Ivre, tais toi

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Il continue sa route un peu découragé, après tout c'est déjà plus intéressant qu'observer un vieillard au cheveux longs se déhancher au rythme d'une musique imaginaire.

Les immeubles défilent, ainsi que les petites maisons de quartier et leurs jardins aux potagers sensés faire "comme à la campagne".

Et ce, même si la campagne est à seulement quelques kilomètres d'eux.

Attiré par des éclats de voix amusés, Charles s'approche d'un bar en bordure de route. Ce genre d'endroit a finit par lui devenir totalement étranger.

Depuis combien de temps n'a t-il pas bu un coup avec des amis?  Finir totalement ivre et à moitié nu sur une table accompagné de filles inconnues mais toutes aussi nues...

Il soupire et pousse la porte d'entrée, faisant résonner un léger carillon fluet. Plutôt incongru dans un tel endroit! L'aspect original du lieu à la fraîcheur printanière lui plaît immédiatement.

Les regards se tournent vers lui durant un instant gênant, puis retrouvent le fil de leurs conversations. Charles se dirige vers le comptoir les yeux rivés sur le sol et monte sur un tabouret en bois usé. Il attrape au passage une olive flottant nonchalamment dans un bocal en verre.

"Ça fait vraiment série américaine...murmure-il pour lui même.

- Pardon?"

Un homme d'environ un quart de siècle le fixe avec étonnement, ses yeux bleus plongés dans les siens.

Il constate qu'il n'a jamais rencontré quelqu'un avec des yeux bleus, en vingt trois ans de vie sur terre.

" Rien, je parlais seul, justifie le jeune homme avant de fixer le comptoir silencieuseusement.

Charles se dit qu'il doit avoir l'air complètement idiot. Il a déjà grandement envie de rentrer chez lui aussi vite qu'il est rentré.

- Ah... déclare le barman avec désinvolture."

Il continue d'attribuer les boissons sans plus faire attention à son étrange client qui a déjà reporté son attention sur lui.

"Je pourrais commander quelques chose? ajoute Charles.

- Et bien, étant donné que vous êtes dans un bar, je dirais que oui, répond l'employé avec un sourire un peu crispé.

- Effectivement..."

Gêné, le jeune homme fixe les olives avec insistance, le barman le remarque et enchaîne.

" Vous savez, vous pouvez en manger une, c'est gratuit.

- Non merci, je me disais juste qu'elles étaient jolies...

S'il pouvait, Charles se serait donné un coup de pied pour qu'il cesse de parler, ça aurait évité qu'il s'enfonce dans la stupidité de ses réponses à chaque fois qu'il parle.

- T'as un sacré sens de l'humour, continue le barman en riant de bon cœur, mi-incertain mi-amusé."

Son client doit se retenir de l'égorger sur le champs, humour il avait. Mais auto-foutage de gueule, non. Il se sent déjà assez mal! Pourquoi les gens ont la fâcheuse manie d'en remettre une couche à chaque fois qu'il est mal à l'aise? Il serre les dents.

" Ça serait possible de commander un shoot de tequila? râle le jeune homme d'une voix froide.

- Vous avez mangé? rétorque l'autre homme redevenu très sérieux.

Le brun s'agace. Il est venu ici pour s'amuser et au contraire, il a l'impression que cet employé fait tout pour l'ennuyer.

- Non mais qu'est ce que vous en avez à faire? répond-il avec un énervement mal dissimulé."

Le barman visiblement vexé hausse les épaules et se concentre sur ses autres clients.

Les shoots s'enchaînent et il se sent mieux, libéré. Comme si il n'avait aucuns problèmes, comme si rien n'était grave. L'alcool se mélange à son sang et il devient de plus en plus excité. Il se lâche, sombrant petit à petit dans l'ivresse. Son esprit s'embrume.

Le jeune homme relève la tête vers l'employé occupé à nettoyer l'arrière du bar à grand coups de torchon et s'exclame d'une voix forte.

" Tu sais pourquoi je suis là? "

L'autre homme dirige son regard vers lui, étonné de le voir devenir un peu plus loquace. Malgré tout, amusé il lui répond.

" Non. Laissez moi deviner, vous venez faire le ménage à ma place?

- T'es con ou tu le fais exprès? Bien sûr que non! s'insurge son client."

Le jeune travailleur secoue la tête, dépité mais habitué. Il abandonne Charles qui parle seul pour s'occuper de la vague d'autres clients arrivant pour dix-sept heure.

Charles, depuis son coin, émet un grognement d'impatience. Et apostrophe le barman.

" Oh pardon! Hé! Comment tu t'appelle?

Le barman se retourne vers lui en roulant les yeux.

- Éric, et vous.

- Moi c'est Charles ! s'exclame t'il en gloussant. Tutoie moi! On n'est pas chez la reine d'Angleterre!"

Éric est confus, il balbutie quelques mots mais ne trouve aucune réponse appropriée.

" Maintenant que j'y pense, Éric. lance-t-il. Tu ne sais toujours pas ce que je fais là?

- Et bien non, répond le dénommé Éric avec une attention exagérée. Mais je suis bizarrement sûr que tu vas éclaircir tout ça!"

Ne retenant pas le ton ironique de son interlocuteur, Charles se lance dans une explication des plus détaillée, employant voix et gestes, sa rupture avec Clémentine ou sa soit disant recherche d'emploi sous les yeux faussement intéressés du barman.

D'un coup, il stoppe son monologue et déclare en voyant le détachement de l'homme en face de lui.

" Je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça, vous vous en foutez après tout..."

Il descend de sa chaise —non sans difficultés— sous le regard abasourdi du barman. Toujours sans un regard, il pousse la porte d'entrée déclenchant de nouveau le carillon. Éric attendri par son air de chien battu lui lance un fort: "Revenez bientôt!".

Mais la porte se referme aussitôt et il n'obtient aucune réponse.

Un musique démarre alors depuis la télévision tenant par miracle au mur, entamant son paisible refrain.

« It could be wrong
Could be wrong
But it should've been right
It could be wrong
Could be wrong
Let our hearts ignite »

Foule SentimentaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant