10

183 38 0
                                    




Isidore a été viré au bout de deux semaines de son poste de surveillant : raison – trop d'absences et des élèves l'auraient vu fumer un ter' devant le lieu de travail. Dans la famille, c'est une honte. Le père d'Isidore n'a pas envie de lui adresser la parole. Sa mère est déçue. À table, tout le monde apparaît tendu. C'est le père qui décide de couper le silence. Et pas avec n'importe quel sujet : l'argent.

—   Écoute Isidore, pour le job au lycée, t'as été de mauvaise foi. Avec ta mère on a décidé qu'à partir de la fin de tes partiels de mai, on te donnerait plus aucun sou. T'as 23 ans, à ton âge, je faisais déjà plusieurs petits boulots.

—   On pense qu'on t'a trop gâté, avoue sa mère en buvant son verre de vin.

Isidore grimace. Encore un problème en plus. En même temps, il l'a cherché.

—   Bah ok.

Il n'en a rien à foutre. L'idée d'être sans Coline, sans Anatole, sans argent ne le terrifie même plus. En même temps, il est défoncé à table aujourd'hui. Idée du siècle.

—   Tes yeux sont rouges, gronde son père.

—   J'sais.

Son insolence fait réagir les autres frères et sœurs. On rigole et se moque de lui. Il doit sûrement faire de la peine aux autres gosses parfaits. Isidore se sent étouffé par l'ambiance générale : il déteste tout le monde à cet instant précis.

—   Tu n'as plus quinze ans, rappelle sa mère. Là, c'est trop. T'es grand, faut que tu te gères.

Silence radio. Le blond quitte la table en coup de vents. C'est trop pour lui. Quitte à être dramatique, il le fera dans les règles de l'art. Alors, il claque la porte, court sous la pluie. Il rit tout seul, et se dit que c'est trop débile ce qui lui arrive.

Isidore n'aime pas ressentir la douleur. Il a peur de ces sentiments négatifs. Il sait que c'est humain de les ressentir. Mais il a toujours cru qu'il suffisait d'être optimiste pour s'en sortir. Rire un bon coup. Mais depuis quelques semaines, rien ne fonctionne à part la beuh. Rien de rien. Tout va de travers : les cours qui l'assomment sur le marché du travail, le petit job qui l'emmerde, les personnes qu'il aime mais à qui il n'a pas envie de parler, l'isolement qui le fait broyer du noir. L'incertitude le paralyse. Il se voit pourtant comme pourri gâté.

Isidore se dit qu'une personne normale serait en train de pleurer. Il n'y arrive même pas, parce que le cannabis anesthésie sa tristesse. Il ne veut plus rien ressentir à part cette impression de planer. Et puis, il n'a jamais vraiment pleuré depuis... longtemps. On lui a toujours dit que ça ne servait à rien de pleurer, que les garçons ne font pas trop ça dans la vie. Son père a raison, tort? Il n'en sait trop rien.

Alors Isidore marche sous la pluie, aggrave son rhume qui ne part pas et se dit que ça craint le monde des adultes.

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant