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— J'essaie de réduire ma consommation, prévient Isidore en s'asseyant dans le canap' de son meilleur ami.

— Bien joué mec.

— Mais c'est dur, avertit-il en soupirant longuement.

Isidore vient de sortir de trois heures de TD. Il est explosé. Anatole est tout juste rentré de son atelier de développement photos. Il lui montre ce qu'il a scanné. C'est vachement sympa. Il y a même quelques photos d'Isidore, pris dans son dos.

— On joue une partie ?

— J'ai un peu la flemme, avoue Anatole. J'ai perdu trop de parties hier. Là j'maudis un peu ce canapé.

Isidore sourit. Il lui fait un signe de « L » sur le front. Looser.

— On fait quoi alors ? On va pas écouter du rap sans bédave, c'est nul.

Anatole réfléchit. C'est marrant, ils ont tellement l'habitude de traîner l'un avec l'autre de la même façon, qu'ils se retrouvent désorientés sans le cannabis ou les jeux vidéos.

— T'as ton vélo ? demande le brun avec un élan inhabituel d'inspiration.

— Oui.

— Je peux te shooter ?

— Comment ça ?

— Prendre des photos de toi.

— Mais c'est gênant !

— Bah non, ça peut être des barres. T'es plutôt photogénique j'trouve.

Les deux se regardent en silence, puis explosent de rire. OK, Isidore se laisse tenter. Anatole prépare ses affaires tandis qu'Isidore enlève le cadenas de son vélo à l'extérieur de l'appart'.

— On va où ?

— Aux Étangs ?

Anatole parle des étangs d'Apigné, à vingt minutes à vélo du centre. Malgré le temps gris, les deux s'élancent. Une nouvelle activité se débloque pour occuper le temps.

Durant la balade, Isidore se rappelle de toutes les fois où Anatole et lui ont fait du vélo ensemble. Ils en faisaient tout le temps au lycée, un peu moins ces dernières années, mais il est toujours surexcité de faire des trajets avec quelqu'un d'autre que les rappeurs qu'il a dans les oreilles.

Parfois, c'est la course après un feu rouge. Anatole est le plus souvent devant, même si Isidore connaît mieux les routes. Aujourd'hui pourtant, Isidore s'amuse à le défier d'aller encore plus vite.

— Lâche-moi p'tit con, j'te vois faire, rétorque Anatole.

— T'es leeeeeeeeeeent, dit-il en le dépassant.

Arrivés aux étangs, ils sont surpris par le peu de personnes présentes. Même si ce paysage est relativement artificiel, Isidore se sent plus à l'aise dans la nature. Il y a de l'eau, des arbres, de quoi apaiser les esprits les plus confus. Aujourd'hui, il est de bonne humeur, le trajet l'a fait marrer.

— OK, alors, je propose de regarder par là-bas et marcher près de l'eau. Sois juste naturel.

Anatole photographe est différent du bourrin qu'Isidore a l'habitude de fréquenter. Son meilleur ami devient étrangement sérieux et professionnel. Il affirme ses idées de poses. Étonnement, Isidore se sent à l'aise avec ces indications. Il joue le jeu. Il ne force pas les poses, regarde les cailloux près de l'eau, parfois l'horizon et les arbres dont les feuilles sont en train de devenir vertes.

C'est chouette de le voir aussi passionné par son travail. Anatole s'adapte aux manières de poser d'Isidore et inversement, il prend ses conseils.

— Pense à... quelque chose qui te fait du bien.

Isidore sourit bêtement, en pensant à toutes les discussions qu'il a eues depuis le week-end à Bordeaux. Cette fois-ci Anatole fait un portrait très proche de lui. Le sourire tombe et il sent le brun en train de prendre d'autres photos, où Isi' paraît plus blasé. C'est un peu étrange, il se demande si ça rendra bien, s'il est beau, s'il est assez naturel, si à travers la photo les spectateurs percevront vraiment quelque chose de lui.

Isi' n'a jamais été très sensible à l'art. Il répète souvent qu'il n'a pas de goût. Mais Isidore comprend pourquoi les autres aiment autant ça. Il admire ces passionnés.

— Bon, j'ai fini la fin de ma pellicule. On se pose ?

— Ouaip.

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant