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—   Allô ?

—   Enfin ! lance Coline à l'autre bout du fil.

—   Hm ?

—   Tu répondais pas à mes messages et appels depuis trois jours, j'ai commencé à m'inquiéter. Hé Isi', tout va bien ?

La voix de Coline lui retourne le cœur. Il se sent coupable de l'avoir trahie, d'avoir pris ces substances de bonheur artificiel et d'avoir aimé ça.

—   Oui, tout va super.

—   Vraiment ? Parce que tu me parles pas trop, et je sais pas... j'ai l'impression que tu te distances. Est-ce que c'est à cause de mon stage ? C'est pas encore sûr, faut que je vois si j'ai une bourse encore...

—   On peut s'appeler une autre fois ?

Co' perd patience. Il le sent rien qu'au ton qu'elle prend.

—   Non. J'ai envie de te parler. Qu'est-ce qui se passe ? Je comprends pas, tu t'isoles de tout le monde.

—   Laisse-moi respirer Coline.

Cette fois-ci, sa petite amie commence à s'énerver.

—   Ça fait trois semaines que tu me parles quasiment plus. Depuis la fois où je suis rentrée, t'es froid avec moi par messages et t'es souvent défoncé quand on s'appelle. Pourquoi tu fais ça ? Isidore, grandis, on se connaît par cœur, je sais quand ça va pas et que tu dis rien.

—   Mais ça va super. J'suis juste crevé.

—   Arrête de prendre ta voix blasée insupportable et de fuir les sujets. Parle-moi bon sang !

—   Crie pas, ça sert à rien.

À l'autre bout du fil, Coline se met à sangloter. À leur actif, cinq ans de relation : peu de disputes, Coline qui a appris à exprimer sa colère, Isidore qui galère à se montrer vulnérable au tél'. Malgré les difficultés, ils se connaissent par cœur, anticipent leurs réactions.

—   Je t'aime gros con. Dis-moi ce qui se passe Isi'...

Isidore se tait. Lui aussi, il l'aime. Elle est littéralement son unique raison de vivre. Mais il se sent oppressé par cet amour pour elle. Il a l'impression que Coline sera toujours sa seule priorité dans la vie. Et c'est naze. Parce qu'il va la rendre malheureuse avec son absence de perspectives, son avenir bouché, ses envies perdues.

Mais il a si peur de lui dire. Si peur de la décevoir. Si peur qu'elle se rende compte qu'il n'est rien qu'un pauvre minable. Il ne la mérite pas. Elle, son bonheur et avenir tout tracé.

Soudainement, Isidore réalise qu'il se dégoûte, qu'il est en train de foutre en l'air tout ce qu'il construit. Il ne sent plus du tout moteur de sa vie. Il enchaîne les abandons et rejets. Il se déçoit, chaque jour. Ça suffit... mais comment arrêter cet engrenage ?

—   Moi aussi je t'aime.

Il aimerait pleurer, mais les larmes ne viennent pas. Il se sent tellement déconnecté de ses émotions dans ce genre de moments. Il vit tout à distance, et en lui, il n'y a qu'un brouillard épais et qui n'annonce que des terribles orages.

—   J'ai envie de te voir Co'.

Silence.

—   Alors viens me voir.

—   Désolé, je bousille tout en ce moment.

—   Qu'est-ce qui se passe ?

—   Tout et rien. Je saurais pas mettre des mots. J'ai juste envie de te faire un câlin.

Une heure plus tard, les billets de train sont pris. Isidore part pour Bordeaux le week-end prochain. Il promet à Coline d'aller en cours cette semaine et de rattraper tout le temps perdu.

Décidément, Isidore n'a vraiment pas l'habitude d'avouer qu'il a besoin de l'aide des autres.

Pour lui, cela représente un premier pas vers une joie moins artificielle, sans substances ou addictions. Une joie plus insaisissable et incompréhensible. Cette joie qui lui échappe, mais qui est ancrée dans la vraie vie.

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant