Du bois. De la pierre. Et un panorama à tomber sur les cimes enneigées.
En vérité, jamais Claire n'aurait imaginé qu'il existait quelque part dans la Galaxie un endroit comme la propriété d'Aucyne Kasmant. Grandiose par ses dimensions, si radicalement différente de tout ce qu'elle avait pu voir depuis qu'elle avait traversé le Vortex, une vie auparavant... et pourtant si curieusement familière, si étrangement rassurante... !
Quand ils avaient émergé de l'ultralux, à proximité de la planète, ils ne savaient pas vraiment à quoi s'attendre. Volontairement, Aucyne était resté évasif, leur disant juste qu'ils seraient surpris. Comme ni Claire ni Marc ne détectaient, encore une fois, de la duplicité en lui, mais seulement une vraie fierté à l'idée de ce qu'il allait leur faire découvrir, ils avaient donc dû s'en contenter.
En fait de planète, Voria était une géante gazeuse, dans les tons de vert et de rose totalement psychédéliques. Aucyne leur expliqua qu'elle était peut-être belle à regarder, mais qu'elle ne possédait malheureusement aucun gaz intéressant à exploiter – et pourtant, ses ancêtres avaient essayé. Voria possédait une ribambelle de lunes de toutes tailles, mais une seule remplissait les conditions de Classe M (pression, gravité et taux d'oxygène en adéquation avec les organismes de type Humain).
— Officiellement, on l'appelle Voria VII, expliqua leur hôte. Voria, c'est la grande gazeuse. Mais comme c'est la seule habitable du système, tout le monde appelle cette lune comme ça également.
— Et la gazeuse, du coup ?
— Megavoria. Mais comme je vous ai dit, à part faire joli, elle n'a aucun intérêt.
Quand ils avaient plongé vers la lune, d'une taille plus que respectable, à une allure réduite – les avaries de Met-Ahne les forçant à adopter une vitesse bien inférieure à ce dont ils avaient l'habitude - ils n'avaient tout d'abord vu que la multitude de petits continents, séparés par de larges bras d'eau qu'on hésitait à qualifier de mers, et encore plus d'océans.
Sur les indications de l'homme d'affaire, ils avaient mis le cap sur le plus petit d'entre eux, situé assez au nord. En s'approchant, ils s'étaient aperçus que le continent était presqu'entièrement recouvert par une immense chaîne montagneuse, entrecoupée de quelques plateaux, et de vastes forêts. Les profondes vallées s'intercalaient entre les cimes enneigées et les petits lacs dispersés comme autant de chapelets de perles tombées du ciel.
Aucyne n'avait pas osé s'arroger le siège du pilote, occupé par Giles, mais il s'était vautré sans vergogne dans le fauteuil du copilote avant même la sortie de l'ultralux. Etonnamment, Camyl n'avait pas protesté. Mais il faut dire que depuis les évènements d'Akwafeene, la jeune spatione avait bien changé. Fini la jeune femme charismatique de Claée, mais également fini l'Héritière autoritaire de Margnez. La trahison de Romus et l'embuscade dont elles avaient échappé de justesse l'avaient laissée sonnée, comme anesthésiée. Oh, elle était toujours avec eux, du moins, physiquement. Mais elle ne parlait plus guère, ne protestait pas davantage. Elle disait qu'elle allait bien et souriait, mais tous s'inquiétaient – et Marc plus que les autres.
Aucyne avait donné des coordonnées très précises, mais alors qu'ils s'approchaient, tous serrés dans la cabine de pilotage pour profiter du spectacle, ils étaient de plus en plus perplexes – sauf l'homme d'affaire, qui s'amusait manifestement beaucoup en voyant leur air dubitatif.
Nulle trace de civilisation en effet ne se voyait dans la succession de monts, de plaines et de ravines qui défilaient sous eux. Nulle ville, nulle route, nulle industrie ne se devinait sous les frondaisons des arbres, à l'aplomb des falaises ou sur les rives des torrents impétueux qui ciselaient les cluses et les combes. A peine, parfois, un ou deux bâtiments perdus sous la neige, ou quelques enclos ci et là, mais rien qui ne fasse penser à une présence massive d'êtres pensants. La lune, ou tout du moins ce continent, paraissait totalement vierge.
Puis la Vallée était apparue devant eux. D'origine glaciaire, clairement, bien que l'énorme glacier qui l'avait creusée eut depuis longtemps disparu. Ses hautes falaises verticales surmontaient un long et étroit lac d'onyx, entouré de conifères raidis par le froid. La vallée se terminait en un cul-de-sac abrupt, au pied d'un cirque de falaises surmontées d'un étroit plateau, lui-même couronné de cimes majestueuses. Et là, tout au fond, dans les hautes murailles de roches encadrées de conifères qui surmontaient le lac, se découpaient des centaines, peut-être des milliers, de fenêtres de toutes tailles. Sur des dizaines d'étages, les baies, creusées de manière irrégulière dans la roche, reflétaient la lueur du soleil couchant derrière eux.
Au point le plus bas, là où la falaise rejoignait un vaste cône d'éboulis qui marquait la limite entre la forêt et le monde minéral, une série de baies d'atterrissage brillamment illuminées leur faisaient signe. Sur les indications d'Aucyne, Giles mit le cap sur la plus grande, qui aurait aisément pu contenir un cargo de Classe M, et le vaisseau se faufila dans le puits d'atterrissage avec dextérité.
— Et voilà, se rengorgea l'homme d'affaire alors que Met-Ahne atterrissait en douceur. Bienvenue à la Station !
Une jeune fille les attendait sur le tarmac. De l'âge de Claire, peut-être plus jeune, elle était petite et râblée, et couronnée d'une impressionnante crinière de cheveux noirs et bouclés. Derrière elle, un peu en retrait, une demi-douzaine de personnes, Humains aussi bien que Sullites et Treuzes, formait un petit comité de réception. Alors qu'ils descendaient la rampe, la jeune fille se rua sur Aucyne et lui sauta au cou en criant :
— Te voilà enfin de retour ! J'étais si inquiète ! Tu n'es jamais resté parti aussi longtemps ! Et où est ton vaisseau ?
Aucyne sourit, et tenta de se dépêtrer de l'étreinte fougueuse de la jeune fille, qui lui arrivait à peine à l'épaule, mais qui refusait obstinément de le lâcher, sans prendre garde à l'épée qui lui battait le côté. Il tenait d'une main sac qu'il avait sauvé de Margnez, et de l'autre essayait de se dégager.
— Du calme, du calme, laisse-moi arriver ! Je te raconterai, ne t'en fais pas ! Mais pour l'instant, laisse-moi plutôt te présenter nos invités... ! Voici Giles, Marc, Camyl et Claire... ce sont de vieux amis !
— Bienvenue, bienvenue, enchantée de vous connaître ! s'écria la petite jeune fille en le lâchant enfin et en battant des mains d'un air ravi. Ils vont rester ici un moment, j'espère ?
— Autant de temps qu'ils le souhaiteront, promit Aucyne.
— Chic ! Ils vont loger où ?
— Je vais leur faire préparer la suite présidentielle, qu'en penses-tu ?
— Oh, oui, bonne idée ! approuva-t-elle. Ce sera parfait ! Je m'en occupe !
La jeune fille tourna immédiatement les talons et partit en courant en direction de la porte la plus proche, traversant sans façons le comité d'accueil et les plantant là sans plus de façons.
— ... et cette impulsive jeune fille est ma sœur Catana, termina alors Aucyne en souriant, comme pour s'excuser de la façon cavalière dont elle les avait abandonnés. Toujours très enthousiaste, comme vous voyez, mais il lui manque encore un petit peu de vernis...
Il sourit de nouveau avec indulgence, et tendit ensuite son précieux sac à l'un des assistants, un Sullite d'un certain âge, dont la peau bleutée tirait vers l'indigo. S'excusant auprès de ses hôtes, Aucyne échangea quelques mots avec son équipe, donnant quelques ordres brefs, puis, en se frottant les mains, il se tourna vers eux et leur fit alors signe de le suivre, l'air très content de lui :
— Je vous fais visiter ?
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Voria - Le Cycle du Vortex, T2
Science-FictionAprès avoir découvert la duplicité de son mentor, le redoutable Leftarm, Claire, la jeune lycéenne terrienne qui avait traversé le Vortex, s'est enfuie en compagnie des Libertans, ce groupe armé qui s'oppose à la dictature de Kivilis. Mais Leftarm...