63 - Encore

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Le corps de Daryl est violemment projeté vers le sol, puis le mien. J'atterris sans ménagement sur son torse. Les gardes claquent rapidement la porte puis ferment la serrure à double tour. L'on sent qu'ils ne veulent pas s'attarder dans cet endroit maudit. C'est le même cachot dans lequel je me trouvais la veille. Les morts ne sont pas loin et s'agitent. Certains s'approchent de Daryl. Je me prépare à le défendre bec et ongle avant qu'ils ne me l'enlèvent. D'étranges râles sortent en saccade de leur gorge. On dirait qu'ils cherchent à le sentir. Tout le corps contracté de Daryl m'indique que lui aussi est prêt à en découdre. Mais les sons rauques s'éloignent déjà. Les morts semblent se désintéresser du nouveau venu, autant que de ma présence. Ce n'est pas normal. Serait-il déjà comme l'un des leurs. Je tente de scruter son regard dans la pénombre mais il fait trop noir.

-Daryl ?

Aucune réponse.

-Daryl, réponds-moi, je lui murmure à l'oreille pour éviter de raviver l'intérêt de nos compagnons de cellule.

Rien. Je m'apprête à le secouer lorsque celui-ci explose :

-T'aurais dû tirer, p'tain ! Tu pouvais l'avoir ! Qu'est-ce qui t'a pris ?

Mais c'est qu'il m'engueule ! Je me retiens de lui mettre une tarte, non pas pour ce qu'il vient de me dire mais parce que j'ai eu peur qu'il ne soit déjà parti, parti de l'autre côté de la mort.

-A ton avis, tête de pioche ! Et toi ? je meugle, qu'est-ce qui t'a pris de venir me chercher ? Je suis assez grande pour me débrouiller toute seule ! Et voilà où on en est ... Je sens mes larmes se frayer un chemin jusqu'à mes lèvres et c'est dans un sanglot que je prononce ces mots que j'aurais tant aimé lui avoir dit depuis longtemps :

-Je t'aime, espèce d'idiot ! je lui lance, me fichant du coup complètement des marcheurs. Ceux-ci n'ont pas l'air de réagir ni de se rapprocher. Alors autant en profiter !

-Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit ?

Non, Daryl n'est pas encore mort. Sa voix de gros dur tremble. Et la mienne aussi.

-T'es bête ou quoi ? Evidemment que je suis tombée amoureuse de toi ! Tu croyais quoi, que je m'en fous de toi. Et ben non ! Et maintenant ... maintenant ...

Sans comprendre ce qu'il m'arrive, deux bras puissants m'enlacent fermement et m'attirent vers une montagne de muscles. Je savais son corps ferme mais jamais je n'aurais imaginé à quel point cela déclencherait en moi cette vague de désir. En un instant, je me dissous dans ses bras et une violente douleur dans mon ventre explose, bien loin d'être désagréable.

Nos corps en fusion roulent plusieurs fois l'un sur l'autre et c'est contre la paroi froide qu'ils viennent se heurter. Les morts se décalent, comme pour nous laisser tout l'espace dont nous avons besoin pour nous goûter l'un l'autre.

Son visage frôle ma joue lentement. Sa barbe semble jouer contre ma peau, doucement, presque timidement pour m'empêcher de pleurer. Et cela fonctionne. Je sais pertinemment que mes lèvres trouveront leur trésor si je tourne mon visage de quelques centimètres. Mon cerveau refuse de fonctionner, d'analyser, de retenir mes gestes. Je me sens partir délicieusement vers cet oasis que je ne pensais plus jamais retrouver.

Daryl s'approche encore et réduit à néant le peu d'espace qu'il reste entre nos lèvres. Jamais je n'oublierai la sensation qui a parcouru mon être à cet instant. Un feu puissant vient d'embrasser ma chair. Je sens sa respiration s'accélérer, la mienne s'engouffre sur son rythme. Je n'arrive pas à respirer. Qu'importe ! Je veux sa bouche, je veux son corps, je veux tout de lui ! Je suis un feu que lui seul peut éteindre. Mon corps le demande et le sien y répond. Le peu de tissu qui sépare encore nos chairs disparait sous nos doigts.

-Je te veux ! je lui murmure. Ma voix rauque ne se différencie plus des morts et jamais pourtant je ne me sens plus vivante qu'à cet instant.

-T'en a mis du temps ... La sienne porte l'aveu autant de son désir que du bonheur de nos corps l'un sur l'autre.

Ses mains caressent ma poitrine. J'en ai le souffle coupé. Tout en me maintenant encore plus fermement, et dans un élan profond, nos corps s'unissent pour ne former plus qu'un seul être. Le temps vient de s'arrêter pour nous. Nos corps ne permettent plus de savoir qui de nous d'eux est mort ou vivant. Seule la chaleur émane des quelques vêtements encore sur notre peau. Le feu de la mort circule dans les veines de celui qui m'offre ces derniers instants. Et c'est dans la flamme de ma jouissance que je baume son éternité de tout mon amour.

J'ignore combien de temps nous restons ainsi, l'un contre l'autre. Les mots que je lui murmure forment presque une litanie pour panser la fièvre qui s'empare de plus en plus de sa conscience... Je le sens partir.

-Je t'aime, je ne cesserai jamais de t'aimer... Je t'aime, je ne cesserai jamais de t'aimer... Mes sanglots redoublent mais je continue à lui parler malgré mes larmes. Ses bras n'ont pas desserré leur étreinte. Daryl est encore là, derrière les spasmes délirants qu'il marmonne. Je le sais. Je le sens. Je sais qu'il lutte de toutes ses forces pour ne pas sombrer. Pas encore.

Mes lèvres picorent doucement son visage, je suis dans cet entre-deux monde, ni tout à fait endormie, ni tout à fait consciente. Je ne sais plus qui de nous d'eux délire. Mes mains se joignent aux siennes pour ne plus les lâcher. Ensemble, nous partons vers une autre contrée.

Live Die Love - TOME 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant