Chapitre 22

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Le silence. Seul son souffle le troublait. Du sang gouttait de sa nouvelle coupure au menton. Ses yeux tristes fixaient le corps devant elle. Ses yeux à lui étaient fixes. Il était immobile. Tellement paisible. Pour un peu, on aurait pu croire qu'il dormait. Seule la flaque écarlate que son flanc camouflait, pouvait démentir ce propos. Elle songea brièvement que cela aurait pu lui arriver. Mais il ne lui aurait jamais pardonné. Alors elle ne l'avait pas fait. Pour lui. Pour lui qu'elle voyait chaque nuit et chaque jour, aux confins de son esprit. Pour lui dont la silhouette se reflétait dans ses larmes. Pour lui qui la rendait forte, encore aujourd'hui. Pour lui dont le souvenir la hantait.

Il faisait sombre cette nuit-là. Très sombre.

Une silhouette traversa la cour, telle une ombre. Une autre l'attendait devant l'épais grillage.

— Non Mëwenn. Pas cette fois, avait-il dit en secouant sa crinière rousse.

— Tu n'as qu'à venir avec moi. Mais je ne resterai pas une minute de plus ici.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Nous ne sommes pas prêts aujourd'hui. Mais, demain, ce sera différent.

— Je ne comprends pas. Qu'est ce qui pourrait changer ?

— Demain, c'est mardi. Le jour de l'Aumône.

— Très bien. J'attendrai jusqu'à demain. Pour toi.

Le soir, elle s'était endormie en regardant sa tête. Ses cheveux roux tombaient sur son visage pâle. Même alors que ses paupières étaient closes, il lui semblait que ses yeux bleus lui lançaient un regard, rieur comme à son habitude. Bien plus grand que ses treize ans ne l'auraient voulu, il avait toujours évoqué pour la jeune fille, un frère, protecteur, prêt à se dresser de tout son mètre quatre-vingt-dix entre elle et le danger. Bien qu'il savait pertinemment qu'elle était plus dégourdie et forte que lui. Cette pensée fit se glisser un sourire sur les lèvres de l'adolescente. Elle posa sa pince à cheveux sur sa table de nuit. Elle se leva et récupéra le livre qui gisait sur le matelas de son ami. Elle éteignit sa lampe de chevet et partit se glisser dans ses couvertures. Avant qu'elle n'eût pu s'en apercevoir, elle s'enfonça dans un profond sommeil avec la pensée assurée que rien ne pourrait les séparer. Qu'il ne l'abandonnerait jamais.

Pourtant, le lendemain, il n'était plus là. Ses yeux s'étaient ouverts sur un lit parfaitement fait. Les draps étaient tirés. Le soleil inondait la chambre par grands rayons. Le livre n'était plus sur la table de nuit. Les étagères étaient vides. Sur le porte-manteau, seule la veste rapiécée de la jeune fille était suspendue. Le bureau du jeune homme était dépourvu de son seul maigre bien. Une statuette censée représenter une flamme. Il ne s'en séparait jamais. Il l'avait trahie. Mëwenn en était convaincue.

Pourtant, elle savait qu'il avait eu raison sur une chose, au moins. On était mardi. Le jour de l'Aumône. Elle allait enfin pouvoir quitter cet endroit qu'elle haïssait, d'autant plus sans lui. L'ACEED.

Cachée dans la file des Certifiés du tramway, sa carte beige à la main et le badge de l'ACEED dans l'autre, Mëwenn attendait patiemment son tour. Elle s'efforçait de cacher son exaspération à chaque Examiné qui les doublait.

Enfin, son tour vint.

— C'est le jour de l'Aumône, expliqua-t-elle au Rouge qui était de service. Mais cette fois, on doit aller un peu plus loin que prévu.

— Vous n'êtes pas censés être au moins deux ?

— Normalement si mais ils m'ont jugé apte à y aller seule. On doit se disperser au maximum dans le Territoire Céleste aujourd'hui.

— Bon... Ça me dérange quand même que tu sois seule. Je vais t'accompagner.

Mëwenn sentit son sang se glacer. Cependant, elle se retint de refuser, ce qui aurait éveillé les soupçons du garde et accepta avec reconnaissance.

Elle attendit avec le Rouge quelques minutes jusqu'à ce que la relève arrive. Puis, son compagnon sortit sa carte rouge, la passa au scanner et embarqua avec Mëwenn dans la navette qui avait été appelée.

— Vous pouvez me laisser maintenant. Les gens ont moins tendance à acheter nos pâtisseries quand ils sont intimidés.

— Tu insinues que je suis intimidant ?

— Ce n'est pas ce que je voulais dire... c'est que vous êtes un Rouge. Un soldat novien, ça intimide forcément...

— Ne t'en fais pas j'ai compris. Je te laisse.

Le Rouge s'en alla. Mëwenn, soulagée, alla toquer à une des portes des maisons rectangulaires d'Yritys.

Après deux ou trois autres maisons, Mëwenn s'approcha d'une file de tramway dans le but de rallier Liito. Les gens de cette ville n'hésitaient pas à aider quelqu'un dans le besoin. Grâce à eux, elle pourrait partir dans le Territoire Montagneux se sachant couverte par des gens de confiance.

Cependant, le Rouge de Célestial était encore là. Il avait rejoint son collègue d'Yritys de garde pour lui tenir compagnie. Si Mëwenn passait devant lui, il insisterait pour l'accompagner encore une fois.

Mais Mëwenn avait un plan.

Tout d'abord, il fallait se débarrasser de son badge, équipé d'un traceur depuis qu'elle avait fait la demande de quitter l'ACEED. Ils ne l'avaient pas laissée partir sous prétexte qu'elle ne pouvait pas gâcher son avenir en errant dans le Territoire Céleste telle une ombre. Mais son avenir s'était déjà effondré, alors qu'avait-elle à perdre ? D'habitude, ils ne retenaient jamais de force un enfant qui voulait les quitter. Même si ses parents avaient été importants. Comme ceux de Mëwenn. Sa mère, l'était. Son père... enfin. Autant dire qu'il n'était rien. Rien pour Mëwenn.

Mëwenn entreprit de décrocher le badge épinglé à sa chemise qu'ils étaient tenus de porter à chaque sortie. Puis, elle entra dans une boutique de vêtements. Résistant à l'impression qu'elle volait d'honnêtes commerçants, Mëwenn prit un chapeau à larges bords, des talons et un grand manteau de fourrure rouge.

Quand elle les enfila devant la glace, elle donnait l'impression d'être plus âgée et personne ne pouvait entrevoir son visage sous son grand chapeau.

Maintenant, sortir de la boutique sans se faire repérer.

Mëwenn prit une grande inspiration. Puis, elle fonça tête baissée jusqu'à la porte du magasin. Prenant la direction du tramway, elle ne ralentit qu'une fois dans la queue.

— Madame ? Tout va bien ? demanda le Rouge d'Yritys.

Mëwenn hocha la tête, n'osant pas parler de peur qu'on reconnût sa voix. Une femme en furie arriva derrière elle. C'était la commerçante.

— Au voleur ! Au voleu...

La dame avait aperçu le manteau rouge de Mëwenn.

— C'est elle ! Je la reconnais !

Prise en flagrant délit, Mëwenn se rua hors de la queue. Après avoir longtemps couru, certaine de les avoir semés, elle s'arrêta et reprit son souffle. Des personnes l'appelaient. Les Rouges rappliquaient.

Mëwenn sourit. Jamais ils ne la trouveraient. Malgré les sommations, Mëwenn n'irait pas se rendre.

Le plus gros défaut de la jeune fille était sa trop grande confiance en elle. A chaque fois qu'elle était certaine de son succès, quelque chose venait le troubler.

Ce fut ce que confirma la main qui la prit par les épaules.


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