieur se lève et étrangle maman. Je ferme les yeux et je chante fort, très fort.
— Tu as bien élevé tes enfants, Gigi...
Comment il connaît le surnom de maman ?
L'homme sort son téléphone et pianote dessus quelques instants, puis un homme arrive avec quelqu'un dans les bras. Je n'ai pas besoin d'apercevoir son visage pour reconnaître ma soeur et la peur se transforme en colère. On ne touche pas à Ma princesse.
— Lâchez-la !
L'homme rigole, fort.
— Je vais la lâcher, ne t'en fais pas. Tu choisis, Gigi... soit tu nous dis où est ton fils, soit tu es responsable du malheur de ta fille.
Ma mère penche la tête de la même façon que quand elle parle aux hommes qui veulent s'allier à notre famille et elle répond :
— Qu'importe ce que je dirai, vous vous en prendrez à ma fille parce que c'est ce que fait votre putain de réseau. Alors regarde-moi bien, détruis-nous aujourd'hui mais mon fils nous vengera.
Je sais que maman ne parle pas de moi mais moi aussi, je veux être méchant avec ce monsieur.
— Très bien.
Il termine sa phrase et commence à déshabiller ma soeur, elle a l'air endormie et j'ai beau lui crier de le frapper elle ne bouge presque pas. Ma mère observe la scène sans broncher, elle a l'air disparue de son corps.
— Maman, pourquoi tu les laisses faire ?
Je pleure.
— Maman, on doit l'aider...
Elle ne répond pas.
— Maman, s'il te plaît dis où est Eliot. Maman, s'il te plaît...
Je supplie mais elle continue de ne rien dire et l'homme fini par retirer le dernier vêtement. Je pleure. Je ferme les yeux mais deux mains écartent mes paupières. Je vois. Je vois tout. Je ne veux pas voir ça. La seule chose que j'entends, c'est mon prénom que Ma princesse prononce.
— Ezio !— Ezio !
Il me faut quelques secondes pour réaliser que c'était un souvenir et que je ne suis plus le petit garçon d'avant. La pièce autour de moi tourne et m'éblouit, comme si elle était trop éclairée et il me faut plusieurs fois cligner des yeux pour réussir à apercevoir ce qui m'entoure.
— Ezio ! hurle Rachelle du fond de la pièce.
Allongée sur le lit avec pour seul vêtement son body, elle m'observe les yeux ronds comme des billes, terrorisée. J'aperçois enfin clairement ce qui m'entoure et prends conscience que Luis est à quelques mètres de moi, une arme dans ma direction et l'autre sur Rachelle.
Putain d'imprévu de merde.
— Putain, FAIT CHIER !
VOUS LISEZ
L'effet miroir
RomanceRachelle, 20 ans, travaille sans relâche pour payer ses frais de scolarité et les soins de santé de sa mère. Elle a tout d'une jeune femme détruite par la vie. Ezio, 23 ans, tue des gens appartenant à un réseau de trafic d'humain afin d'atteindre s...