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Seul dans la rue, rigide et frisqué, les rues autour de la maison de Sidjil pointaient Maxime du doigt. Les lampadaires jetaient leur lumière acérée sur son coupe-vent. Au fil des pas, il se demandait pourquoi il s'était habillé aussi légèrement alors que l'air était glacial, hostile.

Alors ses mains tremblaient jusqu'au fond de ses poches, là où les pierres de son bracelet se réchauffaient sous ses doigts. Sans ce bracelet, sa boule au ventre aurait sûrement déjà explosé dans un coin de trottoir, à côté d'une bouteille de Heineken éventée, la seule passante qu'il avait croisée.

Les mots se formaient dans une brume suspendue à ses lèvres. Maxime essayait de repousser les excuses pour des phrases plus réfléchies, plus matures. C'était le vacarme dans sa bulle. Entre les hologrammes de Sidjil qui lui semblaient si lointains même dans sa tête, les gardes du corps de sa fierté leurs têtes dans les mains, et des réflexions perdues, un amas de petites feuilles jetait enfin un peu de lucidité sur la chronologie de sa relation avec Sidjil.

Il regrettait tout et rien, parce que tout était prévisible, mais rien n'était à leur portée. À sa portée tout du moins.

Ce qu'il regrettait le plus, c'était toutes ces fois où il avait voulu que Sidjil se taise alors que son coeur se cachait sous ses paupières. Parce que ses propres réminiscences lui rappelaient que pour tant de violence, le Maxime d'il y a six ou sept ans avait décidé de tout sceller sous silence. Tout balancer dans l'oubli, jusqu'à l'existence même de celui qu'il considérait avec naïveté comme sa première drogue, sa première et sa dernière jeunesse.

Transposer tout ça sur Sidjil lui faisait tout aussi mal, et pour ces raisons-là Maxime avait réfléchi plusieurs fois sur le chemin à s'infliger une quelconque douleur. Que Sidjil le gifle ou l'insulte, secoue son esprit jusqu'à faire tomber le carton oublié de ses traumatismes, lui donne la violence dont il avait besoin.

Il avait eu quelques partenaires jusqu'ici à qui il avait brisé le coeur. Des soirs maudits où il avait fait couler des larmes, du maquillage ou un reste de sentiment perdu dans un regard qu'il n'avait de cesse de défier. Mais il ne pouvait pas blesser Sidjil sans éprouver le plus fort des remords, et c'était ça la plus grande différence. C'était pour ça que Maxime s'accrochait, que la douleur se diluait à la routine et qu'il marchait d'un pas irrégulier dans une rue déserte.

Déserte sauf pour le caillou qu'il balança dans un caniveau, et pour la flamme d'un briquet embrassée par un dôme de mains.

Sidjil avait déjà pris une taffe quand Maxime le reconnut. Sur la marche devant la porte de son immeuble, il portait le même polo qu'au Nouvel An. L'air de lui confier d'avance que leur tout jeune passé collait toujours à sa peau, plus fort que lui, si fort que le souvenir de leurs vêtements cette nuit-là surpassait le reste de leur naufrage.

Maxime se rangea de l'autre côté de la marche, fuyant le début de pluie fine et la lumière toujours aussi stridente des lampadaires.

Et le silence le tuait. Ses cordes vocales servaient de métier à tisser pour tous les noeuds dans sa gorge. Il avait pourtant réfléchi à toutes ces choses qu'il voulait dire.

Ce ne fut qu'à la moitié de sa cigarette que Sidjil prit la parole.

– Tu veux une clope ? il en sortit une d'une des poches de son survêtement.

Même si Maxime trouvait toujours le goût de la cigarette particulièrement immonde, la réaction chimique était entamée depuis quelques semaines déjà. Ce n'était pas le goût qu'il appréciait, c'était que fumer lui rappelait toujours Sidjil.

Mais il était encore là, il meublait le silence dans sa tête avec cette phrase. Il marchait sur des oeufs. À tout moment, Sidjil ne l'était plus.

– Euh- non merci.

maxi string [maxime&djilsi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant