Un repas frugal

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Le ciel se couvre, et les nuages de pluie l'assombrissent encore plus alors que Charles cherche avec difficulté à détourner son visage du vent de face le fouettant douloureusement. Râlant sur la visière inexistante de son casque, il raccroche d'une main sa prise sur la hanche d'Éric qui sursaute.

" Aille! Tu pinces mec! lance-il à son passager. Charles rigole doucement en relâchant un peu la veste du blond. "

Les paysages identiques défilent avec leurs lots de maisons et d'appartements respirant plus ou moins la joie de vivre et rapidement le véhicule ralentit pour trouver une place libre où se garer.

" On est un peu loin mais je pense que ça devrait pas nous prendre plus de cinq minutes à pieds... Il n'y a jamais de place ici le soir... raconte Éric en descendant de sa moto bientôt suivi par Charles pressé de savoir où habite son ami."

Discutant de sujets lambdas durant toute la balade, le bruns s'étonne en voyant le barman se stopper devant une enseigne en souriant.

" Je suppose que tu n'habite pas dans un restaurant italien? déclare posément Charles en soupirant.

- Bien vu."

C'est un minuscule restaurant coincé pitoyablement entre deux immeubles d'ancien style. Ce genre de petites bâtisses en briques qui ressemblent à l'idée que les français se font d'une pizzeria italienne, seul le panneau publicitaire aux couleurs délabrées accroché au mur de l'établissement prouvait le contraire. Une grande terrasse désertée pour un intérieur à la luminosité chaleureuse et aux odeurs attractives de plats juste apportés sur la table. Un petit restaurant bien sympathique dont les deux hommes s'empressent malgré tout de franchir le seuil.

La première chose qui saute aux yeux une fois à l'intérieur c'est l'odeur de fromage qui flotte dans l'air. Comme dans toutes les pizzerias...

Fasciné, Charles ne se rend pas même compte qu'il se fait entraîner par Éric jusqu'à une table près d'un mur recouvert de fresques représentant divers paysages italiens.

" Je savais que c'était joli mais je ne pensais pas que ce restaurant ferait cet effet là! se moque le barman en observant discrètement la carte du coin de l'oeil."

Sans répondre, le brun s'empare de la sienne qu'il déchiffre en fixant les prix désagréablement élevés pour de si banals plats. Comprenant son regard inquiet Éric lance l'air de rien.

" Bien sûr tout est offert par votre fidèle... Votre fidèle... Bah... Moi."

Charles pouffe.

Quelques instants plus tard, les commandes partent et les conversations vont bon train. L'humour à deux balles et les jeux de mots à la con se mêlent artistiquement à la conversation. Vacant jusqu'à la limite imposée du politiquement correct.

Mais à certains moments la conversation dérape sur des sujets un peu trop sexuels au goût de Charles ou un peu trop ennuyeux au goût d'Éric. Pas qu'il soit un obsédé dérangé mais mettre son ancien client mal à l'aise est bien trop tentant...

" En réalité, j'aimerais vraiment que tu acceptes de... En gros de te mettre en couple avec moi... soufle Éric en fixant son interlocuteur avec insistance."

Charles avale de travers sa part de pizza et un champignon se coince dans sa gorge bloquant l'accès à l'oxygène qui lui est plus ou moins vital. Toussant, il attrape sa serviette en laissant tomber sa fourchette sur le sol ambré désormais taché de sauce.

" Tu veux quoi! cri presque, le jeune homme désemparé reprenant peu à peu sa respiration et remarquant l'exagération dont il a fait preuve.

- Je rigole! s'empresse d'ajouter le barman réprimant difficilement un éclat de rire devenu compulsif devant la tête décomposée de Charles."

Celui-ci reprenant des couleurs le regarde d'un oeil noir énervé de cette blague plus que puérile. Sans trop savoir pourquoi, il en voulait au blond pour sa plaisanterie de mauvais goût.

Les éclats de rires l'agacent et son énervement devient de plus en plus palpable. Il explose.

" Tant mieux. déclare-il froidement."

Éric vexé, cesse de rire en le toisant amèrement, sans réellement comprendre sa réponse violente. Le brun capte son regard interrogatif et continu.

" Ça m'aurait peiné de devoir te dire que je te trouve trop stupide, surenchérit-il. Comment pourrais-je t'aimer?"

Un silence pesant se créer.

Pendant des secondes qui paraissent un éternité pas un seul bruit ne semble provenir de la table des deux hommes se faisant froidement face.

"C'est bien ce que je pensais, murmure Éric tête baissée."

Reprenant ses esprits le blond sort de table, délaissant son repas refroidissant pour ce diriger avec rapidité vers l'accueil du restaurant. Charles suit son trajet des yeux sans esquisser le moindre geste, légèrement choqué de l'initiative précipitée du jeune homme.

Désormais honteux de ses paroles hâtives il ne peut se décider à le rappeler.

Éric paye en silence avant de quitter l'établissement sans un regard pour les autres clients commèreux. Inquiet, l'homme encore assit à la table se lève, abandonnant les plats et les boissons pour partir à sa poursuite, veste en main...

Quittant le restaurant, il suit dans la nuit tombante et non-sans frayeur le barman en fuite. Tournant à chaque coins de rues comme pour le semer, celui-ci ne ralentit pas rendant plus dure encore la course de Charles.

Mais lorsque les premières gouttes de pluies se mettent à tomber, le jeune homme semble perdre la piste du fuyard.

Sa course redouble d'intensité.

Toujours aussi cliché... murmure il mentalement en courant.

Malgré le ridicule de sa situation le jeune n'a pas l'intention de laisser tomber une nouvelle fois l'affaire, il veut les deux points de vues et il les aura. C'est décidé Éric à des comptes à lui rendre une bonne fois pour toute. Et désormais lui aussi.

Même si pour le moment sa vie se transforme en partie de cache-cache sous la pluie.

Foule SentimentaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant