Voria - Le Cycle du Vortex, T2

Chapitre 13

La dola glissait sur l'eau sombre, sans faire un bruit, presque sans une éclaboussure. La pluie avait enfin cessé. Sur les rives du canal, les palais brillamment éclairés se succédaient, leurs multiples fenêtres illuminées se reflétant en mille éclats de lumière sur l'eau sombre. Le trafic était moins intense qu'en pleine journée, mais les embarcations croisaient encore en grand nombre sur le canal, chargées de dignes Margnerals en longues robes bariolées, de Treuzes, souvent dans leur uniforme terne, plus rarement en livrées brillamment colorées, et de quelques autres espèces, à la vêture moins sophistiquée.

Puis le canal principal s'élargit brusquement et l'embarcation déboucha sur le lac, noir et sombre. Droit devant eux, hautaine, une île imposante se dressait au milieu d'une vaste étendue vierge : l'île du Conseil. Majestueuse, elle était entièrement recouverte de bâtiments aux frontons triangulaires, aux toits peu inclinés et aux longues colonnades brillamment illuminées. Un immense dôme surmontait la plus haute bâtisse, et à cette distance, donnait l'impression que tous ces bâtiments n'en formaient qu'un.

Très droite, debout à la proue de l'embarcation, Camyl regardait l'imposant édifice approcher lentement. Revêtue de sa tenue cérémonielle, emmitouflée dans une longue cape – c – Maxima, au moins, avait estimé Claire, debout en silence derrière elle – elle fixait le Dôme du Conseil avec intensité. Seule la raideur de ses épaules trahissait sa tension.

Comme le lui avait promis la spatione, la jeune fille avait dû troquer ses habits confortables contre une tenue plus digne de l'entourage d'un membre d'une Vieille Famille. Sa lourde robe de velours, d'un dégradé tirant du bleu sur les épaules à l'ocre à l'ourlet, était ceinturée d'une cordelière dorée nouée en nœuds compliqués. Claire avait attendu le départ de la domestique chargée de l'aider à s'habiller pour enfiler, par-dessous, une paire de pantalons noirs tout à fait inappropriés, mais qui lui permettaient de se sentir un peu plus à l'aise.

— C'est ridicule, avait commenté Camyl, impériale dans ses robes de brocart bordées de fourrure bleue. Tu n'auras pas à te battre au Conseil, juste à rester derrière moi et Marc, et écouter.

— Si on a une réponse de la part des garçons, avait répliqué la jeune fille, butée.

Camyl avait en effet envoyé un message via Met-Ahne dès qu'elle avait appris la nouvelle : Romus avait réussi à lui obtenir une audience préalable, devant le Conseil, pour le soir même. L'Ambassadeur leur avait lui-même apporté la convocation, alors qu'elles déjeunaient dans la petite salle à manger de leurs appartements. Il paraissait extrêmement content de lui – à l'entendre, rarement le Conseil acceptait de se réunir aussi rapidement - et Claire, méfiante, avait lancé tous ses sens en sa direction, cherchant un piège. Elle n'avait pourtant pas détecté la moindre duplicité : seulement une extrême satisfaction, et du soulagement, de voir que l'affaire qui les préoccupait allait enfin recevoir sa conclusion.

Durant ces deux jours, elle avait un peu mieux compris le lien complexe entre Camyl et Romus Dadellei. Le vieil Ambassadeur appréciait beaucoup la jeune femme, mais s'il avait longtemps fermé les yeux sur ses prises de position radicales sur la politique galactique, n'appréciant pas particulièrement lui non plus la tournure que prenait la République, il chérissait trop la stabilité et l'honneur de la Famille pour ne pas être heurté par ses dernières actions. L'avis de recherche d'Armora était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase, là où il ne pouvait pas la suivre, du moins officiellement.

Aussi paraissait-il tout aussi impatient qu'elle de la voir se justifier devant le Conseil. Si elle réussissait à défendre son titre, il la suivrait sans hésiter, mais si le Conseil persistait dans sa décision, il prendrait acte du verdict : seul l'intérêt de la Famille comptait...