XXIII - DOLOR

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NILAJA

Le désert sonore qui séjourne dans le corridor du premier étage contraste avec le brouhaha qui chante dans ma tête.
Culpabilité et colère ne font pas bon ménage. Mais pour me débarrasser de l'un, je dois forcément affronter l'autre.

C'est pour ça que je m'enfonce dans l'obscurité de l'hôpital jusqu'à arriver devant sa porte. Et la scène que je revois accable encore plus mon cœur que toute à l'heure.

Attaché sur son lit, Enos a le visage tourné vers la fenêtre, condamné de tout mouvement. Il a sûrement dû faire une nouvelle crise, s'il se retrouve dans la même posture que la dernière fois. Mes collègues ont vu mon autorisation comme un feu vert, moi qui lui avait donné une sorte d'immunité.

J'ignore s'il dort, mais ça ne m'empêche pas de pénétrer dans la pièce, le bruit de mes bottes pour seuls réconforts.Plus la distance se réduit, plus je différencie ses traits faciaux, et surtout, la peine réside toujours dans son regard obscur.

— Enos, je tente.

Waouh, je ne pensais pas que ça allait être si dur.

Mes jambes s'accroupissent à sa hauteur, cherchant désespérément une réponse de sa part.

— Enos, on ne va pas jouer au roi du silence.

Silence.

Je soupire et m'assois sur le rebord de son lit, une main repassant sur les encres dessinées sur son avant-bras. Il tressaillit légèrement au contact de nos peaux pendant que ses paupières se closent, accueillant mes caresses à contre-cœur.

— Je ne comprends pas comment nous en sommes arrivés là... murmure-t-il les yeux fixés sur la fenêtre de sa chambre.

Ma salive passe avec difficulté dans ma trachée.

— Je ne voulais pas que ça se passe comme ça...

— Alors pourquoi tu l'as fait ?! crie-t-il le regard rivé sur moi.

— Parce que je n'avais pas le choix ! je hurle par-dessus sa voix tandis que la mienne se brise.

Ses pupilles se font plus tendres en entendant vers quel ton bascule ma voix serrée. Puis il les détourne, sûrement pour ne pas ciller.

— On a toujours le choix, Nilaja. Mais c'est sûr que lorsqu'on a déjà choisi un camp, l'autre passe forcément à la seconde position.

Je déglutis, le poids qu'exerce la peine de ses mots sur moi est aussi lourd que douloureux.

— Tu n'es pas passé à la seconde posi...

— Ah oui ? me coupe-t-il en emportant la chaleur de son corps. Alors pourquoi c'est toujours lui que vous choisissez ? Pourquoi vous prenez toujours en considération ses sentiments plutôt que les miens ? Tout tourne toujours autour du nouveau et moi, je suis juste... là.

Vous ?

La dernière note de sa phrase me comprime la poitrine.

— Tu n'es pas juste là, Enos. Tu sais très bien à quel point tu comptes pour moi, mais comprends que je suis partagée, j'ai un devoir à accomplir, ce n'est pas moi qui ait demandé à être son infirmière principale.

Ses yeux brillent de douleur et de frustration. Mais derrière tout ça, la colère réside dans ses poings, je le sais, parce que je le connais par cœur.

— C'est toujours compliqué avec toi, pourquoi tu ne peux pas juste faire un choix ?

— Ce n'est pas si simple...

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