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Le mur de caissons se dresse devant Isidore. La musique bat son plein. Le blond se sent dans son élément, sourire aux lèvres. Il mourrait d'envie de faire la fête. Les basses font vibrer son corps : il adore.

Max et Lili ont décoté la localisation d'une rave dans une forêt plus au sud de leur région. Tout le monde du groupe s'est motivé à y aller, sauf Anatole qui était trop fatigué pour sortir loin. Alice est surexcitée, elle a passé une semaine éprouvante au travail et veut se détendre. Les deux Paul sont comme d'habitude, insupportablement bavards. Dans la voiture, ils ont enchaîné les débats inutiles. Mais ce bruit de fond plaît à Isidore, il se sent toujours mieux dans sa peau, accompagné de sa bande du collège.

Le « son », soundsystem breton, se passe comme d'habitude, à quelques détails près.

Comme ils l'ont toujours fait depuis le lycée, ils jouent à un jeu d'alcool avec le paquet de cartes surutilisé d'Alice. Toutes ses cartes sont tellement abîmées qu'elles laissent des miettes sur les doigts quand on les utilise. On se tape des barres, se moque d'Isidore lorsqu'il n'arrive pas à se souvenir de l'ordre des mots dans certains jeux. Les bières s'enchainent. Certains s'allument des joints pour se détendre. Ça commence bien, se dit le blond.

Ensuite, vient la première heure de danse, où l'excitation monte petit à petit. Chacun dans sa bulle, s'oublie. La techno et le dub le transportent son après son et il perçoit encore mieux la musique après son ter'. Il se sent survolté quand Lili monte sur les épaules de Max, le groupe s'esclaffe face aux grimaces de leur ami.

Isidore danse à côté de pleins d'individus différents. Des très jeunes comme des très vieux, des touristes comme des locaux. Il se demande où il se catégoriserait dans la masse de monde.

—   On va taper, avertit soudain Paul V.

Dans sa main, traîne un petit pochon de poudre blanche. Paul V. prévient qu'il a aussi des comprimés.

—   La MD ou taz', c'est open ce soir. Bon, tu bouges pas, on revient.

Isidore rigole, même si la remarque de son ami n'est pas foncièrement drôle. Dans la bande, les limites sont assez claires : Isidore ne tape plus depuis son bad trip d'il y a cinq ans. La redescente avait été un enfer : trois semaines de déréalisation totale, où Isi' avait l'impression de perdre pied avec la réalité.

Les drogues synthétisées ne l'effrayaient pas à l'époque, il avait confiance dans le fait que son corps récupérerait de ces expériences, sans trop savoir d'où venait cette conviction. En plus de cela, il voulait vivre des expériences inédites avec ses amis. Aujourd'hui, la drogue en raves est tellement banalisée que les dernières résistances d'Isidore ont disparu. Il ne juge jamais ces amis : après tout, ils font comme tout le monde.

Coline n'a jamais vraiment aimé toutes sortes de drogues. Jusqu'à l'an dernier, elle ne savait même pas que les gens prenaient des drogues synthétisées, sa connaissance se réduisant aux drogues naturelles. Isidore a dû lui expliquer qu'il en avait déjà pris. Ça lui avait fait très peur. Mais Isi' l'avait rassurée : il ne voulait plus en reprendre de sa vie.

Mais cette nuit, en voyant ses amis s'isoler dans la forêt, un sentiment de solitude lui serre le cœur. Il n'a pas envie d'être le seul à ne pas taper. Il n'a pas envie d'être isolé des délires.  Il veut arrêter de se prendre la tête et faire comme tous ses amis.

—   Attendez-moi !

Ses quatre amis sont surpris de le voir les suivre.

—   Je vais prendre un demi de taz', prévient Isidore.

—   Euh Isi' t'es sûr ? demande Alice d'un air inquiet.

—   Ouais, ouais, ça remonte à cinq ans la dernière fois. Franchement, ça fait longtemps que j'avais pas eu autant envie.

Les autres du groupe se jettent des regards entendus. Malgré les doutes, ils finissent par sourire d'adrénaline.

—   Bon, bah, c'est tipar' ! commente Paul V.

AïeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant