6

225 45 0
                                    


Isidore et Coline viennent de faire l'amour. Leurs cœurs battent la chamade, l'un dans les bras de l'autre. C'était un peu brouillon, les deux n'ayant plus l'habitude de toucher leurs corps. La dernière fois remonte à presque deux mois... avec les partiels, Coline n'avait pas trouvé le temps de rentrer depuis Noël.

— C'est quand même bizarre, chuchote Coline.

— De quoi ?

— De se voir quand on est à distance.

Coline a l'air triste en le disant.

Bizarre, c'est un bon terme pour décrire à chaque fois les débuts des retrouvailles. On se déshabitue de l'autre à force de ne pas se voir. On se croit dans un autre espace-temps, tant leur co-présence paraît contingente.

Les yeux de Coline se remplissent de larmes soudainement. Ça arrive parfois, quand ses émotions montent très promptement. Il la serre dans ses bras, ne sait pas quoi répondre pour la réconforter. Pour Isidore, c'est certes bizarre, mais ce n'est pas grave que ça le soit. Tout ce qui compte pour lui, c'est qu'elle soit à ses côtés et qu'ils arrivent à passer de bons moments ensemble.

— J'ai peur Isi'...

Isidore n'aime pas trop quand elle lui rappelle toujours le côté pessimiste des choses, comme les choses peuvent mal tourner tout le temps. Tout peut bien se passer. Il aime être optimiste au jour le jour.

— De quoi t'as peur Co' ?

— Je te l'ai pas dit... mais, avant-hier j'ai été acceptée pour un super stage de six mois qui m'intéressait vraiment.

— Oh, super ! À Bordeaux ?

Les yeux de Coline paraissent encore plus tristes.

— Non, à Montréal.

Isidore est un peu fatigué après avoir fait l'amour. Il n'arrive pas à cerner tout de suite les implications des propos de sa petite amie. Puis, ça le frappe. Montréal, Québec, Canada, continent différent, décalage horaire, avions, billets chers et polluants, tout se mélange : une distance incommensurable se creuse entre leurs deux corps subitement.

— Pourquoi tu veux partir aussi loin ? réagit-il du tac au tac.

Cette fois-ci, Isidore ne comprend plus rien. Il était persuadé que Coline rentrerait vivre à Rennes après son master, ou alors, chercherait un stage dans une ville française. Il se serait accommodé, aurait amorti ses plans futurs selon ses déplacements. Isi' n'était sûr de rien pour la rentrée prochaine... mais avait cette certitude qu'ils allaient se retrouver.

— Je sais pas, j'ai envie de changer de continent, de vivre des expériences encore plus loin de tout. J'ai une sorte d'ambition floue, et mes amies postulent tous aux US ou en Asie. J'ai envie de quelque chose de différent avant de rentrer sur le marché du travail français.

— T'as accepté l'offre ?

— Pas encore, mais je dois bientôt répondre au RH, je voulais t'en parler avant.

Isidore se sent blessé et en colère. Sa petite amie a cherché un stage à l'autre bout du monde... Mais Coline ne lui doit rien... c'est ce qu'il s'est promis de croire en amour. Elle a de l'ambition et un appétit pour tant de nouvelles aventures ! Il l'a toujours su. Il lui en veut, mais ne se sent pas légitime. Son bonheur compte infiniment pour lui.

— Je sais pas trop quoi te dire Coline. C'est ton parcours, moi je te soutiens...

Ses yeux s'illuminent.

— Juste, je sais pas trop, faut que je réfléchisse.

— Comment ça ? Réfléchir sur quoi ?

— Sur mon avenir à moi, l'an prochain.

Elle le prend dans ses bras.

— Tu n'es pas fâché ?

— Je sais pas.

Co' panique toujours face à son absence de réaction. Il a l'habitude de la rassurer par un baiser sur le front.

— En postulant, je pensais vraiment pas être prise. Je savais que le deal c'était que je revenais après Bordeaux ou qu'on emménage ensemble en France. C'est pas sympa de ma part... donc je voulais qu'on en discute.

Toutes ces questions embrouillent le cœur d'Isidore. Il veut juste passer un moment doux et simple avec Coline. Il lui en veut presque de le ramener aussi violemment à la réalité. S'agaçant, il rétorque :

— J'ai envie de dormir. On en rediscute une autre fois, d'accord ?

Elle acquiesce. Ils sont trop crevés pour prendre des décisions sur leur couple, l'avenir, le cours des événements.

Une étreinte les rapproche de nouveau. Leurs corps collés l'un contre l'autre. C'est précieux comme moment. Elle lui dépose un baiser sur les lèvres, lui, au creux de son cou. Les deux se sourient tristement dans le noir de la chambre. Ils s'aiment beaucoup, ça en étouffe l'air.

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant